Quelques jours après son investiture le 20 janvier 2025, le nouveau président américain Donald Trump, signe un décret de suspension pour trois (03) mois de l’aide extérieure américaine. Cette décision alimente la crainte de plusieurs populations et communautés vulnérables sur le continent noir et fera certainement des dégâts.
Toutefois, ce gel de l’aide étrangère américaine et des activités de l’Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID) par l’administration Trump, peut être une bonne et une mauvaise nouvelle cela dépend du bout à partir duquel cette décision qui a fait une onde de choc mondial est abordée. En ce qui nous concerne, nous essayerons de tenir les deux bouts et d’être aussi objectif que possible même si c’est un exercice difficile en de telles circonstances. Tant cette question est sujette à toute interprétation.
Cette suspension est une très mauvaise nouvelle pour l’Afrique. Elle aura un impact considérable car des centaines de milliers de personnes en Afrique bénéficient de programmes d’ONG et autres partenaires de l’USAID. La République Démocratique du Congo (RDC), a perdu plus de 900 millions de dollars dans une période ou l’Est du pays fait face à une crise sécuritaire qui fait des milliers de déplacés, la moitié des fonds de l’Agence américaine pour le développement international est consacrée à l’aide humanitaire dans le pays.
Pour les populations du Sud du Sénégal, qui subissent depuis trente ans (30 ans) les affres d’une guerre, cette interruption gel aussi le retour des populations déplacées qui avec le programme Shelter For Life commençaient leur recasement. Plus de 300 familles risquent de se retrouver sans abri. D’autres programmes comme Kawolor qui est un programme pour l’autonomisation économique de plusieurs communautés vulnérables du Sénégal connaîtra aussi un coup de frein.
Selon Foreign Assistance, un site du gouvernement américain, plus de 68 milliards de dollars d’aides américaines ont été envoyés dans le monde en 2023. L’Afrique en a obtenu le quart, soit 17,5 milliards de dollars dont 424 millions de dollars d’aide humanitaire.
Seulement les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont, quant à eux, capté 720 millions de dollars de cette aide américaine en 2023, soit 453,7 milliards de Francs CFA. Dans le domaine de la santé, ces 3 pays ont reçu en 2023 une aide de 227 millions de dollars. Dans le développement économique, 113 millions de dollars et 263 millions de dollars comme aide humanitaire.
Le Burkina Faso, le Mali et le Niger risquent d’être aussi durement touchés par la suspension de l’aide extérieure américaine qui est primordiale pour leurs économies. Puisque l’essentiel des ressources internes est consacré à la défense. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, confrontés à la guerre contre les groupes armés dans leur territoire, consacrent une grande partie de leur budget à la défense au détriment des autres secteurs.
Par exemple, au Mali, les dépenses militaires ont presque doublé, passant de 299,080 milliards de FCFA en 2019 à 476,378 milliards de FCFA en 2023. Sur la même période, les dépenses des forces de sécurité (police) dans ce pays sont passées de 97,284 milliards de FCFA à 152,466 milliards. L’enveloppe affectée par l’aide américaine aux États du Sahel via l’USAID a été réhaussée en 2024. Les trois pays ont eu plus de 827 millions de dollars, soit la plus grande part des 1 264 milliards de dollars d’aide américaine promise aux pays de l’UEMOA.
Nos États vont-ils compenser ces manquements et apporter à ces populations l’aide dont elles ont besoin ? Ces interrogations les élites ont le luxe de les mener depuis nos salons urbains. Mais les populations de Casamance du Sénégal, de Goma dans l’Est du Congo, d’El Fasher au Soudan… dans l’urgence absolue, se fichent pas mal d’où proviennent l’aide qu’on leur donne tant elles ont tout perdu à cause de guerres civiles et fratricides.
Nous sommes dans une phase de redistribution des cartes dans la géopolitique mondiale. A ce niveau, les Etats-Unis cherchent non seulement à faire un bilan, à évaluer la situation de l’aide, mais surtout à conditionner les bénéficiaires et les amener à s’aligner sur les questions stratégiques et les intérêts vitaux des Américains, quels que soient leurs besoins ou leur volonté de s’en affranchir », selon le consultant en relations internationales Oumar Ba dans BBC Afrique.
Cette énumération exhaustive de pays africains touchés par l’arrêt brusque de l’aide américaine, permet de mesurer l’impact sur les agrégats macro-économiques dans le continent. Le gel de l’aide américaine est une bonne nouvelle dans la mesure où, elle nous permet de mener la réflexion sur des alternatives et sur la nécessité de mettre en place des cadres de financement endogène sur des programmes relatifs la sécurité, la santé, les études et la recherche, mais aussi la démocratie, les droits de l’Homme…
Tout d’abord, ne nous y méprenons pas, ce cadre existe dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est comme Akina Mama Wa Afrika. Cette organisation depuis l’Ouganda finance plusieurs projets et initiatives de promotion de la démocratie et de la gouvernance. On peut aussi citer la philanthropie qui fait défaut au Sénégal comme c’est le cas dans d’autres pays comme Tony Elumelu, Mo Ibrahim, Mohammed Dewji.
Cependant, à côté de ces initiatives individuelles, il manque une dynamique continentale et collective pour enclencher une réflexion sur ces sujets et poser les bases d’une philanthropie africaine.
Et en ce sens, l’histoire nous permet de faire confiance aux organisations de la société civile africaine de diriger ce chantier existentiel car il y va de notre souveraineté dans un moment où le fascisme et le repli sur soi semblent être de retour dans beaucoup de contrées du monde.
Ce décret du président américain Donald Trump, est un coup de boutoir sur le multilatéralisme et une trumpisation relations étrangères basées sur l’hubris de la force. A nous de définir quelle réponse lui donner pour préserver l’altérité et le rendez-vous des civilisations.
Abdou Aziz Cissé
Chargé de Plaidoyer, Démocratie et Gouvernance à AfricTivistes