Jamais dans l’histoire politique sénégalaise, une élection présidentielle n’a été présagée avec, à la fois, autant de confusion et d’incertitude dans l’esprit de bon nombre d’entre nous. Aucune possibilité d’analyse comparative approfondie encore moins de visibilité sur les choix politiques des uns et des autres ne se dégagent à l’horizon. À part quelques résultats de sondages distillés par-ci, par-là et auxquels les Sénégalais sont souvent dubitatifs en raison de leur défaut de fiabilité accentué par les contraintes de la loi 86-16 du 14 avril 1986 relative aux sondages, notre vision du futur se résume à de l’extrapolation ou au pire à prendre notre mal en patience.
Il faut quand même souligner que, d’aussi loin qu’on s’en souvienne, de potentiels candidats-challengers de l’opposition dite significative n’ont été dans d’aussi beaux draps. Prenons pour exemple ces trois cas patents pour nous donner un ordre d’idée de l’ampleur de la situation à laquelle nous sommes actuellement confrontés :
– Le “fils prodigue”, M. Karim Wade, candidat choisi du principal parti de l’opposition en l’occurrence le PDS (Parti Démocratique Sénégalais) et de ses alliés, alors gracié à la demande de ??? (notre langue au chat !), qui se fait prendre à son propre jeu et risque de voir l’arrêt de la CREI n°02/2015 du 23 mars 2015 se pendre exécutoirement comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête et le doute s’installer sur son hypothétique retour au bercail.
Inutile de le nier, le “j’y vais ou j’y vais pas” semble l’avoir déjà gagné, même si, à travers ses deux ou trois dernières missives estampillées “tâteuses de pouls” et postées depuis Doha, il semble donner l’impression de vouloir en découdre quoi qu’il advienne ;
– Considéré par la plupart des observateurs chevronnés comme l’un des adversaires les plus redoutables du régime sortant, l’actuel maire de la capitale, M. Khalifa Sall, condamné en première instance pour détournement de fonds publics et dont la candidature depuis la prison a été publiquement annoncée le 26 juillet passé est pris dans les rouleaux compresseurs d’une procédure judiciaire sans fin.
Quoique, la Cour de justice de la CEDEAO ait rendu – en partie – en sa faveur l’arrêt du 29 juin 2018, son second souffle fut de courte durée car, ce qui devait servir de moyen d’arbitrage était devenu la cause principale de la tumultueuse fin du procès en appel. Toujours est-il que, ses partisans, croyant dur comme fer au destin de leur mentor pensent que, tôt ou tard, “la tempête Lula” en provenance de la côte nord-est brésilienne finira par former un “oeil” clair doté d’une impressionnante force de Coriolis capable de la diriger vers les côtes sénégalaises pour ensuite donner naissance à “l’ouragan Khalifa” !
La teneur du jugement en appel, très attendu, du 30 Août courant nous en dira plus ;
– L’ancien Premier ministre, M. Idrissa Seck, qui était très bien parti pour sortir du lot, est, quant à lui, en passe de perdre le contrôle et la maîtrise du temps de sa communication. Et cela, depuis qu’il s’est finalement réfugié après son “Bakkar”* – pardon – sa faute politico-religieuse, derrière une soi-disant tournée dans la Diaspora dont les retours sont aussi impopulaires que quasi inexistants.
Tout ça pour dire combien ce semblant de néant a incité certains souteneurs de l’actuel régime – moins avertis, bien sûr – à rester immuables dans leurs convictions qu’il n’y aurait rien en face. Du berger à la bergère, les répondants d’en face, accusent alors – à tort ou à raison – le pouvoir exécutif d’utiliser le pouvoir judiciaire comme bras armé pour liquider des adversaires politiques. et, ce faisant, d’être responsable de tout ce “manège” entraînant, de fait, ce silence agaçant mais bruissant de paroles. Une situation qui place évidemment le pays sous une tension ambivalente et les électeurs dans une position extrêmement inconfortable. Ce qui justifie l’ambiance déconcertante pour ne pas dire kafkaïenne** qui y règne et, par ricochet, cette question suivante qui brûle toutes les lèvres : que nous réservent encore les astres de la politique sénégalaise au soir du 24 février 2019 ?
