L’ouvrage de M. Snko fait débat dans l’espace public politique et médiatique. Dans cet ouvrage, il décline sa conception du pouvoir et surtout sa politique environnementale. C’est particulièrement sur ce dernier point que je voudrais axer mon analyse. En effet, en tant que spécialiste en sciences de l’environnement, avec intérêt et circonspection, j’ai lu et analysé les propositions de M. Sonko relatives à la « gestion des impacts de l’exploitation des ressources minières » qu’il a faites dans son livre : Solutions pour un Sénégal nouveau.
En vérité, les « solutions » énoncées pour la préservation de l’environnement, aux allures d’un diagnostic, sont superficielles et restent en deçà des politiques en cours et des ambitions du Sénégal. En effet, relativement à la gestion des impacts environnementaux (Page 80-82), l’auteur soutient qu’il faut « veiller à la réalisation préalable des études d’impact environnemental respectant les normes internationales avant le développement de tout projet […]. Ces études devront détailler les normes techniques et les données sur la base desquelles elles ont été faites ». Pourtant, la loi n°2001-01 du 15 janvier 2001 portant code de l’environnement, en son article L48, rend déjà obligatoire l’étude d’impact environnemental préalable qui sous-tend les autorisations relatives aux installations de la première classe dont font parties certaines activités extractives.
En plus, la loi n° 2016-10 du 05 avril 2016 portant révision de la Constitution précise, en son article 25 alinéa 2 que « la défense, la préservation et l’amélioration de l’environnement incombent aux pouvoirs publics. Les pouvoirs publics ont l’obligation […] d’exiger l’évaluation environnementale pour les plans, projets ou programmes, de promouvoir l’éducation environnementale et d’assurer la protection des populations dans l’élaboration et la mise en œuvre des projets et programmes dont les impacts sociaux et environnementaux sont significatifs ». Je rappelle que cette loi précédemment citée résulte du référendum du 20 mars 2016 ayant permis de valider quinze points malgré les voix discordantes de certains leaders. L’auteur ignore-t-il ces textes dans le domaine de l’environnement ? Ou remet-il en cause les lois nationales au profit d’un cadre juridique internationale ? Il me semble qu’il y’a là une contradiction avec l’esprit des discours nationalistes et le patriotisme qui mettraient le Sénégal et les Sénégalais au premier plan dans toute initiative de développement.
Le référentiel actuel en matière d’évaluation environnementale est connu. Les promoteurs s’y conforment. Et l’État veille, à travers ses services techniques, au respect des termes de référence des études, à la qualité des rapports, et à la mise en œuvre et au suivi des plans de gestion environnementale et sociale. Ce travail ô combien important est réalisé par un Comité technique interministériel institué par arrêté en tant que structure indépendante chargée de gérer les évaluations environnementales. Les différents membres du comité technique y siègent par compétence, patriotisme et neutralité dans la prise de décision.
A la page quatre-vingt et un, l’auteur propose « d’instaurer une taxe de pollution (système du pollueur-payeur) pour compenser les conséquences de la dégradation de l’environnement sur la qualité de vie des populations… ». Cette taxe, déjà prévue par le code de l’environnement, en son article L27 est versée à l’État par les installations classées. En ce point la proposition pertinente consisterait à créer un fonds national de prévention et de lutte contre les pollutions et nuisances. Ce fonds qui sera alimenté par les promoteurs devrait permettre de prendre en charge des problèmes d’intérêt national, au-delà de la réhabilitation des sites proposée par l’auteur.
Relativement à la gestion des impacts sociétaux abordés à la page 82, la « solution » de M. SONKO « d’intégrer la dimension sociale dans les études d’impact environnemental » est déjà prise en compte pour la validation des rapports. De la consultation du public à l’audience publique en passant par l’enquête publique prescrite par décision du représentant de l’État dans des conditions fixées par décret, les populations sont impliquées dans le processus d’élaboration et de validation des études d’impact environnemental et social qui veillent au respect des droits des tiers. La participation des populations répond de la volonté de démocratiser le processus de prise de décision. Tout manquement relatif à l’implication des populations impactées peut faire l’objet d’un rejet du rapport soumis à un comité technique indépendant pour validation. Cela justifie l’intitulé « études d’impact environnemental et social (EIES) » attribué aux rapports réalisés par des cabinets indépendants agréés par l’État du Sénégal, à travers le Ministère chargé de l’Environnement. A la suite de cette phase de validation technique, l’audience publique est programmée, en vue d’une validation sociale de l’étude par les populations, sans laquelle, le certificat de conformité environnementale ne peut être délivré. Dans ce processus la responsabilité civile du cabinet/bureau d’étude est engagée vis-à-vis de l’autorité compétente et du promoteur.
