J’aurais pu ne pas écrire une seule ligne de cette chronique du jour et partager de nouveau un papier d’octobre 2023 qui s’intitulait «L’enfant gâté de la République et son univers dystopique». Ousmane Sonko, en se présentant devant ses ouailles et partisans pour chauffer à blanc une meute politique et préparer du bétail électoral pour lui confier pieds et mains liés la majorité à l’Assemblée nationale, au moment où une partie de nos compatriotes voyait au Nord et à l’Est tous leurs espoirs noyés dans les eaux, s’est illustré en parfait scénariste de réalités alternatives. Il a commencé à réfuter les inondations à Bakel avec le débordement du fleuve Sénégal, et a poussé le vice jusqu’à confier que des vivres en quantité et l’assistance nécessaire étaient déjà distribués dans les zones sinistrées. La spontanéité des réseaux sociaux aidant, des vidéos de populations sinistrées étaient montées dans la foulée de son intervention, avec en fond sonore son discours. De la tragédie en cours de Bakel à Podor, en passant par Matam, Tambacounda et Kédougou, il dira qu’elle a sûrement des origines criminelles avec des investigations menées pour identifier les fautifs. On ne peut pas faire pire dans l’insensibilité et surtout la désinvolture, à une station aussi importante de l’appareil d’Etat.
Dans la chronique que j’évoquais plus haut, je disais ce qui suit : «Depuis mars 2021, consécration par la violence aveugle de notre glissement en tant que société dans une séquence folle qui est le fruit d’un activisme sans limite d’entrepreneurs politiques, d’une passivité coupable et criminelle des services d’Etat et d’une abdication de la pensée critique chez les faiseurs d’opinions (intellectuels et médias) pour laisser place à la partisannerie primaire, l’absurde a pris le dessus sur tout. Le Sénégal ressemble au bout du compte à un univers dystopique où tout marche à l’envers. Rien de ce qui devrait se passer dans un pays normal ne s’effectue maintenant dans les règles de l’art. Les agressions contre la Justice dont certains magistrats «encartés» s’accommodent, ou les flagrants partis-pris dans la presse à la cause d’un homme qui devrait être poursuivi pour trahison et désigné ennemi domestique, après tous les actes qu’il a posés pour fragiliser la République, ont de quoi nous pousser à nous pincer pour nous sortir de ce fichu cauchemar. J’irai plus loin en disant que nous nous trouvons tous prisonniers d’une dystopie dont Ousmane Sonko est le metteur en scène. Il aura voulu par tous les moyens se faire roi, en usant de tous les stratagèmes, pour finir par se rendre omniprésent dans le débat public. Et cela, dans toutes les postures incongrues possibles. Il se sera imposé comme un Léviathan des consciences, une sorte de Big Brother boulimique quémandant sympathie et attention partout, en faisant de l’opinion le relais privilégié de toutes ses viles ruses. Beaucoup de monde, par mimétisme et effet d’entraînement, s’accommodent de tous ses caprices, pardonnent tous les abus à sa meute, se courbent face au poids de l’insolence de ses soutiens.»
Je ne pensais pas si bien dire, car Ousmane Sonko himself confessera à ses partisans lors de son meeting du 19 octobre 2024, qu’il n’a jamais été malade pour plonger dans un état comateux, encore moins à l’article de la mort lors de son internement au Pavillon spécial de l’hôpital Principal de Dakar. Il faudrait peut-être penser à rembobiner tous les événements qui se sont passés dans cette terrible fenêtre et voir ce qui était vrai et ce qui reposait d’une comédie tragique. De façon bancale, il dira qu’il aura usé de ruses pour gagner du temps et de stratagèmes pour contrer un pouvoir qui voulait sa peau. Après tous les dégâts, toute l’indignation et tous les troubles qui sont nés de la maladie imaginaire du patriote en chef et toutes les péripéties qui ont entouré sa détention, on est en droit de se dire que cet homme n’a jamais respecté ses compatriotes, et encore moins ses militants. Le lot de morts, les vies détruites dans le sillage de ses démêlés avec la Justice, la manipulation des masses et élites politico-religieuses, tout cela aura contribué à paver un chemin royal pour accéder au pouvoir et continuer tel un ogre à exister dans l’espace public. Je lui concéderai une finesse maligne pour berner autant de monde et les embarquer de façon aveugle dans sa cause pour endosser tous ses dires, au point de se battre corps et âme contre toute personne qui y opposera une pensée contraire ou une lecture lucide. Les interventions alarmistes de plusieurs personnalités politiques, de la Société civile et des médias sont encore fraîches dans nos mémoires. Les «requiems» à coup de chaudes larmes pour sensibiliser les chefs religieux sont assez drôles quand on les regarde aujourd’hui avec du recul et les révélations du principal intéressé.
