Les propos du président de la République Macky Sall sur sa conviction républicaine supposée semblent s’être mués en vaines et malsaines digressions culinaires, totalement indigestes. Là où l’on attendait de retenir les saveurs exquises et délicieuses d’une certaine philosophie politique ou d’une pédagogie du pouvoir, il nous a servi un dessert déplacé, dégoûtant et déplaisant, notamment à l’égard de tous les Africains dont les ancêtres ont éprouvé d’énormes souffrances du fait de la colonisation et de l’incorporation forcée dans les régiments de « tirailleurs sénégalais ».
La liberté de forger soi-même son destin et l’égalité devant la loi est considérée comme une valeur supérieure et antérieure au dessert. C’est ce que les soldats au camp de Thiaroye ont voulu rappeler aux colons. Ils furent abattus, non pas à coups de pommes, d’oranges, de bananes, de tartes, de crème glacée, de pots de yaourt ou de galettes bretonnes, mais par les armes de la domination coloniale, de l’injustice politique et de l’intolérance barbare.
L’incorporation de milliers de Tirailleurs sénégalais dans les bataillons de la Résistance lancés à l’assaut du nazisme pour défendre la terre France n’a pas été une partie de plaisir du fait des délices d’un abricot ou d’une grappe de raisins. Bien au contraire, les dénis de reconnaissance, vécues au lendemain de la guerre, sont à l’origine de souffrances sociales et psychiques majeures. Celles-ci n’ont été corrigées que récemment, sous la présidence de François Hollande, pour rétablir les Anciens combattants dans les mêmes droits que leurs compagnons d’armes de l’Hexagone.
Pathologique, pathétique, pitoyable, … Voilà les quelques réactions non vulgaires que j’ai pu lire dans les réseaux sociaux à l’endroit de ce président qui, en cherchant à « faire livre », nous a infligé comme apéritif 4 tonnes d’inepties déconcertantes et nauséabondes, d’absurdité, de légèreté et de gravité. Là où l’on attendait 4 tomes de discours intelligents, nous avons eu droit à 4 tonnes de « desserts » indigestes. Un président ne devrait jamais parler comme ça, sommes-nous tentés de dire. Mais, en réalité, le langage est la fille de la pensée. Mauvaises pensées choisies, mauvaises paroles dites, suis-je tenté de dire !
Il n’est certes pas question aujourd’hui de se lamenter et de remuer le couteau dans la plaie coloniale, mais le président de la République a sorti une phrase historiquement fausse, politiquement incorrecte et diplomatiquement malheureuse, qui mérite la manifestation de notre indignation la plus forte, d’autant plus que l’expression a comme soubassement une supposée conviction qui reste à être démontrée.
Il faut se méfier de parler de conviction, car « celui qui n’a que des convictions n’a rien approfondi ». S’il avait approfondi ses convictions par une véritable sociologie historique et une anthropologie politique, il aurait compris comme nos étudiants en Licence 2 de Science Po que tous les tirailleurs n’étaient pas Sénégalais et que leurs conditions de vie en temps de guerre n’étaient pas un banquet où les desserts étaient servis en fonction de l’amitié plus ou moins rapprochée entre les peuples. Et même s’ils étaient tous Sénégalais, Il n’y a aucune gloire à être fier de voir les autres compagnons d’infortune être privés de dessert. Ce goût de l’amitié fondé sur le dessert est répulsif. Cette allégorie politique du dessert est un alibi pour mieux se servir de la diplomatie du ventre.
Entendre un chef d’Etat africain soutenir de tels propos, peu surprenants de sa part au regard de la prolifération de bourdes caractéristiques de ses discours, n’est pas seulement frustrant mais profondément révoltant. Ces propos inappropriés, dénués de vérité historique et de profondeur analytique, rappelle aux historiens sérieux et aux personnes cultivées la scène de ce sympathique esclave noir aveugle, récemment affranchi, qui s’avança devant les deux Victor, Schoelcher et Hugo, lors du banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage du dimanche 18 mai 1879 pour remercier la France de lui avoir permis de devenir un homme.
Près d’un siècle et demi plus tard, voilà qu’un homme politique, dont on rappelle qu’il est né après les indépendances, comme si cela était une qualité politique en soi, se féliciter et se glorifier d’être un « ami des français », une amitié qui aurait notamment pour fondement un dessert.
Est-ce que ce président est sérieux ? La gourmandise du pouvoir n’a apparemment pas de limites. Le déni colonial se voit à travers les caricatures culinaires. « Ventre plein, nègre content » prend alors tout d’un coup tout son sens, tout comme le « Y A BON, BANANIA » était devenu une question de rentabilité géopolitique et non plus une publicité mensongère et raciste.
Face à ce déni de réalité, il est difficile de ne pas faire un retour sur Césaire, le Nègre Intégral, pour déplorer les répercussions sur les consciences individuelles dont il parlait à propos des Noirs, c’est-à-dire de « ces millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme ». Même pour ceux nés après les indépendances… Car, il semble être tiraillés par deux passions ennemies : le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Et finalement, et pour le dire à la manière de Nietzsche : « on se mentit à soi-même pour trouver les raisons qui font subsister ces lois, rien que pour ne pas avouer que l’on s’était habitué à leur domination et que l’on ne voulait plus entendre parler d’autre chose. »
Le dessert est donc une contre-vérité historique destinée à justifier et à légitimer des choix diplomatiques et géopolitiques décriés. Et si le dessert n’était en fin de compte que la manifestation du désert de la réflexion profonde sur la République, l’Etat, le pouvoir, la politique, la démocratie, la citoyenneté, l’intégrité, la sincérité, la solidarité, la liberté et …l’amitié ? La conviction républicaine n’a en réalité accouché que d’un dessert périmé.
Ibrahima Silla
Président du Mouvement Leneen ak Nieneen. Membre du Directoire de « FIPPU-Alternative citoyenne ».