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Lettre à Un Grand-père Ancien Tirailleur

Lettre à Un Grand-père Ancien Tirailleur

Grand-père, j’espère vous reposez en paix et que là où vous êtes actuellement, Dieu le tout puissant vous fait porter les galons des élus, si différents des galons des répresseurs colons qui vous avaient mobilisé pour servir leur propre dessein. Aujourd’hui que vos petits-fils, encore ligotés par les chaines de la honte par leur propre volonté, torpillent l’histoire pour des considérations uniquement gastronomiques, je m’incline sur votre mémoire comme sur la mémoire des tirailleurs lâchement assassinés à Thiaroye le 02 Décembre 1944 parce qu’ils réclamaient ce qui leur était dû. Vous faites partie certainement des anonymes combattants enterrés sans cérémonial au « Tata sénégalais » de chasselay, cimetière de Tirailleurs hanté par les soupirs de vaillants guerriers morts pour une cause qui n’était pas la leur. De Verdun aux tranchées de l’Artois, de Bir Hakeim à Toulon, vous avez combattu sans rechigner, portant vos amulettes pour conjurer le sort de ces satanés canons qui vous broyez les entrailles. Mais grand père, comme le dit Karl Marx, l’histoire se répète toujours deux fois, la première fois comme tragédie et la seconde fois comme farce. La tragédie, vous l’avez vécu, et la farce, elle nous a été servie comme dessert sans notre consentement.

Aujourd’hui grand-père, on voit de plus en plus de personnes, soumis à un complexe anachronique défendre, d’une manière explicite, un héritage qui nous a écrasés. Je suis perplexe de constater que l’amour des chaines et de la soumission peut venir de citoyens qui n’ont pas directement vécu la réalité de ces chaines. Des propos qui témoignent d’une auto-flagellation absurde font légion, portés par d’illustres personnes représentant le peuple, censées insuffler aux jeunes générations la fierté d’appartenir à un peuple de résistants qui ont sacrifié leur chair et leur sang pour que cette nation puisse demeurer noble et respectable.

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Grand père, je vois maintenant, d’une manière beaucoup plus nette que naitre après les indépendances ne procurent pas forcément une mentalité de décolonisé. La décolonisation est d’abord et avant tout mentale, c’est un état d’esprit d’une personne courageuse, fière et qui n’est pas soumis à la servitude volontaire. Aujourd’hui, je constate pour en pleurer que notre porte étendard, non seulement manque de tact et d’épaisseur historique, mais aussi et surtout d’honneur et de fierté. Beaucoup de nos ancêtres comme vous ont été enrôlés de force, arrachés à leurs terroirs comme de vulgaires objets pour les placer à la merci des chars de combat pour faire office de chair à canon. Beaucoup ont résisté au prix de leur vie. Je pense à la révolte des bambaras de juin à novembre 1915. Je pense à toutes les sortes de mutineries organisées partout au Sénégal pour ne pas voir une masse de forces vives alimentaient les champs de bataille au détriment des champs de mil.

Grand père, il parait que, Sénégalais parmi les tirailleurs et privilégiés parmi les enrôlés vous aviez droit au dessert. Il parait que c’était tellement appétissant que vous narguiez vos autres collègues tirailleurs, eux aussi sénégalais, mais venant d’autres pays. Alors c’était quoi le menu ? De la tarde normande aux abricots ou du far breton ? Des cannelais bordelais ou des clafoutis ? En fermant les yeux, j’imagine comment vous taquiniez les autres africains avec des bouts de gateau : « yaa do léne gname, mbeulé » vous disiez. Alors grand-père je me pose beaucoup de questions. N’est ce pas vous qui refusiez à la base de combattre pour le colon ? N’est ce pas vous qui aviez refusé la conquête ? N’est ce pas vous qui, même colonisés, aviez refusé les formes les plus barbares de soumission ? Comment pouvez-vous donc être amis avec l’ennemi parce que simplement, après vous avoir enrôlé avec force, ils vous installent dans un système de privilèges au dessert ?

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Rassurez-vous grand-père, je comprends que c’est une grotesque erreur. Votre noblesse ne vous l’autorise pas, il ne doit pas aussi nous l’autoriser. Les français ne sont pas nos amis parce qu’ils vous servez du dessert et ils ne sont pas non plus nos ennemis parce qu’ils nous avaient réprimé. Nous devons être dans une lucide collaboration où chacun défend les intérêts de son peuple. Celui qui invoque une logique gastronomique et distinctive par rapport aux frères africains pour parler d’une amitié qui n’existe que dans leur tête, alors ça n’engage que lui. Peut être qu’il est dans son élément, celui du « jeune » négre et de la médaille, qui vend tous ses biens, ses terres et ses fils pour satisfaire le colon. Mais, à la différence de Neka dans un « Vieux négre et la médaille », il ne va pas se révolter.

Tous mes respects grand-père. Un petit fils, pour la bonne cause.

 

CHEIKH AHMADOU ABDUL GUEYE.

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