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Territorialisation De L’action Publique : Où Situer La Cohérence Entre Le Discours Et Les Actes?

Le Sénégal qui, dans les années 1990 était considéré comme une référence en matière de décentralisation pour les pays africains, est aujourd’hui à la traîne selon plusieurs observateurs qui indexent l’absence d’une vraie politique de développement local, des textes pour la plupart dépassé ou incohérent, un régime financier inadapté qui ne permet pas aux collectivités locales de se sevrer de la pesanteur de la tutelle de l’État, un cadre territoriale en déphasage avec les dynamiques socioéconomiques locales, une incapacité des élus locaux à prendre en charge les vrais besoins de leurs administrés qui trahissent l’esprit de la réforme de 1996 et une instabilité dans le département ministériel en charge de la décentralisation. Je pense, c’est en tenant compte de tout cela que le nouveau régime sorti de cette seconde alternance de mars 2012 a décidé de donner une autre dimension au processus en cours depuis 1972.

Lors du Conseil des ministres du 07 mars 2013, le président de la République « a informé le Conseil, de la construction à Diamniadio, d’un grand centre de conférences de dimension internationale qui, au-delà d’abriter le 15ème Sommet de la Francophonie en 2014, sera structurant pour les activités économiques et sociales de la zone périurbaine de Dakar ». Où est la cohérence en ce moment entre le discours les actes? Le Sénégal s’arrête-t-il au couloir Dakar-Mbour en passant par Diamniadio ? N’est-ce pas encore renforcer le déséquilibre territoriale déjà lourd de conséquence pour le développement harmonieux du pays, tant sur le plan économique que social ?

Avec moins de 0,3% du territoire national, la région de Dakar qui regroupe un quart de la population sénégalaise, concentre aussi plus de 80 % des activités économiques du pays. Pourtant, dans un entretien accordé à l’APS et au Soleil, 1er février 2013, le ministre de l’Économie et des Finances, Amadou Kane, soutenait que la décentralisation peut entraîner la baisse du coût du foncier à Dakar et par voie de conséquence, engendrer la réduction du prix du loyer. Cela « ne pourra se faire que si les politiques de décentralisation et de délocalisation se poursuivent pour désengorger Dakar ». Dans la même veine, pour Bocar Sy, directeur général de la Banque de l’habitat du Sénégal (BHS), la décentralisation économique demeure la solution pour régler la crise du logement qui sévit à Dakar . C’est dans ce même registre que le Premier ministre, Abdoul Mbaye a présenté, le 10 septembre 2012, un pan de sa déclaration de politique générale devant les députés.

En effet, si le diagnostic et le cadre d’action semblent être bien posés à travers le projet de territorialisation prôné par le Président Macky Sall, cependant un doute sérieux persisterait sur les moyens d’action et surtout, sur les vraies orientations de cette politique dite de territorialisation. Voilà ce qu’on en parle depuis bientôt un an.

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Premier acte : Acte III de la Décentralisation sénégalaise

L’État du Sénégal va bientôt initier des réformes pour renforcer la démocratie locale, réorganiser les relations entre l’État et les collectivités locales et transférer de nouvelles compétences aux communes, aux communautés rurales et aux régions. Cette nouvelle réforme devra consacrer l’Acte III de la politique de décentralisation au Sénégal, sera accompagnée d’une politique de territorialisation des politiques publiques. En conséquence, il était prévu une concertation avec l’ensemble des acteurs clés dès la fin du Sommet Africités, tenu à Dakar du 4 au 8 décembre 2012. Ces nouveaux chantiers devaient faire des collectivités locales des « entités autonomes et émancipées de la tutelle de l’État qui continue de peser malgré les réformes opérées en 1996 ». Il est aussi prévu de transférer de nouvelles compétences aux collectivités locales pour leur permettre d’assumer de nouvelles missions qui étaient traditionnellement à la charge de l’État .

En 1996, le Sénégal avait entrepris une réforme de grande ampleur plus connue sous le nom d’Acte II de la Décentralisation à l’origine de l’autonomie morale et financière des collectivités locales (loi 96-06), de l’érection de la région en collectivité locale et du transfert de neuf domaines de compétences dont l’Éducation, la Santé, l’Environnement, le Sport, etc… (96-07). Des évaluations faites à l’occasion des Assises de la Décentralisation insistaient sur la nécessité d’apporter des correctifs notamment pour clarifier les relations entre l’État et les collectivités locales.

La promotion des investissements dans les régions nécessite une démarche marketing et une amélioration de l’environnement des affaires au niveau local . A cet effet, selon la directrice adjointe de l’Apix, il est mis en place un Conseil pour l’émergence des territoires, qui va instaurer un cadre de dialogue public-privé et regrouper les collectivités, les acteurs publics au niveau local et les acteurs privés. Ce conseil devrait avoir trois objectifs : d’abord, identifier les contraintes à l’investissement et proposer des solutions aux problèmes, ensuite, promouvoir les secteurs porteurs et enfin, aider à l’accélération des stratégies nationales en matière de développement. Le développement équilibré des territoires nécessite la réalisation d’infrastructures d’appui, la capacitation d’acteur au niveau local et le renforcement du dialogue public-privé, car « le Sénégal doit se donner les moyens pour ne pas rater l’émergence à l’horizon 2017».

