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Lettre Ouverte à Monsieur Le Président De L’assemblée Nationale (par Doudou Wade )

Lettre Ouverte à Monsieur Le Président De L’assemblée Nationale (par Doudou Wade )

Monsieur le Président, le 19 avril 2018, vous avez encore fait montre de votre propension innée à l’arbitraire en voulant utiliser  l’armée  pour tenter de réduire le temps de parole imparti au député Toussaint Manga, auteur d’une question préalable et procéder à son expulsion. Ce que la loi ne vous permet pas. Submergé par la dispute qui s’est ensuivie, vous avez fini par lui reconnaître son bon droit et tenter, par la suite, de lui opposer un «compromis» qui aurait été arrêté avec les présidents de groupe afin de réduire le temps de parole d’un député à trois (3) minutes. Votre compromis, arrêté en dehors de la conférence des présidents, seule habilitée à organiser le débat, est illégal. Il n’est pas opposable au député Toussaint Manga qui l’a tout bonnement rejeté.

Malgré votre recours à des «bilahi», votre jeune collègue a  adossé son refus catégorique aux dispositions de l’article 74 alinéa qui sont sans équivoque en la matière : «Après la lecture du rapport, tout membre de l’Assemblée peut poser la question préalable tendant à décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Il peut motiver verbalement sa demande sur laquelle ne peuvent intervenir que le président, le rapporteur de la commission saisie sur le fond et le représentant du président de la République. Seul l’auteur de la question préalable peut se prévaloir de la faculté ouverte par l’article 70, alinéa 2 (en reprenant la parole). Le temps de parole de chaque intervenant ne peut dépasser cinq minutes».  Comme à vos habitudes, vous avez fait usage de faux, d’amalgame et de subterfuges pour l’empêcher de parler et le menacer d’expulsion de la séance plénière.

Monsieur le Président, vous avez tort, mille fois tort. Qui plus est, sur la question du temps de parole, vous êtes multirécidiviste. En effet, je me rappelle que, lors de la dernière législature, la même situation avait prévalu entre les présidents de groupe et un de vos vice-présidents qui avait dénoncé un tel procédé.  Mais pour rallier les députés à votre ignominie et admettre votre forfaiture à propos de la limitation du temps de parole, vous travestissez le premier alinéa de l’article 53 du règlement intérieur en y ajoutant «et au bon déroulement des débats». Vous veniez de fabriquer un faux aussi flagrant que votre intention de mener en bateau vos collègues complices. En effet, l’article 53  stipule : «Le président, seul, a la police de l’Assemblée. Il est chargé de veiller à la sûreté intérieure de l’assemblée.»  Comme vous l’aurez remarqué, il n’est point mention de : «et un bon déroulement des débats.»

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Monsieur le Président, n’avez-vous pas une mauvaise compréhension de votre règlement intérieur ? Ne confondez-vous pas : discipline et police intérieure de l’Assemblée ? Faites le distinguo entre le chapitre XIV qui traite la police intérieure de l’Assemblée et le chapitre XV qui traite la discipline (des députés). Sont concernées par le chapitre XIV les personnes autres que les députés (article 53) et les personnes sans autorisation, la presse parlementaire, les personnes détentrices de cartes délivrées par le président de l’Assemblée nationale, le public (article 54). Alors que le chapitre XV règle les problèmes de comportement, d’attitude et de tenue des députés. Il édicte les sanctions disciplinaires et leurs applications. L’article 56 règle la suspension de séance.

L’article 57 liste les seules sanctions applicables aux membres de l’Assemblée dont l’expulsion temporaire qui  est prononcée par l’Assemblée à la majorité des membres présents et au scrutin secret (article 59 alinéa 1). L’article 59 alinéa 2 stipule que «dans les cas exceptionnels susceptibles de bloquer les travaux tels que : injures, invectives, menaces, bagarre, ou agressions, le présidant peut prononcer l’expulsion temporaire de l’Assemblée.» Le député Toussaint Manga a juste demandé de disposer de son temps de parole. Il a répété plusieurs fois : «Je prendrai mes cinq minutes.» Il n’y a eu ni injure ni invective ni bagarre ni agression.  Il n’a pas causé de scandale ni troublé les débats d’une manière jugée inadmissible par le président de séance. Et même si c’était le cas, seule une sanction disciplinaire lui serait applicable. Ce qui est un véritable saut d’obstacles et vous ne l’aviez pas compris.

Monsieur le Président, le paradoxe est que c’est vous qui avez troublé la séance pour avoir été un président partisan, agité et bavard à tel point qu’un de vos collègues «le plus drôle avec des vérités absolues» (selon la presse), vous a donné le sobriquet de «Président dictateur». Vous êtes le seul président de cette institution sur qui est collée une telle étiquette. Aucun de vos prédécesseurs n’a connu vos difficultés et n’a subi de tels supplices. Il vous arrive même de verser des larmes pour donner des gages à votre bienfaiteur et donneur d’ordre.

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Monsieur  le Président, le député Toussaint Manga est une victime, votre victime. Vous lui avez refusé son temps de parole de cinq minutes au motif de faire tout pour que la discussion générale  ne puisse se tenir comme l’aurait demandé le président de la République. Malgré la rigueur de la loi, vous êtes arrivés à vos fins. Après avoir fait inscrire les députés qui souhaitaient intervenir, procédé au contrôle par appel nominatif, vous parachevez votre forfait par  «un vote sans débat».

Lors de prochaines rencontres parlementaires, comment pourriez-vous expliquer à vos collègues de l’Uemoa, de la Cedeao, du Parlement panafricain  et de l’Uip que vous avez des «mécanismes uniques au monde»  pour réviser une constitution sans débat et à la majorité des 3/5 des suffrages exprimés, une incongruité introduite par la loi n° 2016 -10 du 5 avril 2016 portant révision de la Constitution (j’y reviendrai bientôt).

Monsieur le Président, je sais que vous êtes capable de déshabiller un député, un collègue qui a l’âge de votre  petit fils, en l’expulsant manu militari par les forces de gendarmerie. Vous auriez commis une très grave faute comme ce fut le 17 décembre 1962 quand «l’Assemblée nationale a été cernée par des gendarmes, des représentants de la nation expulsés de leur lieu habituel de réunion et plusieurs d’entre eux arrêtés» (je cite de mémoire Senghor). Depuis cette date, à notre connaissance, un gendarme ne s’est introduit dans la salle de séance sur réquisition orale de son président. Pour peu, on allait frôler ce scénario qui aurait été un désastre national : Un colonel maîtrisant et menottant un député à la tribune de l’Assemblée nationale ou un député assis sur la poitrine d’un colonel réquisitionné par un président irrespectueux du Règlement intérieur de l’institution qu’il dirige. Notre pays a assez souffert de ces évènements de 1962 pour ne plus penser les revivre ; mais avec vous au perchoir, il faut s’attendre à tout.

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Monsieur le Président, ayez la sagesse et le calme du président Abdou Diouf qui n’avait pas requis un officier assermenté pour vous expulser de la salle de réunion quand vous avez joué au Cassius Clay sur la figure d’un de vos collègues. Bravo et à quand la toute prochaine bévue. Recevez mon cher représentant et président de l’Assemblée mes sentiments citoyens.

Doudou WADE 

Conseiller en Ressources humaines

Ancien instituteur

Ancien contrôleur du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale

Ancien député

Ancien président du Groupe parlementaire Libéral et démocratique

Ancien député du Parlement de la Cedeao

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