Pour tenter d’orienter la réponse à la question ci-dessus, nous vous proposons cette modeste analyse axée autour des différentes actions que doivent naturellement mener les deux principales composantes du landerneau à savoir la majorité présidentielle et son opposition afin d’être conformes au jeu politique :
– Une majorité présidentielle qui fignole sans ligne directrice commune et sans détermination collective son plan de stratégie de conservation du pouvoir
À 6 mois, jour pour jour du scrutin, le pays, qui devrait être sur un air de campagne préélectorale est plutôt pris entre le marteau d’une majorité présidentielle hétéroclite, encombrée par des militants de la 25ème heure, qui, à force de m’as-tu-vu risquent de l’exposer à la médisance et ; l’enclume d’une opposition désorganisée qui fait toujours mine de se chercher malgré ses énormes potentialités.
Alors qu’en pareille période où la loi électorale est maintenant bunkerisée par les dispositions de l’article 2 du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté à Dakar le 21 décembre 2001 par la CEDEAO, le temps de l’occasion opportune communément appelé “le kairos” chez les Grecs voudrait bien que, de part et d’autre, la logique politique soit synchronisée avec celle dite de l’économie.
Autrement dit, pour rendre payante son opération de charme en vue de la conservation du pouvoir et de son accroissement, le régime sortant se doit de saisir les bonnes occasions comme celle-ci (opposition en manque de stabilité et désorganisée), et, d’élargir autant que faire se peut et concomitamment son champ de vision et d’action. De la même manière, il doit faire preuve de plus d’agressivité communicationnelle.
Non pas en inaugurant à tout-va des infrastructures comme il nous a été, de coutume, donné de constater à l’approche d’une présidentielle, mais en imposant plutôt ses thèmes de campagne dans l’agenda médiatique. D’autant plus que l’histoire politique nous a toujours enseigné à quel point la mémoire collective est parfois si défaillante voire cruelle auprès de ses grands Hommes, fussent – ils les plus plébiscités pour leurs oeuvres infrastructurelles.
Dès lors, il vaudrait mieux qu’il fasse comprendre le plus possible à l’opinion l’existence d’une parfaite corrélation positive entre son bilan tiré du PSE et les perspectives économiques et sociales du pays. En quelque sorte, idéaliser la primauté d’une continuité – même si l’imposition d’un changement devrait s’avérer nécessaire.
En montrant et démontrant ainsi, à l’ensemble des électeurs notamment les plus indécis et les moins réceptifs que leur avenir meilleur ne saurait être mieux assuré qu’entre ses propres mains, elle détournerait indirectement l’attention de ces derniers de ses oeuvres les moins reluisantes.
– Une opposition de plus en plus éparpillée et toujours en quête de leader(s) incontestable(s)
L’opposition, en ce qui la concerne, avec sa quarantaine de déclarations à la candidature répertoriées à ce jour, a pour première mission de prendre davantage de hauteur et d’humilité en évitant comme nous l’avions déjà indiqué dans une de nos précédentes analyses publiée le 7 janvier 2018 et intitulée “2018 : Prospective politique d’une année électorale captivante !“, de s’osciller entre sentiment d’impuissance et espérances fragiles.
En des termes on ne peut plus clairs : résoudre une bonne fois pour toutes leurs antécédents internes, devenus, au fil des années, clivages injustifiés dus au “Moi ou personne d’autre” qui anime la grande majorité d’entre ses leaders. Et pour bien surmonter ce défi, il est plus qu’impératif que ces derniers soient à même d’équilibrer leurs égos généralement surdimensionnés avant d’en arriver à la dernière extrémité.
Ensuite, elle devrait s’atteler à se démarquer communicationnellement de la ligne du régime sortant en s’appuyant sur son éventuelle offre politique programmatique pour se positionner comme seule alternative crédible. Dans cette optique, elle se doit de veiller à la réorientation du débat politique vers le défaut de retombées économiques significatives, aussi bien pour les ménages, que pour les entreprises locales.
En touchant ainsi là où ça fait mal, l’opposition fera revivre le fameux slogan de campagne du brillant commentateur politique américain James Carville, jadis responsable de la campagne de Bill Clinton lors de la présidentielle de 1992 contre le président assis George HW Bush par ces mots : « It’s the economy, stupid » – littéralement « c’est l’économie, idiot !» ; pour rappeler aux électeurs américains que ce dernier aurait d’abord dû s’occuper de la situation économique du pays avant de se glorifier d’une action internationale (avec la première guerre du Golfe) dépourvue d’enjeu national immédiat.