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Pour rendre beaucoup plus inclusif le développement socio-économique du pays, le président Macky Sall a décidé de pousser plus loin la politique de décentralisation en mettant en œuvre l’acte III de la décentralisation au Sénégal. Et c’est la Casamance qui a été choisie pour servir de test : « Le chantier est déjà ouvert et j’ai choisi la Casamance pour servir de test à cette politique de territorialisation » . Selon Arame Ndoye, ministre de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales, cette nouvelle étape de la gouvernance territoriale devrait démarrer dès le premier trimestre 2013 . Elle devra être plus économique à travers une meilleure décentralisation du Budget consolidé d’investissement (BCI). Il s’agira ainsi de transférer une bonne partie du pouvoir économique aux collectivités locales pour lutter contre leur manque de moyens financier, ce qui permettra aux collectivités locales de lancer des appels d’offre à partir de leur territoire, selon le président Macky Sall.

Deuxième acte : Mise en place de pôles régionaux de développement

Tambacounda sera l’épicentre oriental d’un des 6 pôles de développement économique et social qui seront créés dans tout le territoire national, et va englober les mines les énergies l’agriculture et les services sociaux . Il est prévu aussi de faire du Sine-Saloum, un pôle régional centre qui abritera parmi d’autres structures et infrastructures, des services centraux de l’État, une université, une véritable académie du centre avec des campus à Fatick et Kaffrine . De même Vélingara devrait être érigé en un « véritable pôle de développement économique ».

Troisième acte : Passer à la communalisation universelle

A traves l’Acte III de la Décentralisation, il s’agira aussi « d’universaliser la communalisation » au Sénégal, car toutes communautés rurales vont devenir des communes, selon Cheikh Bamba Dieye . Et « cette communalisation universelle devra donner à toutes les entités la possibilité de se mouvoir dans des espaces, économiquement viables et homogènes, pour permettre aux élus d’avoir les moyens d’amorcer le développement territorial ». Pour ce faire, il est question d’une refonte totale du Code des collectivités locales de 1996.

Au-delà de ce projet, et des discours d’intention, il faut reconnaitre que la surconcentration des activités et des hommes dans la région de Dakar et environs est la résultante de choix de planification et d’aménagement du territoire avant l’indépendance et poursuivi par les différents régimes depuis 1960. Ce qui donne ce résultat de macrocéphalie inquiétante dans un Sénégal désertique et sous-exploité. Certes, Dakar, en tant que capitale du pays et la vitrine du Sénégal, mérite un visage plus reluisant. Mais n’y avait-t-il pas un autre moyen de promouvoir la capitale nationale sans délaisser le reste du territoire ?

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Après le premier sommet de la Francophonie au Sénégal en mai 1989, Dakar a été encore préféré aux autres capitales régionales pour abriter le sommet de la Conférence islamique mars 2008, comme il n’existait aucune autre ville au Sénégal en-dehors de Dakar. Ces deux évènements majeurs ont été des occasions ratées pour amorcer ce processus de développement territorial indispensable pour rééquilibrer le poids de la capitale dans l’échiquier national. Ce qui a vraiment manqué jusqu’ici dans les politiques d’aménagement du territoire au Sénégal (mis à part les actes posés par le président Wade avec l’autoroute à péage et l’aéroport Blaise Diagne de Diass), c’est l’audace à travers un volontarisme affirmé. Dakar reste le seul et vrai centre urbain (aux deux sens du terme) du pays, avec toutes les offres de services, du plus simple aux plus complexes. Ce qui encourage les populations des régions périphériques à débarquer à Dakar, avec toutes les conséquences que l’on connait : problèmes de mobilité, dégradation de l’environnement, insécurité, problèmes liés au logement… Car en en dehors de Dakar il n’y a presque rien. Et l’on continue de renforcer sans se soucier de ces conséquences dans le moyen et long terme.

Or, des villes comme Saint-Louis, ancienne capitale du Sénégal jusqu’en 1958, avec ses capacités d’accueil (hôtels, auberges, et autres infrastructures de taille) et Kaolack avec sa position de carrefour et son potentiel de rayonnement sous régional, présentent une alternative crédible pour accueillir un tel sommet. En effet, si le Sénégal a été choisi pour accueillir le prochain sommet de la Francophonie, rien n’obligeait pour autant que ce sommet se tienne à Dakar, surtout au moment où la territorialisation des politiques publiques est devenue le leitmotiv des autorités du pays.

Le choix d’une autre capitale régionale pour accueillir cette rencontre allait être une occasion et une grande opportunité pour concrétiser cette nouvelle orientation tant chantée dernièrement ces derniers temps par les autorités actuelles du pays. Malheureusement, les mêmes actions risquent de conduire aux mêmes effets. Car même si Dakar, avec 54% de la population urbaine du pays, et que selon le PDU « Dakar Horizon 2025 », sa population passera à 5 020 021 en 2025 contre 2 471 730 en 2001, le Sénégal, ce n’est pas seulement les 550 km2 de Dakar, c’est un territoire de 196 190 km² et plus de 12 767 556 d’habitats (ANSD, 2011).

 

Dr Djibril DIOP

djibrildiop@voila.fr

CRASC

Montréal

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