C’est ignoble, ce que vous avez osé faire. Vous m’avez vraiment surpris et déçu. Je vous avais supporté lorsqu’on vous avait jeté en pâture, lâché comme un malpropre. Oui, j’avais compati parce que je jugeais cela injuste. Malgré l’éloignement, j’avais suivi pas à pas la manière dont on vous avait mis à l’écart, éloigné des instances de prise de décisions pour vous étouffer, voire vous éteindre sur le plan politique. Je hais une telle injustice. L’injustice, comme le disait l’autre, ne se décrit pas ; elle se vit. Vous l’avez vécue, et aujourd’hui, vous êtes en train de la faire subir à des milliers de Sénégalais en général, à vos opposants en particulier, qui stoïquement l’acceptent, se faisant leurs ces mots de Socrate : «Il vaut mieux subir l’injustice que de la commettre.» A n’en pas douter, le spectre de l’injustice vous avait accablé lorsque vous aviez perdu votre fauteuil de président de l’Assemblée nationale, mais c’est probablement, comme le disait Georges Bernanos, dans Les grands cimetières sous la lune, parce qu’il avait éveillé en vous la conscience de la part d’injustice dont vous êtes capable.
Monsieur le Président, vous avez vraiment la mémoire courte. Avez-vous oublié tout ce que vous aviez dit lorsque vous étiez tombé en disgrâce, lorsque, comme tous ceux que vous êtes aujourd’hui en train de faire souffrir le martyr, vous luttiez pour une même cause ? Cette cause était de faire partir votre prédécesseur, celui qui vous avait mis le pied à l’étrier, pour éviter une dictature rampante. Réécoutez les enregistrements dont dispose Pape Alé Niang ! Réécoutez-vous ! Vos mots d’hier sont-ils le reflet de vos actes d’aujourd’hui ? C’est en vous réécoutant que m’est revenu ce proverbe français : «Quand le renard se met à prêcher, gare aux poules.»
Où sont-ils, aujourd’hui, ceux-là qui vous avaient aidé à présider aux destinées du pays ? Vous les avez accusés de rage pour les museler et continuer à cavaler seul. Non, vous n’êtes pas seul ; j’oublie que vous avez avec vous des gens que je n’aimerais pas citer ici pour ne pas leur donner une grandeur dont ils ne sont pas dignes. Je me demande comment des gens qui ont cheminé avec Senghor, Abdou Diouf, voire Abdoulaye Wade peuvent tomber aussi bas jusqu’à être à vos trousses comme de vulgaires laudateurs. A leur âge, qu’attendent-ils de vous, encore moins du pouvoir ? Honte sur ceux qui mangent à tous les râteliers ! Ce sont ces derniers que vous écoutez d’une oreille attentive qui vous dictent ce qu’il faut faire comme si vous n’étiez pas doué de raison. Ne l’avez-vous pas d’ailleurs perdue, cette raison ? Une personne raisonnable ne se comporte pas comme vous êtes en train de le faire maintenant. Non content d’avoir privé le maire de Dakar que je ne connais ni d’Adam ni d’Eve, de ses droits fondamentaux, vous avez eu l’outrecuidance de le faire révoquer, pour ne pas dire destituer. L’arme que vous avez utilisée pour abattre un adversaire politique est loin d’être conventionnelle. Si vous croyez en vous, battez-vous à armes égales ! Présentez-vous au suffrage universel et laissez les Sénégalais décider eux-mêmes ! Ce faisant, vous montrerez au Peuple ce qu’est la grandeur comme l’entendait Napoléon. Ne disait-il pas à ce propos que la grandeur n’est pas dans l’acte, mais dans la manière de l’accomplir ? Se cacher derrière un décret pour atteindre quelqu’un est un acte de traitrise, de manque de courage et de petitesse. Vous avez mis plusieurs personnes aux arrêts depuis votre accession aux hautes fonctions de l’Etat, révoqué des fonctionnaires dont le seul tort est d’avoir eu le courage de faire mention de vos dérives et de celles de votre entourage, tout cela juste pour un second mandat. Un deuxième mandat pourquoi ? Pour quoi faire ? Rendre la vie des citoyens encore plus dure ? Si c’est pour continuer à vous accaparer des ressources du pays ou pour les honneurs, allez-y, laissez-vous tenter, mais le réveil risque de vous être fatal politiquement ! D’où vous vient cet appétit pour le pouvoir ? N’aviez-vous pas promis de ne faire qu’un mandat de cinq ans ? Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ? Etes-vous devenu vautour comme ceux qui vous entourent ? Comme eux, vous ne voulez pas perdre votre part du gâteau. Qu’en est-il de l’honneur, de la dignité dont ils parlent souvent ? Ces mots n’ont aucune valeur chez nombre de personnes dans ce pays dit de la Téranga. Recevoir dignement son ennemi, n’est-ce pas être hospitalier ? «Il faut accorder l’hospitalité même à un ennemi, et le recevoir d’une manière convenable, lorsqu’il vient dans notre maison. L’arbre ne refuse jamais l’abri de son ombrage au bûcheron», disait un proverbe sanskrit. Khalifa Sall ne vous avait pas refusé l’abri dont vous aviez besoin à un moment de votre existence, à ce qu’il me semble. Je l’ai lu quelque part.
Monsieur le Président, vous et votre entourage ressemblez à ces cupides qui ont perdu la raison. La cupidité, bannie du reste par la religion que vous avez en partage avec 95% de ceux que vous gouvernez, fait perdre la raison et engendre la soif des richesses. Et rappelez-vous que l’homme, tourmenté par la soif des richesses, ne trouve qu’affliction dans ce monde. Celui que vous venez de révoquer, comment oserez-vous le regarder en face le jour que le Régent fera tourner la boule ? Monsieur le Président, gardez-vous de vous faire des ennemis ! Il est dangereux de se faire trop d’ennemis, car même un petit tas de vermines peut détruire un immense éléphant. Le pouvoir n’est pas éternel. Où sont aujourd’hui tous ceux qui se croyaient puissants jusqu’à oublier leur condition de mortels ? On avait vu Hitler, comment a-t-il fini ? Non loin de vous, votre mentor, celui qui vous a fait, a fini dignement, mais avec à la clé des regrets peut-être. Pensez-vous que tous ceux qui vous entourent sont vos amis ou qu’ils croient en votre personne ? Regardez comment vos anciens camarades de parti sont en train de tourner le dos à Wade ! Certains d’entre eux souffrent en ce moment des effets de leur manque de gratitude. Ils font honte eux aussi. Souvenez-vous de ce que disait un anonyme à propos de l’amitié : «Celui qui nous reste fidèle dans la prospérité et dans l’infortune, pendant la famine et les temps de calamités, et qui ne nous abandonne ni à la cour du prince ni au cimetière, celui-là est un véritable ami.»
Eh bien, c’est lorsque vous ne serez plus aux commandes que vous saurez faire la part des choses, mais je crains que ce sera trop tard pour vous. Je vous rappelle, à toutes fins utiles, qu’une parole dite avec réflexion et une action bien pesée sont autant de choses qui ne peuvent devenir mauvaises, même au bout d’un long espace de temps. Avez-vous bien pensé avant de signer votre décret ?
L’avenir nous en dira plus. Bon vent, excellence ! Mettez-vous sur vos strapontins pour le dernier virage ! Le Peuple souverain décidera du sort qui sera le vôtre.
Chérif SECK
Enseignant aux Usa