La journaliste Dié Maty Fall (Dmf) a récemment consacré à l’ancien président de la République Abdou Diouf un excellent papier en guise d’hommage à l’occasion de son quatre-vingt neuvième anniversaire, le 7 septembre. Visiteuse privilégiée de la famille de l’illustre retraité, elle nous a fait découvrir des pans cachés et séduisants de la vie éclectique de l’ancien chef de l’Etat. Un portrait en finesse d’un profil pétri d’élégance, représentatif d’un temps révolu dont nous sommes désormais nostalgiques. Le successeur de Senghor est d’une courtoisie exquise, d’une urbanité rare. Qu’en est-il de l’homme d’État et de son legs à la postérité ?
L’exercice du pouvoir suprême est très souvent une succession d’épreuves ingrates. Les succès, pour paraphraser Léon Blum, sont rarement reconnus tandis que les échecs deviennent généralement des référentiels de jugements postérieurs.
Le président Senghor, qui a transmis le pouvoir à Abdou Diouf, était passionné par les fondamentaux : bâtir un État, consolider une nation. En cela, sa fameuse formule, « le commun vouloir de vivre en commun «, constitua une trouvaille particulièrement sensée.
Senghor a donc bâti un État solide, légué à son pays une architecture institutionnelle résistante avec un état d’esprit fondé sur une conscience d’appartenance commune ; un héritage qui tire sa légitimité historique de sa durabilité temporelle. Toutefois, le poète-président était un piètre économiste.
Son successeur avait, dès le départ, dans les bras, une économie plombée par l’endettement. Le malaise paysan était persistant à cause des cycles de sécheresses et des pesanteurs de l’appareil d’encadrement rural. Un legs macro-économique dont Abdou Diouf était en partie responsable, en tant qu’exécutant d’une option systémique, même supérieure.
La crise de l’endettement, qui avait des ramifications internationales, a servi d’alibi conjoncturel au déploiement à l’échelle planétaire d’un puissant agenda néolibéral porté par le tandem implacable formé par le président américain Ronald Reagan et la Première ministre britannique Margaret Thatcher. L’avènement d’Abou Diouf coïncide, précisément, avec ce moment singulier de bouleversement de l’ordre économique mondial. Ainsi, le Sénégal a été, à son corps défendant, l’un des premiers pays africains utilisés comme cobaye pour tester l’efficacité proclamée d’un nouveau remède économique intitulé» Programme d’ajustement structurel».
L’ajustement structurel imposé par le néolibéralisme conquérant issu du fameux «consensus de Washington « visait en réalité des objectifs stratégiques basiques : prendre les pays au collet pour se faire rembourser des dettes contractées en leur faisant abandonner les dépenses dites non productives; privatiser les entreprises nationales pour faire place nette aux multinationales ; faire adopter de «nouvelles politiques « agricoles dont la finalité était d’ouvrir les marchés aux surplus céréaliers des pays occidentaux ; imposer la «libération» totale de l’économie afin de mettre la main sur les matières premières dans un contexte de Guerre froide.
Même si la structuration rentière des économies postindépendance nécessitait des ajustements orientés vers la production, la brutalité des recettes néolibérales a provoqué des tragédies sociales durables. Héritier d’un contexte géopolitique ayant des conséquences dures et directes sur son pouvoir naissant, Abdou Diouf disposait d’une marge de manœuvre étroite : choix limités, arbitrages délicats, options étriquées.
Fallait-il engager un bras de fer avec les créanciers internationaux, revenir au socialisme pur et dur ? Ou envisager d’autres options plus radicales ?
En tout état de cause, il serait facile aujourd’hui de porter sur cette période particulière et difficile un jugement rétrospectif dédaigneux à l’aune des réalités ultérieures.
Le règne d’Abdou Diouf, c’est aussi pour le pays la multiplication des situations de crise : rébellion casamançaise, crise gambienne, guerre en Guinée-Bissau, conflit sénégalo-mauritanien, dévaluation du Franc CFA, guerre du Golfe, troubles politiques.
Ce furent pour l’homme d’État des épreuves personnelles, pour la République des tests de résilience, pour la Nation (bénéficiaire d’épilogues constructifs) des acquis qualitatifs balisant un avenir équilibré.
Ce qui importe le plus dans le bilan d’un règne aux prises avec la récurrence des épreuves, ce sont plutôt les dénouements créatifs.
Abdou Diouf a été un excellent capitaine en temps impétueux, empêchant le navire étatique sénégalais de sombrer dans les abysses. De son temps, beaucoup de pays de la sous-région avaient amorcé des trajectoires désastreuses : États faillis, guerres civiles, cessation de paiement.
La clairvoyance politique inspire aux leaders des options singulières qui assurent à leurs peuples des destins enviés. C’est dire que le marqueur essentiel du règne d’Abdou Diouf fut incontestablement son choix souverain de la démocratie intégrale. Un choix volontariste sur lequel il veillera dans toutes les phases tumultueuses. Jusqu’au bout avec l’épisode ultime de son départ du pouvoir à la suite d’une défaite électorale.
Oui ! Abdou Diouf a été plus qu’un gardien vigilant des acquis institutionnels senghoriens : il restera dans la mémoire collective comme l’architecte d’un modèle politique ouvert et performant, favorisant des alternances pacifiques et démocratiques. La paix et la stabilité, qui procèdent en grande partie de ses choix politiques fondateurs, nous procurent encore un espace national fécondant d’opportunités, faisant naître, sans cesse, des profils publics porteurs d’ambitions constamment renouvelées. Des ambitions toujours plus grandes les unes par rapport aux autres. Un héritage vertueux qu’il est impératif de préserver.
A tout prix ! À notre tour, avec un léger décalage, nous vous disons, Monsieur le Président, JOYEUX ANNIVERSAIRE !
Hussein BA