Les études veillent à ce que la Responsabilité Sociétale d’Entreprise (RSE) développée par les promoteurs soit érigée en instrument de développement durable. Toutefois, au-delà de l’idée déjà en pratique de « concevoir la RSE en collaboration avec les populations impactées par les projets et les associer dans la surveillance de l’utilisation effective des fonds prévus à cet effet» proposée par M. Sonko, il est important que les entreprises adoptent une véritable gouvernance RSE dont la finalité est de rendre public un rapport RSE et de déployer des stratégies de développement économique à partir de leurs propres ressources financières (ou en partenariat public privé) pour assurer au niveau national et/ou local des retombées positives de l’exploitation.
Compte tenu des efforts faits au quotidien par les techniciens pour une meilleure gestion de l’environnement, j’apporte ces quelques clarifications sur la procédure d’évaluation environnementale en vigueur. Celle-ci intègre des étapes importantes tels que la soumission de l’avis de projet et des termes de références des études à faire, la validation technique des rapports, la validation sociale et le suivi des plans de gestion environnementale et sociale (PGES), conformément à la loi en vigueur. Le processus aboutit à la délivrance d’un certificat de conformité environnementale (arrêté ministériel) qui prescrit au promoteur la mise en œuvre des mesures environnementales et sociales recommandées dans le PGES.
Au plan environnemental, les propositions de l’auteur sont dépassées, car l’ambition du Sénégal est bien au-delà du niveau des points inscrits dans le livre de M. Sonko. Par ailleurs, certaines propositions sont déjà de vielles pratiques ou des principes élémentaires en cours dans l’administration. Les sources d’information de l’auteur doivent être actualisées. Du fait de l’absence de références dans le livre, il nous est difficile d’aller au-delà de cette proposition.
A la page 195, l’auteur écrit ceci : « Le Sénégal fait aussi face au phénomène de la pollution, lié aux rejets gazeux provenant des industries, des pots d’échappement des véhicules, des déchets solides qui souillent les eaux, des déchets dangereux comme les pesticides obsolètes, les déchets biomédicaux et les déchets infectieux. En somme, tous ces problèmes et contraintes liés à la gestion de l’environnement au Sénégal sont la cause de la faiblesse de la politique et des initiatives étatiques, mais aussi de pratiques non durables qui accentuent la pauvreté et la vulnérabilité des populations. Il faut impérativement leur trouver des solutions globales et durables : il y va de l’avenir et de la survie nationale ». Ce diagnostic est très simpliste.
Aujourd’hui, la communauté internationale admet que la préservation de l’environnement est une responsabilité commune, mais différenciée, compte tenu des défis globaux auxquels font face tous les États. C’est très subjectif d’imputer la responsabilité de la dégradation de l’environnement à un État, si l’on comprend bien que le changement climatique résulte d’une défaillance de pays lointains qui se développent au mépris de l’environnement et des pays vulnérables.
La prise de consciences des défis communs a permis d’aboutir à l’accord de Paris sur le climat qui vise à maintenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C. Pour son entrée en vigueur, le Sénégal fait partie des premiers pays de la CEDEAO qui ont déposé leur contribution prévue déterminée au niveau national (CPDN). Il est presque impossible, pour un pays, de gérer durablement l’environnement en marge de la dynamique de la communauté internationale.
Au niveau national, des efforts se font à la hauteur des moyens disponibles. C’est le moment d’encourager les associations et les autres acteurs qui se déploient pour préserver l’environnement. Le soutien politique accordé aux initiatives endogènes permet de les encadrer et de créer un cadre de partage d’expériences dans l’intérêt de tous. Sous ce rapport, les différentes concertations initiées pour la gouvernance des ressources naturelles sont à encourager et à pérenniser.
Ainsi, pour rassurer les Sénégalais quant à la gestion environnementale des ressources minières, je leur demande d’examiner les quatorze recommandations de la 3ème Édition de la Conférence Nationale sur le Développement Durable (CNDD3), organisée du 29 au 31 Mai 2018, par le Ministère de l’Environnement et du Développement durable (MEDD), sur le thème : « Pour une exploitation durable et saine des ressources gazières et pétrolières ». Ces recommandations sont réparties en quatre domaines allant dans le sens de la prévention, de la gestion et du suivi des impacts sur l’environnement susceptibles de découler des activités pétrolières et gazières. L’ambition de notre pays est de disposer d’un plan stratégique environnemental qui résultera d’une évaluation stratégique pour le suivi et la gestion des impacts des activités pétrolières et gazières.
En donnant ces informations, loin de déroger à l’obligation de discrétion professionnelle prévue à l’article 14 de la loi n°61-33 du 15 juin 1961 qui s’impose à tout agent public, j’exerce un devoir, celui d’informer les citoyens et de susciter une réflexion objective sur les points à améliorer par M. Sonko pour les prochains ouvrages. De vraies « solutions » devraient conforter le Sénégal, à l’instar de tous les pays, dans sa politique qui consiste à atteindre les 17 Objectifs de développement durable, conformément à l’Agenda 2030 adopté en septembre 2015 par les chefs d’État et de Gouvernement réunis lors du Sommet des Nations unies sur le développement durable.
Diomaye Dieng est Docteur en Sciences de l’Environnement, Conseiller municipal à Fimela