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Faut- Il Voter Pour Une Majorite Mecanique Ou Une Representation Equilibree ?

Le terme « majorité» est conçu comme un instrument de régulation du jeu démocratique. Il forme dans le langage parlementaire, avec d’autres vocables des expressions comme la majorité mécanique, la majorité absolue, la majorité relative, la majorité qualifiée et la majorité parlementaire. Ces concepts sont employés couramment dans des sens différents. Par exemple, la majorité mécanique (sens péjoratif) décrit l’attitude des députés soumis aux ordres partisans. Sur le vote parlementaire, il est fait usage à la majorité absolue qui requiert l’obtention d’au moins de plus de la moitié des voix, à la majorité relative qui se joue simplement au grand nombre et à la majorité qualifiée qui exige généralement un seuil fixé par les Constitutions des États respectifs.

La majorité parlementaire est un terme consacré en science politique. Elle a tout un autre sens et répond à un objectif (à chercher en campagne électorale) avant d’être un vécu (chasse gardée). Sa genèse, dans le cas de notre pays, est adossée à l’histoire parlementaire de la France. Entre la Quatrième et la Cinquième République, la majorité parlementaire correspondait à un agrégat sans consistance et ne désignait aucune structure mais plutôt l’addition des députés. Les contours de cet ensemble flou se déplaçaient au gré de la conjoncture et des enjeux. On rejoignait la majorité parlementaire et on la quittait d’autant plus facilement. Cette figure incertaine persista sous la première législature de la Ve République, durant laquelle la droite approuvait la politique économique et sociale que combattait la gauche, tandis que celle-ci soutenait la politique algérienne qui répugnait de plus en plus la droite. Le gouvernement ne pouvait jadis compter que sur le groupe gaulliste qui détenait ce que l’on appellera trente ans plus tard la « majorité relative». Ainsi, les défections provoquèrent le vote de censure du 5 octobre 1962 et la dissolution qui s’ensuivit.

De cet affrontement sortit un nouveau concept de majorité parlementaire qui se présentait comme une entité durable et cohérente. Elle reposait toujours sur une coalition déterminée par le vote des électeurs, au lieu de l’être a posteriori par les négociations des états-majors. La vocation assignée à la majorité parlementaire était ainsi devenue plus lisible. Elle se résumait à soutenir fidèlement le gouvernement pendant toute la durée de la législature.

L’influence de la majorité parlementaire fonde positivement ou négativement l’image de l’institution et détermine la conduite des députés au sein de l’hémicycle. Elle dépend également du type de régime politique. Avec le régime parlementaire, par exemple, la majorité gouverne et a en main le destin du chef du pouvoir exécutif. Le cas de l’Allemagne est illustratif qui, selon sa loi fondamentale du 23 mars 1949, dispose un modèle parlementaire. Le Parlement est bicaméral avec le Bundestag (chambre basse) et le Bundesrat (représentants des États fédérés). L’exécutif est dirigé par un Chancelier élu par le Bundestag sur proposition du chef de l’État. Ce dernier est le Président fédéral, en retrait des autres institutions. On retrouve les mécanismes classiques du régime parlementaire donnant la possibilité de censure du gouvernement par la Chambre basse et la dissolution de la même Chambre par le chef de l’État

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Notre pays, sous l’ère de la Fédération du Mali, a vécu l’expérience d’un régime parlementaire. A cette époque, la Constitution du 26 août 1960 accordait des pouvoirs énormes à l’Assemblée nationale. Elle avait permis d’élire au suffrage indirect, pour la première fois, le Président Senghor et son Président de Conseil, Mamadou Dia. Elle disposait aussi d’un pouvoir de censure et ne pouvait pas être dissoute par l’Exécutif. Et, c’est bien après avec la crise Senghor/Dia et l’adoption d’une nouvelle Constitution au référendum du 7 mars 1963, que des changements ont été opérés pour instaurer un hyper présidentialisme.

Pour rester sous le chapitre du régime présidentiel, la majorité parlementaire qui en est issue, a les caractéristiques d’être qualifiée de « majorité mécanique » ou « majorité asservie » ou « majorité instrumentalisée ». Paraphrasant George Burdeau, on pourrait dire que « la majorité parlementaire n’est pas gouvernante mais est plutôt gouvernée » . Sa seule raison d’exister, c’est d’assurer un soutien permanent au gouvernement. Pourtant, dans le fonctionnement des institutions, le gouvernement procède du Premier ministre nommé par le Président de la République et sa mission est distincte de celle de l’Assemblée nationale. On pourrait se poser la question de savoir si la majorité parlementaire a réellement des raisons pour soutenir le gouvernement ? Le mandat parlementaire obtenu au terme du vote des électeurs, est-il consubstantiel à la défense du gouvernement ? Le défaut de soutien par une majorité parlementaire, peut-il empêcher au Président de la République et à son Premier ministre de faire leur travail ?

A l’évidence, les députés cessent de répondre à leurs fonctions, lorsqu’ils ne jouent plus le rôle de représentant du peuple. Plusieurs pays ont inscrit dans leurs constitutions le principe de la représentation en ces termes : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». La philosophie des élections repose sur la volonté du peuple de choisir librement ses dirigeants, mais aussi elle symbolise la passation de la délégation du pouvoir souverain entre le peuple (mandant) et ses représentants (mandataires).

