Dans ma première contribution, « Pour qui nous prend-il vraiment, ce Bachir Fofana ? » publiée le 31 janvier dernier, j’annonçais, en conclusion, qu’elle pourrait être suivie d’une deuxième, peut-être même d’une troisième. La première n’a apparemment pas plu à Bachir, et peut-être même l’a secoué. Ce qui explique peut-être sa réaction qui ne m’a pas du tout ménagé, à travers une vidéo qu’un ami m’a fait parvenir. Pour se faire une idée du traitement violent qu’il m’a réservé dans sa vidéo, je renvoie le lecteur à ma seconde contribution, publiée le 4 février par WalfQuotidien et le 5 par Yooryoor bi, les mêmes qui ont publié la première. Après m’y avoir présenté comme une personne vraiment insignifiante (nit ku tekki wul dara), il a demandé à ses co-animateurs de l’émission et à toute autre personne qui connaît mon numéro de téléphone, de le lui communiquer pour qu’il m’envoie de l’argent par Wave, pour acheter de la boisson. De la boisson pour retrouver mon calme que j’aurais perdu, selon lui.
Je pensais vraiment que c’était de la blague de sa part. En tout cas je constate, tôt le matin du 4 février, que quelqu’un m’a envoyé 10.000 francs par Orange Money. J’étais loin, vraiment loin de m’imaginer que c’était lui. J’appelle alors le numéro que je ne connaissais pas, celui-ci : 785483367. La personne qui me répond me dit que c’est de la part de Bachir Fofana. Je lui demande de l’annuler immédiatement de lui retourner ses 10.000 francs. Je ne connais pas Bachir Fofana, mais je n’aurais jamais imaginé un tel geste de sa part, qu’il n’a pas d’ailleurs carrément assumé, en préférant passer par un intermédiaire, qui ne devrait pas être content.
Après ces explications, que j’ai développées de façon exhaustive dans la contribution des 4 et 5 février, j’en viens à ma troisième, qui ne sera peut-être pas la dernière sur ses « Lundis » et déclarations parfois fracassantes sur les plateaux de télévisions et devant les micros de radios de certains médias, presque toujours les mêmes. Je reviens donc sur ses « Un président ne doit pas dire ça », « Un président ne doit pas faire ça ». Dans son « Lundi » après la Conférence des Administrateurs et des Managers publics (CAMP), il rappelait, en introduction, le premier voyage à Paris de l’ancien président Wade après son installation officielle le 1er avril 2000, d’où nous sont partis l’essentiel des difficultés que nous vivons depuis cette date fatidique. Bachir y rappelait sa déclaration sur les perrons de l’Élysée quand il allait acheter des armes. Déclaration grave qu’il n’a pas d’ailleurs correctement rendue. J’ai rappelé la vraie déclaration et les conséquences qu’elle a failli entraîner dans ma deuxième contribution (4 et 5 février). Des déclarations de cette nature, imprudentes, spontanées et irréfléchies, le vieux président-politicien en a énormément fait tout au long de ses douze longues années de gouvernance. Je n’en retiens que quelques-unes ici, de très, très nombreuses autres ayant été développées dans les différents livres (au moins six) comme dans les dizaines, voire centaines de contributions que j’ai dédiées à sa longue et presque désastreuse gouvernance.
Je me contenterai de deux de mes livres : « Me Wade et l’alternance : le rêve brisé du Sopi, L’Harmattan Paris, janvier 2005 » et « Le clan des Wade : accaparement, mépris et vanité, Éditions Sentinelles Dakar, septembre 2011 », livre qui sera rediffusé par L’Harmattan Paris un mois plus tard. Je commence les déclarations par l’ouverture de la Conférence sur le Racisme tenue dans la capitale sénégalaise à partir du lundi 22 janvier 2001. Le président Wade, alors euphorique comme c’était souvent le cas, déclarait : « Un burkinabe subit en Côte d’Ivoire ce qu’un noir ne subit pas en Europe. » Un président sérieux peut-il dire ça, et surtout devant la délégation ivoirienne ? Ce texte étant déjà long, je n’insisterai pas sur les manifestations d’hostilité à l’endroit de nos très nombreux compatriotes vivant dans ce pays que la déclaration irresponsable avait entraînées.
Ce n’est pas tout. En pleine campagne électorale pour une élection présidentielle dont les deux principaux candidats étaient Laurent Gbagbo et le général Robert Gueï, le vieux président fera cette autre déclaration, aussi irréfléchie que les autres :
« L’élection de Gbagbo serait une bonne chose. Si c’est ainsi, ce serait une bonne chose pour la Côte d’Ivoire, et cela permettrait d’aller vers la reprise de la coopération internationale et d’éviter l’isolement du pays. » Waaw, de quoi je me mêle ? Un président digne de la fonction peut-il se permettre une telle déclaration, dans un tel contexte se passant dans un autre pays ? Pourtant, elle était passée inaperçue. Naturellement, Bachir Fofana devait être jeune, je crois, mais où étaient les autres, si tel était le cas ?