Ou bien, l’opposition sénégalaise a-t-elle définitivement opté pour donner une seconde vie à cette phrase désespérante lâchée in extremis par le candidat français d’alors Emmanuel Macron : « On se fout des programmes ! Ce qui compte c’est la vision !” ? Ou encore, trop préoccupée par “les primaires” de la collecte improbable des prés de 55 000 signatures d’électeurs requises pour chaque candidat(e), préfère-t-elle s’accommoder à penser que l’élection présidentielle n’est plus – comme connue d’antan – la rencontre historique entre un homme et un peuple mais plutôt entre deux conceptions de la vie politique, totalement antagoniques ?
À savoir, d’un côté, la gestion de la société par une élite clanique et, le système traditionnellement appelée « démocratie », c’est-à-dire le choix par le peuple de leurs dirigeants au moyen d’élections libres et transparentes, de l’autre.
En tout état de cause, hormis les déclarations de candidature à la candidature notées çà et là, aucun grand parti ou grande coalition de partis politiques n’a encore – à notre connaissance – officiellement investi un(e) candidat(e) comme il se doit. Les programmes (sic) n’en parlons pas ! Plusieurs entités se suffisent pour le moment à des investitures d’un nouveau genre telles que Facebook, Twitter, Snapchat, Instagram ou Youtube, pour tenter d’embobiner le maximum de jeunes avec – pour la plupart – des fake news comme appât à l’endroit de son ou ses adversaires potentiels. Disons-le d’emblée et sans mâcher nos mots que le “It’s the voters, stupid ! “ littéralement “Ce sont les électeurs, idiot !” a dorénavant pris le dessus sur tout.
D’aucuns nous rétorqueront certainement, dans la foulée que, les comparaisons ne sont toujours pas transposables à degré élevé d’un pays et/ou d’une époque à l’autre, mais reconnaîtront tout de même que dans un tel contexte de période préélectorale, le peuple mériterait beaucoup plus que ce qui lui est présentement servi comme avant-goût. Sa lanterne se veut et se doit d’être – tant soit peu – éclairée avant qu’il ne s’embourbe dans le néant. Soit, le professeur assez critique de philosophie Harold Bernat avait-t-il raison d’avancer que : “Ce qui a disparu du champ politique, faisant s’effacer le champ politique lui-même, c’est le savoir. Non pas celui des soi-disant experts techniciens, ils sont légion, mais celui de la conscience critique.” ?***
Si oui, il nous faudrait alors en désigner les vrais responsables qui pourraient – à coup sûr – provenir : de certains médias que l’on ne cesse de pointer du doigt de faire – quelques fois – office de relais à contresens ? Ou de l’oligarchie toute-puissante qui fait et défait des présidentiables au gré de leurs intérêts ? Ou encore des intellectuels qui, pour l’essentiel, ont choisi d’abandonner leur mission de veilleurs et d’éveilleurs en se morfondant dans l’indignation et parfois même dans l’inaction pour tenter de noyer leur impuissance par le silence ? L’un dans l’autre, c’est toujours le peuple qui trinque !
Surtout que, ce ne sont pas les sujets qui manquent. Par exemple, il ne fallait pas être un expert en sciences économiques pour comprendre que le problème récurrent des Sénégalais était de réduire drastiquement le chômage endémique des jeunes – plus adeptes du “Barça ou Barsakh”**** que du système “LMD : Lutte – Musique – Danse” – qui demeure toujours préoccupant, malgré les différentes politiques publiques menées dans ce sens. La stagnation voire défaut du pouvoir d’achat est aussi une énigme à régler afin d’éviter l’implosion sociale.
Idem pour la gestion des ressources pétrolières qui nécessite indubitablement un large consensus et j’en passe et des meilleurs. ..Bref ! Tout ce qu’il faut pour que les candidats répondent enfin à l’unique attente qui vaille de leurs concitoyens qu’est d’apporter des solutions concrètes et durables, susceptibles de les soulager de leurs difficultés ou préoccupations et, non un emballement médiatique auquel ils ont été habitués et qui, du reste, ne dit jamais son nom.
Nous voici donc à un tournant final semé d’incertitudes dans l’espérance de grondements de coup de tonnerre – à la limite – d’applaudissements de coup de théâtre afin d’empêcher la confiance de notre destin commun à un aventurier d’un très grand Soir.
À bon entendeur, Salut !
Elhadji Daniel So