Paradoxalement, la représentation qu’assurent les députés élus, est parfois biaisée. Les partis politiques instrumentalisent les députés issus de leurs rangs, en mettant l’intérêt partisan audessus de l’intérêt général. La majorité parlementaire qu’ils contrôlent, est mécaniquement sous la tutelle de leurs gouvernements, elle avalise aveuglément tous leurs programmes, même s’ils vont à l’encontre des préoccupations des populations! Cette perception d’autrefois était le marqueur des régimes politiques présidentiels. Elle est aujourd’hui en train de s’écrouler comme un château de cartes et sonne la révolte des électeurs qui aspirent de plus en plus, à une représentation plurielle et équilibrée. Le cas de la France, est un exemple patent, précurseur de la haute présidentialisation. Elle a récemment connu de grands bouleversements lors de ses dernières législatives. En effet, les électeurs ont décidé de casser le monopole de la représentation parlementaire et qui est pratiquement à la source de toutes les dérives au sommet de l’Etat.

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L’option du régime politique classique présidentiel ou parlementaire, est antinomique du principe de la séparation des pouvoirs. Elle encourage la collusion et le conflit d’intérêt, favorise la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul groupe d’intérêt politique et ne garantit pas la transparence dans la gestion des affaires de l’Etat. II n’est pas fortuit que Montesquieu nous dise dans sa célèbre maxime : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir».

C’est une hérésie d’entendre parler du côté du pouvoir exécutif : « Si on n’a pas la majorité à l’Assemblée nationale, on ne pourrait pas travailler» ! L’indépendance fonctionnelle des institutions est un facteur important dans une démocratie vivante. La mission du pouvoir exécutif et celle du pouvoir législatif sont différentes l’une de l’autre. Le fait de les concentrer entre les mains d’une seule personne ou d’un seul groupe d’intérêt politique peut conduire à des abus. Le parti d’appartenance à l’actuel Président de la République française dispose de 95 élus au Palais Bourbon sur les 577 députés. Cela n’a pas empêché la nomination d’un nouveau Premier ministre qui a fait sa Déclaration de Politique Générale, de dérouler son programme ! Il en est de même du Chancelier allemand qui est un social-démocrate. Son parti, le SPD contrôle 207 sur les 733 des députes du Bundestag. Il n’empêche. Il fait correctement son travail !

Toutes ces illustrations ont pour finalité de permettre aux électeurs sénégalais d’avoir des éléments d’appréciation et de mener librement leur propre réflexion sur les décisions à prendre pour les législatives anticipées du 17 novembre. Le choix de la majorité mécanique ou de la représentation plurielle équilibrée dépend de la volonté des électeurs. Mais faudrait-il que chaque électeur s’interroge dans son for intérieur : “ pourquoi devrais-je voter pour élire un député et qu’est-ce que je peux attendre de lui » ?

La mission du député se confond à celle attribuée par notre Constitution à l’Assemblée nationale, en son article 59 alinéas 1 et 2: «L’Assemblée représentative du Sénégal porte le nom de l’Assemblée nationale. Elle exerce le pouvoir législatif. Elle vote, seule la loi, contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques. Les membres de l’Assemblée nationale portent le titre de députés».

En clair, le travail du député s’articule autour du triptyque : «voter des lois, contrôler l’action du gouvernement et évaluer les politiques publiques». Au titre de représentant du peuple, le député agit à son nom, exprime ses préoccupations, intervient en sa faveur dans l’examen des lois initiées par lui-même ou par le Président de la République et assure le contrôle des programmes soumis par le Gouvernement. Le député doit dans sa conduite, transcender les considérations partisanes et s’inscrire dans la seule dynamique de satisfaire ses mandants.

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Cependant, l’absence de formation de certains députés explique largement la méconnaissance de leurs missions et les mauvais comportements constatés dans les débats à l’hémicycle (laudateurs, souteneurs, pourfendeurs, insulteurs, pugilistes). Le groupe parlementaire censé être le premier réceptacle dans l’encadrement des députés, ne joue pas convenablement son rôle. II se dresse pratiquement comme la tête de peloton de la majorité mécanique, fait fi du respect de la volonté des populations pour être sous les ordres du gouvernement.

Cette attitude dénote un amalgame fait par certains députés sur leur titre de représentant du peuple. Ainsi, soutiennent-ils, devoir une fidélité à tel Président de la République et à son parti, parce que c’est lui qui leur a permis de siéger à l’Assemblée nationale. Combien de fois a-t-on entendu dire «je suis député de Senghor ou de Diouf ou de Wade ou de Macky » ! Le parti investit un candidat à la députation, mais il ne peut pas l’élire député. II n’y a que les électeurs qui ont cette prérogative constitutionnelle ! Le député élu est lié par un contrat de 5 ans avec le peuple qu’il représente et exerce sa souveraineté. Son métier, c’est de servir l’intérêt général et non partisan.

La problématique de la notion de représentant du peuple mérite une place dans les débats de la campagne électorale pour les prochaines élections législatives anticipées. II s’agira de bien regarder les profils des candidats, d’analyser les programmes et de choisir des personnalités de qualité, dignes d’être des représentants du peuple et de servir les intérêts collectifs avant ceux du parti ou de la coalition de partis qui les a investis. On devrait aussi penser rehausser l’image de la future Assemblée nationale et élire des députés capables de lire un budget, de comprendre une loi et d’exercer leur devoir de contrôle du gouvernement sans complaisance. L’efficacité du travail parlementaire est consubstantielle à la configuration plurielle et équilibrée. Elle favorise l’émergence d’une démocratie consensuelle. C’est-à-dire, si aucune liste des candidats élus ne détient la majorité absolue des sièges, des ententes ou des discussions dans l’intérêt du pays, entre différents les groupes parlementaires et non-inscrits, peuvent s’avérer nécessaires pour trouver des solutions en cas de problèmes.

Par Alioune SOUARE

* Spécialiste en droit parlementaire

* Auteur de la réforme du Règlement INTERIEUR DU Comité Interparlementaire – CIP/UEMOA







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