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Les Lois D’amnistie Entre Fleurs Et Pleurs

Une loi d’amnistie, par nature, est une mesure législative qui efface les infractions et leurs conséquences pénales pour les personnes visées, sans passer par un jugement ou une reconnaissance de non-culpabilité. Elle est juridiquement possible de modifier ou d’abroger une loi d’amnistie, car comme toute loi, elle peut être révoquée par un nouvel acte législatif. Elle diffère d’une décision de justice, car elle ne repose pas sur l’examen d’une affaire par un tribunal, mais plutôt sur une décision politique qui absout certains actes dans un but de réconciliation ou de pacification sociale.

La volonté exprimée par le candidat du parti Pastef, également Premier ministre, de réexaminer la loi d’amnistie controversée, afin de rouvrir les dossiers des faits délictuels et criminels liés à des événements politiques tragiques, traduit une démarche audacieuse en faveur de la vérité et de la justice. Cette initiative suscite une vague d’adhésion dans l’opinion publique, en particulier auprès des familles des victimes, qui nourrissent l’espoir d’une reconnaissance et d’un apaisement moral après de longues années de souffrance. Elle envoie également un message fort : la justice ne saurait être sacrifiée sur l’autel des impératifs politiques. Pourtant, ce projet divise : certains y voient une opportunité de construire un avenir apaisé, tandis que d’autres le perçoivent comme une menace pour les droits des bénéficiaires de l’amnistie.

La rétroactivité « in mitius » : principe humaniste et garantie des libertés :

Le principe de la rétroactivité « in mitius » – qui consiste à appliquer immédiatement une loi pénale plus douce – incarne une garantie fondamentale des libertés individuelles. Il repose sur l’idée qu’une disposition moins sévère, lorsqu’elle est édictée, doit bénéficier aux personnes concernées. Mais que signifie exactement « loi pénale plus douce » ? C’est, par exemple, une loi qui supprime purement et simplement une infraction, effaçant ainsi la responsabilité pénale attachée aux actes antérieurement qualifiés d’illégaux.

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Cependant, l’abrogation d’une loi d’amnistie soulève des défis juridiques redoutables. Par leur essence, les lois d’amnistie effacent les infractions et exonèrent les individus concernés de toute poursuite pénale, hormis les réparations civiles. Leur remise en cause heurte les principes cardinaux de la non-rétroactivité des lois et de la sécurité juridique. Ces principes, enracinés dans les systèmes juridiques modernes, protègent les droits acquis et offrent aux citoyens une prévisibilité indispensable dans l’application de la loi.

1. Obstacles juridiques : la non-rétroactivité et la sécurité juridique :

Le principe de non-rétroactivité, inscrit dans le droit sénégalais comme dans le droit français, implique que nul ne peut être puni en vertu d’une loi postérieure plus sévère. Ainsi, une loi d’amnistie crée des droits acquis pour les bénéficiaires. Abroger cette loi pour rétablir des poursuites reviendrait à violer ce principe, et ce serait également contraire à la sécurité juridique. Ce principe garantit que les citoyens ne subissent pas des changements imprévisibles dans leur situation juridique en raison d’une modification rétroactive de la loi.

En France, l’abrogation d’une loi d’amnistie ne peut pas être appliquée rétroactivement aux infractions déjà couvertes. La Cour de Cassation, dans l’arrêt « Boudarel », a souligné que les effets d’une loi d’amnistie sont définitifs, empêchant ainsi toute reprise des poursuites pour des faits amnistiés.

Au Sénégal, bien que la jurisprudence ne se soit pas prononcée directement sur ce point, l’application de la « loi Ezzan » de 2005 a montré la difficulté de remettre en question des amnisties antérieures sans remettre en cause la stabilité juridique acquise.

2. Les précédents internationaux et leur impact sur le Sénégal :

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Divers contextes internationaux offrent des perspectives intéressantes sur l’annulation des lois d’amnistie.

En Argentine, les lois d’amnistie de la « guerre sale » avaient d’abord protégé les responsables des crimes de la dictature militaire, avant d’être annulées dans les années 2000 sous la pression des familles des victimes. Ce retour en arrière a été possible grâce à un contexte juridique et politique unique, accompagné d’un large consensus national.

En Afrique du Sud, la Commission Vérité et Réconciliation a accordé des amnisties pour les crimes de l’apartheid sans qu’elles ne soient par la suite remises en cause. Ce modèle de justice transitionnelle repose sur une balance entre justice et réconciliation, soulignant la complexité de revenir sur une loi d’amnistie une fois ses effets produits.

Ces exemples montrent que si certaines lois d’amnistie ont pu être révoquées, cela dépendait largement du contexte et du consensus national. Le Sénégal pourrait s’inspirer de ces modèles, mais rouvrir des dossiers nécessiterait un consensus sociopolitique fort, voire des adaptations constitutionnelles.

3. Obstacles factuels et institutionnels :

Le temps et la preuve Rouvrir des enquêtes sur des faits anciens pose également des défis probants. Avec le temps, les preuves s’effacent, les témoins disparaissent ou voient leur mémoire altérée, compromettant ainsi l’efficacité des investigations et la solidité des poursuites. En l’absence de preuves nouvelles, les enquêtes pourraient apparaître comme des actions politiquement motivées, minant la confiance publique dans la justice.

4. Vers une réconciliation entre justice et pardon :

La révision de la loi d’amnistie pourrait être un tournant pour la justice transitionnelle au Sénégal, mais elle impose de prendre en compte des obstacles juridiques et pratiques majeurs. Les principes de non-rétroactivité et de sécurité juridique, ainsi que les défis liés à la preuve, ne sauraient être ignorés. La solution pourrait passer par des mécanismes comme des commissions Vérité et Réconciliation, qui associent justice restaurative et transparence, permettant aux « fleurs » de la réconciliation de s’épanouir sans faire taire les « pleurs » des victimes. 

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