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Ums, Reveillez-vous !

Le 2 octobre dernier, l’émission «Faram Facce» de Papa Ngagne sur la Tfm avait comme invité Dr Khadim Bamba Diagne, Secrétaire permanent du Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (CosPetrogaz). Une chose a retenu notre attention : faisant son commentaire sur les affectations des magistrats, le présentateur relance par une question sur les «bannis» de Tambacounda. Et la réponse de Dr Diagne est cinglante : «Nioo gueuna deung rond-point» (Ils sont plus tordus qu’un rond-point). Et il le répétera trois fois.

Face à ce qui ressemble manifestement à de l’outrage à magistrat, nous nous attendions à une interpellation en bonne et due forme comme pour Cheikh Yérim Seck, Kader Dia, Bougane Guèye Dany ou le Commissaire Keïta. Ou tout au moins à une sortie de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) pour une condamnation de ces propos.

Cependant, il est à constater pour le déplorer que les dénonciations de cette organisation soient vraiment à géométrie variable. Par le passé, l’Ums s’en était violement prise à Serigne Bassirou Guèye, alors procureur de la République, et a été très silencieuse face à Souleymane Téliko qui avait pourtant commis la même «faute». En effet, après la relaxe en première instance de Aïda Ndiongue, poursuivie pour détournement présumé de deniers publics, d’escroquerie sur les deniers publics dans le dossier des produits phytosanitaires relatifs aux marchés lancés dans le cadre de la lutte contre les inondations, Serigne Bassirou Guèye avait fait face à la presse en mai 2015.

Ousmane Sonko a traité Badio Camara de corrompu

C’est pour dire tout de go : «La relaxe de Aïda Ndiongue et Cie nous semble manifestement illégale et même troublante !» Suffisant pour que l’Ums se fende d’un communiqué pour recadrer le Proc. C’est pour dire que les propos tenus dans la presse par le procureur portent atteinte à l’honorabilité des magistrats. L’organisation avait estimé que Serigne Bassirou Guèye n’avait pas le droit de commenter une décision de Justice à travers la presse. Et l’Ums de dire que ces propos du procureur de la République constituaient «un coup dur porté à la Magistrature». Ils jettent également «le discrédit sur l’institution judiciaire» et «violent la séparation des pouvoirs». L’Ums de se désolidariser de tout magistrat qui «viole délibérément et de mauvaise foi son serment». Et pourtant, c’est motus et bouche cousue quand Téliko s’est présenté à la télé pour commenter la décision de Justice concernant Khalifa Sall.

L’on peut dire la même chose avec l’ancien Agent judiciaire de l’Etat qui s’était offusqué des conditions du jugement de Ziguinchor dans le dossier de radiation de Ousmane Sonko des listes électorales. Yoro Moussa Diallo avait vivement critiqué la décision du Tribunal, dénonçant ce qu’il qualifiait d’«atmosphère délétère» durant le procès. Il avait déclaré dans un communiqué : «Cette audience s’est tenue dans des conditions indignes d’un procès équitable.» Suffisant pour que l’Ums étale sa stupéfaction. Non sans condamner vigoureusement les attaques contenues dans ledit communiqué de l’Aje et visant un juge qui, selon elle, «a rendu une décision dans le sens qu’il croit conforme à la loi».

«Parlez-nous de votre leader qui dépasse Mandela»

Que dire alors de la sortie de l’Association des magistrats après la publication, le 20 janvier 2024, de la liste définitive des candidats à la Présidentielle du 25 février 2024 par le Conseil constitutionnel, consacrant l’invalidation de la candidature de Karim Wade, quand les députés du Parti démocratique sénégalais (Pds) ont publié, le lendemain dimanche, une déclaration suivie d’une saisine de l’Assemblée nationale pour la mise en place immédiate d’une commission d’enquête parlementaire contre deux membres de la haute juridiction pour des soupçons de corruption ? «Suite à la décision du Conseil constitutionnel établissant la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle du 25 février 2024, un groupe parlementaire d’un parti politique a cru devoir s’attaquer ouvertement à deux éminents membres de cette haute juridiction pour des soupçons de corruption et de conflit d’intérêts. Sous ce prétexte, l’Assemblée nationale a été convoquée en séance plénière pour la mise en place d’une commission parlementaire ayant pour mission de les entendre. L’Ums, tout en apportant son soutien indéfectible aux collègues concernés, condamne vigoureusement une telle démarche attentatoire au principe de la séparation des pouvoirs et constitutive d’un précédent dangereux pour l’indépendance de la Justice», s’était insurgé le Bureau exécutif de l’Ums dans un communiqué. Pourtant, Ousmane Sonko, du haut de son grand cinéma au Grand Théâtre le 10 juin 2024, avait ouvertement traité le président du Conseil constitutionnel de corrompu et l’Ums était plus que silencieuse, comme elle l’est aujourd’hui avec Khadim Bamba Diagne.

Quand le président de la République Bassirou Diomaye Faye a annulé les dernières décisions du Conseil supérieur de la Magistrature prises par son prédécesseur en toute illégalité (non-respect du parallélisme des formes, qui voudrait qu’on convoque, même pour une consultation à domicile, le Conseil), l’Ums est restée aphone.

Intellectuels organiques pour façonner l’opinion

Le Dr Diagne est-il un défenseur du Projet pour bénéficier du regard détourné de l’Ums ? Nous concernant, nous pardonnons ses propos contre certains magistrats. Car le jour où il a osé affirmer que Ousmane Sonko dépasse Nelson Mandela, for intérieurement, nous nous sommes dit «kii loo ko wah toogne ko». Dans une vidéo, il avait déclaré : «J’étais en Afrique du Sud pour une conférence et les Sud-africains m’ont dit «parlez-nous de votre leader qui dépasse Mandela».» C’est quand même fort de café ! Les Sudafricains savent que le leadership de Mandela n’est pas d’être un surhomme, mais sa fécondité : il a créé des leaders comme lui et dans tous les domaines. N’est-ce pas le même Khadim Bamba qui nous avait dit que la validation de la candidature de Bassirou Diomaye Faye avait eu comme effet immédiat la diminution de l’émigration irrégulière ?

Diagne fait partie de la horde d’intellectuels qui se sont malicieusement incrustés dans le système médiatique pour, de l’intérieur et sournoisement, porter la propagande de Pastef. Ce que Antonio Gramsci appelle les «intellectuels organiques». Gramsci définit l’intellectuel organique comme étant celui qui défend les intérêts d’un clan. C’est cet intellectuel qui envahit l’espace public sous le manteau de son expertise qu’il met au service d’une organisation, sa supposée neutralité en bandoulière. En effet, les mouvements révolutionnaires ont besoin d’une théorie pour nourrir leur pratique. C’est la raison pour laquelle toute révolution a donc nécessairement aussi besoin d’intellectuels organiques pour façonner l’opinion. Antonio Gramsci, théoricien communiste de la première moitié du XXème siècle, nous dit que ce qui définit l’intellectuel organique, c’est moins ce qu’il produit (au sens entendu de théoricien, d’essayiste, de philosophe, etc.) que le rôle actif qu’il joue, consciemment ou inconsciemment, au sein de sa classe sociale et plus généralement au sein de la société. Diagne n’est que l’arbre qui cache la forêt pour vendre un Projet.







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