De telles déclarations, il en fait bien d’autres, aussi imprudentes et aussi spontanées les unes que les autres ? Je renvoie le lecteur qui veut en savoir plus au chapitre III du premier livre et dont le titre est : « Annonces-spectacles, décisions spontanées et souvent sans lendemain » (PP. 51-78). Il fera des déclarations aussi catastrophiques quand il s’agissait de la corruption dont il ne voulait pas entendre parler. Il en voulait à tous ceux qui abordaient cette question, notamment les membres de la société civile de l’époque qu’il traitait rageusement de « politiciens encagoulés ». Chaque fois qu’il était question de corruption, il jouait sur les mots et relativisait. « Il y a la corruption au Sénégal, rétorquait-il, mais le Sénégal n’est pas un pays corrompu. Et celui qui le dira, je l’attaquerai au tribunal ». Il fut un temps où on parlait au Sénégal d’actes de corruption qui éclabousseraient des magistrats. Il réagissait alors ainsi : « C’est un cas isolé qu’on a tendance à généraliser. Il ne remet pas en cause l’intégrité reconnue de nos magistrats. » C’était lors de la Rentrée des Cours et Tribunaux le 10 janvier 2007. Á une question qu’un journaliste téméraire lui posa sur les actes de corruption, il donna cette réponse renversante : « Ces scandales que l’on dénonce sont une preuve de vitalité démocratique. Ils existent dans tous les pays. » Oui, certainement, mais dans les pays sérieux, ces scandales sont combattus parfois avec la dernière énergie.
Le même homme, présidant l’Assemblée générale de l’Association nationale des présidents de conseils ruraux le 9 janvier 2007 à ce qui était alors le Méridien Président, leur lança, à la stupeur générale de toute l’assistance : « Vous vendez des terres sans en avoir la compétence. Si j’avais suivi la loi, certains d’entre vous iraient en prison. » Le mardi 19 mai 2009, il reviendra à la charge pour les rappeler encore à l’ordre de façon plus surprenante encore : « Arrêtez de vendre des terres ! Trop de présidents de communautés ont vendu des terres à des étrangers. Je ne vais plus arrêter les dossiers judiciaires. Vous n’avez pas le droit de vendre des terres. »
Ce n’est pas tout. En tournée « économique » dans le Département de Mbour le lundi 17 mars 2009, donc à moins d’une semaine des élections locales du 22 mars 2009 où il s’était fortement impliqué, il réunit en « séance de travail », à la préfecture même, les frères ennemis libéraux et leurs responsables, pour recoller les morceaux avant la date du scrutin. Ces derniers s’accusant mutuellement de sorcelleries, il trancha net les accusations et contre-accusations en ces termes : « Taisez-vous ! D’ailleurs, n’eût été ma magnanimité, vous tous devriez vous trouver derrière les barreaux. »
Même si ce texte est déjà long, je n’oublierai quand même pas cette autre déclaration-confession, peut-être plus grave que les autres, en tout cas au moins aussi grave. En visite chez son ministre Aliou Sow qui avait perdu sa maman pour lui présenter ses condoléances, il se réjouit des nouvelles constructions dont il se targuait d’être à l’origine grâce aux milliardaires qu’il a fabriqués pendant ses douze années à la tête de l’État. On était à la Cité SIPRES, si mes souvenirs sont exacts. Le vieux président-politicien déclara alors avec fierté : « Mon métier est d’enrichir des gens. J’ai une grande connaissance en finance et en banque. En six mois seulement, je peux créer un milliardaire. Et si vous me demandez comment ça se peut, je peux vous le prouver. » Et parmi ces poulains qu’il a rendus riches et qui étaient présents, il cita exactement Doudou Wade, Aliou Sow, Idrissa Seck et celui qui deviendra le président-politicien, le bel exemple avec son patrimoine de huit milliards, alors qu’il n’était que candidat à l’élection présidentielle de février 2012.
Cette déclaration gravissime de la Cité SIPRES n’avait pratiquement suscité aucune réaction significative, surtout de la part de tous ceux et toutes celles qui s’acharnent aujourd’hui sur le duo Sonko-Diomaye à la moindre incartade. Pourtant, ce métier consistant à enrichir des gens et à en faire des milliardaires, il l’a pratiqué pendant sa longue gouvernance. Ce métier particulier est pour beaucoup dans les difficultés que connaît notre pays aujourd’hui, difficultés que des gens malhonnêtes s’emploient à mettre facilement sur le compte des seuls nouveaux gouvernants.
Cette déclaration vraiment grave, le Vieux président en a fait de très nombreuses autres. Le lecteur qui veut en avoir le cœur net peut se reporter au chapitre VI du livre deux (Le clan des Wade . . .), chapitre qui a pour titre : « Une corruption nourrie et entretenue au sommet de l’État ». Il se rendra alors compte que je n’y ai rien inventé et que j’ai donné les sources de tout ce que j’y ai affirmé avec force. Et il en est ainsi d’ailleurs dans tous les livres et toutes les contributions que je publie depuis plus de quarante ans. Pourtant, on m’a toujours opposé des injures plutôt que des arguments.
Cëy ! Si une seule des déclarations que je viens de passer en revue était sortie aujourd’hui de la bouche d’un Ousmane Sonko ou d’un Bassirou Diomaye Faye ! Dès le lendemain, l’essentiel de la presse écrite s’empresserait d’en faire sa « Une ». Le jour même, les plateaux de télévisions et les micros de radios refuseraient du monde, du monde avec parfois des « chroniqueurs venus d’on ne sait où. Que personne ne me rétorque que ce n’est pas la même chose, que ce n’est pas la même période ! Un président est un président et quelle que soit la période. Il y a des choses qu’il ne doit ni dire ni faire, surtout pendant toute la durée de son mandat.
Il est temps de conclure ce texte qui est déjà long, peut-être trop long. Le lecteur en découvrira les raisons. Je ne le conclurai pas, cependant, sans renouveler mes sincères remerciements à Bachir Fofana pour sa générosité à l’endroit du nit ku tekki wul dara que je suis. Du moins, pour qui il me prend. Cette générosité ne me donne-t-elle pas le courage d’une quatrième et dernière contribution, pour en terminer définitivement avec lui, et mériter peut-être plus de 10.000 francs cette fois-ci ? Que notre Seigneur m’en donne la force !
Dakar, le 9 février 2024
Mody Niang