« Ça m’a pris moins de deux heures de temps pour rallier Dakar à Touba. Vraiment le président Sall est un visionnaire et mérite d’être réélu. » Combien de personnes entendons-nous dire cela et allons-nous entendre répéter ces mêmes propos ces jours, semaines et mois à venir ?
Le vote est un droit et un privilège donc il est impératif de voter sur des bases solides et ne pas être victime de la propagande ou de la manipulation. Un président à qui la population donne de l’argent ne doit point se glorifier de réalisations infrastructurelles mais plutôt de sortir le pays de la pauvreté.
Dans mon article intitulé « Le plan d’infrastructures de Macky Sall envoie le Sénégal droit dans le mur », je disais : « Longue d’une centaine de kilomètres, l’autoroute Ila Touba est en train d’être réalisée à l’aide d’un prêt concessionnel d’un montant de 416 milliards de francs CFA (634 millions d’euros). Un prêt concessionnel présente beaucoup d’avantages, tels qu’un taux d’intérêt faible (le nôtre est fixé à 2 % sur vingt-cinq ans) et une possibilité d’exonération temporaire des remboursements. Mais tant qu’il n’y a pas de développement harmonieux sur l’étendue du territoire, ce genre de route est presque inutile. »
Cette autoroute sera dotée de postes de péage à Thiès, Khombole, Bambey, Diourbel et Touba. Quel sera le tarif ? Le Sénégalais lambda sera-t-il en mesure de l’emprunter si ce n’est pour la célébration du Magal de Touba [fête religieuse mouride] ? Sa construction a-t-elle des fins électoralistes, car le président peine à avoir de bons résultats à Touba ? L’étude de rentabilité a-t-elle été faite de manière correcte et concrète pour en connaître le retour sur investissement ?
Le rappel peut être bénéfique
Nous nous rappelons tous du tohu-bohu que les propos du président Sall avaient suscités quand il disait que les religieux étaient des citoyens ordinaires. En tant que bon politicien il a su réconforter les uns et les autres, la construction de l’autoroute Ila Touba étant une des promesses faites et tenue. Le président Sall est très impopulaire à Touba et n’a pas encore pu remporter des élections dans la ville sainte. Son impopularité peut être due aux propos tenus envers les marabouts, à l’emprisonnement de certains marabouts mourides, à la suppression des passeports diplomatiques détenus par certains marabouts, à l’emprisonnement du fils de leur mentor le président Wade, aux refus de la demande du défunt Khalife, Serigne Sidy Mokhtar de faire preuve d’indulgence envers Karim Wade ou juste parce que la population de Touba porte le président Wade dans le cœur.
Ce qui est déplorable c’est pendant que l’Etat dépensait 416 milliards de francs CFA pour la construction de l’autoroute Ila Touba, la cité religieuse avait de sérieux problèmes d’assainissements. La cité religieuse devient complètement inondée durant la période hivernale. Ne parlons pas de l’insalubrité qui règne à Touba, de l’insécurité et de l’Etat des marchés et des bureaux administratifs. Et la promesse de la construction du nouvel hôpital dont la pose de la première pierre a été faite par le président Sall depuis novembre 2016 ? Le département de Mbacké a le plus faible taux de scolarisation de la région de Diourbel avec un taux de moins de 40%. N’est-il pas temps de penser un modèle alternatif d’éducation dans la cité religieuse ? L’économie est principalement dominée par le secteur privé et le commerce. Cela étant dit, le gouvernement aurait dû construire des centres commerciaux à travers le pays mais aussi à Touba et essayer de formaliser le secteur de manière concrète pour que la population puisse être accompagnée par les banques, classiques ou islamiques, pour la réalisation et le développement de leurs projets.
Connaitre nos priorités
Dans sa réponse à la suite de mon article sur le plan d’infrastructures de Macky Sall, le Premier ministre disait : « Pour dire donc que le développement n’est pas la résultante d’efforts à n’entreprendre que dans un secteur particulier. Le développement nous viendra d’une synthèse d’efforts conjugués et complémentaires qui convergent d’une manière harmonisée vers un même objectif. »
Bien que le Premier ministre ait raison sur les propos ci-dessus, il est utile de rappeler que la santé, l’éducation et l’emploi sont les trois priorités pour tout pays qui aspire à devenir un pays émergent. Nul ne dit de tout arrêter et de se focaliser que sur ces trois priorités mais il est primordial que les budgets de ces secteurs soient revus à la hausse et une fondation solide mise en place pour la création d’emplois de qualité. Nous ne refusons pas de renter dans le modernisme non plus mais il suffit de connaitre nos priorités et d’utiliser un modèle économique adéquat à notre situation socioculturelle. Est-il normal qu’en 2018 que le budget de la santé soit toujours inférieur aux intérêts que nous payons pour le service de la dette (169 milliards pour le budget de la santé contre 221 milliards pour les intérêts payés) ?
Il faut reconnaitre quand même que le président Sall est un excellent politicien car il sait battre le fer quand il est chaud. Connaissant l’électorat sénégalais et leur manière de voter, il a su rendre heureux les uns et les autres aux moments adéquats (une arène nationale tant attendue, une autoroute ouverte au moment du Magal de Touba, un TER probablement gratuit pendant une semaine après l’inauguration …)
Trop c’est trop
Le Sénégal peut se développer mais il faudra que nous arrêtions la politique politicienne et que nous mettions le Sénégal sur la voie de l’émergence en développant le secteur primaire. Il faut nécessairement que le système fiscal soit plus efficient en supprimant les exonérations fiscales pour les entreprises ne créant pas assez d’emplois au Sénégal. Le secteur informel doit être formalisé pour recouvrer environ 300 milliards par année. Il faut aussi songer à privatiser les entreprises d’Etat qui ne sont pas rentables et qui ne sont maintenues que pour des postes politiques. Le capital humain est le capital le plus important pour le développement de notre nation donc il n’est pas acceptable que le budget de la santé soit inférieur aux intérêts que nous payons pour le service de la dette. Il faut éradiquer les abris provisoires et investir dans l’éducation et la santé. Nous devons éradiquer la corruption et le chef de l’Etat doit sortir tous les dossiers dont il détient pour que les auteurs soient jugés. Il est temps que les politiciens arrêtent de détourner les deniers publics et se mettent au service de la nation. Avec le développement du secteur primaire et l’industrialisation, il sera possible de réduire la pauvreté et le chômage au Sénégal. Le PSE est un programme qui dotera le Sénégal d’infrastructures de nouvelle génération et aidera la population au jour le jour avec les programmes sociaux en place mais le PSE ne permettra jamais au Sénégal de devenir une nation émergente à l’horizon 2035. Il faut arrêter d’anesthésier la population et se mettre au service de la nation pour que tout le monde ait des chances égales au Sénégal pour éviter un soulèvement car une population qui voit l’injustice au jour le jour finira un jour par se révolter. Nous défions le gouvernement de publier l’étude de rentabilité et ou du besoin économique d’Ila Touba. Cheikh Ahmadou Bamba disait dans Axiru Zaman « Aidez les pauvres, les malheureux ainsi que les endettés ».
Mohamed Dia est Consultant bancaire