Une connaissance avec laquelle j’ai eu des échanges musclés et rompu les liens à la suite de mes chroniques sur la maladie imaginaire du chef du parti Pastef et de sa logique d’entraîner les Sénégalais dans des réalités alternatives, m’a écrit suite aux confessions du tout-puissant Ousmane. Il aura l’honnêteté de ravaler sa fierté et de dire qu’il aura été dupé par un politique pour qui il nourrissait de l’affection, et s’offusquait à ce que toute une machine d’Etat soit mise en branle pour lui faire souffrir le martyre. Je me rappellerai qu’il m’avait maudit à l’époque en me disant que j’aurai la mort de son héros sur ma conscience et que mes mains seront tachées de sang. Il est ridicule de voir à quel point le jeu d’un politique qui n’hésite devant rien pour atteindre ses buts peut impacter sur des relations humaines au point où nous devenons des adversaires, voire des ennemis, prompts à prêter à autrui les pires intentions. Cela, du moment qu’on ne partage pas les mêmes opinions. Je reste pour ma part très à l’aise sur tout ce que j’ai pu dire et analyser sur Ousmane Sonko. Déconstruire les faits politiques et gestes populistes, je m’en donne à cœur joie, et avec Sonko, il y a de la matière. Le temps, qui reste le meilleur des juges, rétablira tout le monde dans sa vérité. Ce qui est doux avec le metteur en scène de la dystopie ayant cours au Sénégal est qu’il profite de toutes les tribunes où l’audience est importante pour mettre à nu, de son propre chef, tous les schémas qu’il met en œuvre. Quand c’est de sa bouche qu’il confirme tout ce que nous avons démontré, on ne peut que dormir tranquille et se dire que le sillage que nous laissons est le bon.
Jean-Paul Krassinsky avait publié en 2019 un excellent roman graphique intitulé La fin du monde en trinquant. Pour faire court, il s’agit d’un cochon qui est un éminent astronome œuvrant sous le règne de l’impératrice Catherine II de Russie. Nikita Petrovitch, brillant scientifique, est un cochon peu amène qui découvre qu’une comète va s’écraser en Sibérie. Il communique sa découverte au trône, mais il n’est guère pris au sérieux et est contraint de prendre sous son aile Ivan, un chien fou et maladroit, pour donner la mauvaise nouvelle aux populations. Comme tous les veilleurs, ils sont chahutés et rencontrent des villageois pas trop reconnaissants. Ceux-ci idéalisent la Russie du 18e siècle et sont d’une crédulité sidérante face aux agissements du pouvoir royal. Ce roman graphique est un récit sarcastique mettant au centre le triomphe de la crédulité, la bêtise politique et l’obscurantisme, surtout quand les ficelles sont tirées par ceux à qui les populations offrent leur pleine confiance. Quand je relis cet ouvrage, je vois beaucoup de similitudes avec notre pays, qui tournent le rire en inquiétude.
Une vieille dame s’est permis dans le spectacle comique qui se tenait à Dakar Arena, de mimer un malaise et de se lever d’un brancard pour saluer son héros Ousmane Sonko. La mise en scène est d’un grotesque, qu’il n’aura pas fallu plus d’une journée pour que des gens retrouvent cette sacrée comédienne et déconstruisent la supercherie qui visait à toucher les masses par l’émotion. Son jeu d’actrice sera tourné en dérision sur les réseaux sociaux et des révélations suivront sur sa partition au grand cirque. On ne peut pas faire mieux en matière de dystopie. Ce Sénégal est un cas tragique. En fin de soirée hier, le journaliste Ahmed Ndoye a été appréhendé par les services de police après une conférence de presse qu’il tenait. Tout est mis en œuvre pour faire taire toutes les voix contraires. Je ne pense pas que ceux qui criaient au changement partout ont voté pour de telles régressions. Bonjour autocratie, rebonjour égocratie, le Sénégal est un paradis d’humanité et de liberté perdu ! J’oubliais, le Premier ministre nous disait qu’il a hérité d’un pays en ruine. Trinquons donc, c’est sur des ruines que se bâtissent les empires !