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Face Aux Injustices Et Aux InÉgalitÉs : Le CinÉma, Une Arme Politique

Samedi 19 octobre 2024, dans le quartier de Saint-Germain, au cœur de la rive gauche, je suis allé voir un film au cinéma UGC Danton : Les Graines du figuier sauvage, de Mohammad Rasoulof, tourné clandestinement, loin des regards inquisiteurs des mollahs. D’abord, qui est le réalisateur courageux de ce film ? Mohammad Rasoulof est un cinéaste iranien qui a fui son pays pour éviter une peine de prison et les persécutions d’un régime brutal. Il vit à Hambourg et a à son actif dix films, tous brillants. Je peux citer, entre autres : Les Manuscrits ne brûlent pas (2013), Un homme intègre (2017), Le Diable n’existe pas (2020), Les Graines du figuier sauvage (2024).

Cet exilé, qui a son pays chevillé au corps malgré l’absence, a puisé dans son panthéon personnel et, plus largement, dans l’histoire de l’Iran pour construire un film à la fois politique et militant, qui dénonce les absurdités d’une société patriarcale et fermée, après la mort de Jina Mahsa Amini, une jeune Iranienne kurde tuée par la police des mœurs pour avoir porté son voile de manière incorrecte.

Le film évoque les récents événements traversés par la société iranienne et la violence qui la caractérise. À travers ce film, le réalisateur porte un regard critique sur les monstruosités d’un régime théocratique dont la loi est fondée sur la charia. Rasoulof montre brillamment que les femmes iraniennes sont privées de toute forme de liberté, ainsi que de l’accès à la beauté, dans son sens profond, peut-être la seule véritable essence de l’existence. Ce puissant film, hautement politique, s’inspire du mouvement « Femme, vie, liberté », qui a résonné à travers le monde ces derniers mois, nourrissant le débat ainsi que la volonté de lutte.

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Il raconte, à travers une famille de la classe moyenne, l’histoire du mouvement « Femme, vie, liberté », qui incarne la quête de liberté des femmes et la lutte contre les inégalités et les lois répressives en Iran, Téhéran en étant le bastion.

Cette quête de liberté et d’émancipation est incarnée par deux jeunes filles, Rezvan et Sana, ouvertes sur le monde et aux courants progressistes grâce aux smartphones et aux réseaux sociaux – espace de liberté et d’émancipation. Leur père, Iman, a été promu juge au service d’un régime autoritaire et violent, tandis que leur mère, Fatemeh, est nourrie par une culture conservatrice reléguant les femmes au second plan. Le film est centré principalement sur le personnage d’Iman – la Foi. Tout part de lui et y revient. Promu juge au tribunal révolutionnaire de Téhéran grâce à l’appui d’un collègue, il est chargé de jouer les mauvais rôles, voire d’accomplir des missions perfides pour garantir une future ascension sociale. L’objectif est de devenir juge d’instruction, ce qui est le Graal, mais avant d’y arriver, il doit flirter avec les compromissions. Ses valeurs, ses principes et son honorabilité sont échangés contre les privilèges fugaces que lui promet le régime par l’entremise de son collègue.

Quand le mouvement de protestation s’est déclenché dans les écoles et universités de Téhéran contre les dérives du régime, sa fille aînée, Rezvan, a vu sa meilleure amie, Sadaf, perdre littéralement sa beauté et son avenir, car les forces de l’ordre lui ont crevé l’œil gauche. Cette injustice, teintée d’une violence aveugle, a poussé Rezvan et sa petite sœur Sana à contester ouvertement le régime théocratique, dont Iman, leur père, est l’un des fidèles soldats. Elles pointent du doigt l’oppression politique et religieuse exercée par les gardiens de la morale et les représentants de Dieu sur terre. C’est à ce moment-là qu’Iman perd son arme de service chez lui, une arme qui lui permet de se protéger contre les manifestants et les « ennemis d’Allah ».

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C’est le début de sa descente aux enfers. Sa fille Rezvan lui assène des vérités qu’il a du mal à admettre, tandis que son collègue lui suggère de trouver une solution très vite. L’arme doit être retrouvée, sans quoi il peut dire adieu à ses ambitions professionnelles de devenir juge d’instruction et d’intégrer l’élite de Téhéran. Iman est tiraillé. Sur les conseils de son collègue au tribunal, il envoie sa femme et ses filles chez un psychologue, un de ses amis, afin de savoir laquelle d’entre elles a volé l’arme tant cherchée. Cette consultation s’est soldée par un échec cuisant. Il convainc alors Fatemeh et les filles d’aller dans son village pour quelques jours afin de se reposer et de fuir l’agitation de la ville. Tout cela était cousu de fil blanc : par ce retrait, Iman cherchait simplement à retrouver son arme. Après avoir passé une nuit dans ce village calme, Iman commence son entreprise détestable : la torture de sa femme Fatemeh et de Rezvan, qu’il soupçonne d’avoir volé l’arme.

Iman a transposé la violence verbale qu’il exerçait sur les détenus du régime à sa famille, mais cette violence n’est pas seulement verbale, elle est aussi physique et psychologique. L’aveuglement qui caractérise le pouvoir théocratique iranien a atteint Iman, ce père jadis taiseux, pudique et aimant. Le drame familial est total. Car Iman est finalement tué par sa fille cadette, Sana, pour libérer sa mère et sa grande sœur Rezvan, son amie et modèle.

Les Graines du figuier sauvage est un film beau, tragique, militant, et par-dessus tout politique. Mohammad Rasoulof a réussi, malgré les terribles conditions du tournage, à montrer la soif de liberté des Iraniens, notamment des femmes, qui sont les principales otages de l’État policier iranien. C’est un long métrage qui peut paraître ennuyeux au regard du déroulement du récit, mais magistralement magnifique. Par ce film, Mohammad Rasoulof dit au monde que le cinéma est une excellente arme contre les injustices et les inégalités qui traversent les sociétés, notamment la sienne : l’Iran.

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En regardant Les Graines du figuier sauvage, j’ai pensé au Sénégal et aux gardiens de la morale qui y pullulent comme Jamra et And Samm Jikko Yi. Ces intégristes religieux qui veulent réguler l’espace public selon leurs codes ancestraux en attaquant les libertés fondamentales garanties par la Constitution. J’ai pensé aussi au père du cinéma africain Ousmane Sembène, qui a brillamment exercé son métier d’artiste au service des causes justes. Son vaste œuvre n’a eu de cesse de montrer les inégalités qui traversent la société sénégalaise et les violences infligées aux filles et femmes en devenir au nom de la religion, l’islam. J’ai en mémoire Moolaadé.

Mohammad Rasoulof, tout comme le cinéaste Sembène, sont des tisseurs d’avenir, même si le Sénégalais a rejoint l’autre rive. Le temps n’effacera pas leurs œuvres.







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