Il est des êtres dont la douceur et la bonté sont telles qu’ils seraient certainement des proies faciles si le bon Dieu ne leur avait pas gratifiés de la force et du courage du lion. La mission noble et généreuse qu’ils portent serait anéantie sans la force du lion par laquelle ils s’expriment pour la défendre et la protéger. Les prophètes et les saints ont toujours vécu et agi de cette façon : aimer l’humanité sans faiblesse, défendre le bien et le vrai sans fléchir. Rester dans la bienséance et la bienfaisance quelle que soit l’âpreté du combat qu’on doit mener pour défendre sa cause, son idéal. Comment pourrait-on défendre la vérité sans passion ?
Son passion pour le peuple et pour l’Islam était tellement forte qu’il était toujours prompt à le défendre au péril de ses amitiés et de ses intérêts. Il savait parfaitement que dans un pays comme le nôtre la générosité candide est synonyme de perte : il faut savoir dire non. Sidy était un homme profondément bon, mais son amour n’a jamais été un handicap pour défendre avec véhémence sa conception des choses, la vérité ou du moins ce qu’il concevait comme telle. Il faut toujours faire des compromis, mais se garder de tomber dans la compromission consistant à sacrifier la vérité et les principes sur l’autel des intérêts personnels contingents.
Les météores s’immiscent parfois dans l’atmosphère terrestre, se consument et disparaissent de façon subite : la conscience commune les appelle « étoiles filantes » par ignorance. Les météores ne sont pas de ce monde, ils ne sauraient y demeurer longtemps. Sidy était comme un météore : dans l’univers des chefs religieux il était une exception. Car il a mis de côté ce statut pour travailler comme n’importe quel citoyen. Laborieux, malgré son érudition dans le domaine des sciences coraniques, il a contribué à investir massivement dans son domaine. La plus grande réussite de Sidy Lamine est la fécondité de son œuvre dans le monde de la presse : c’est l’arabisant dont le groupe de presse a formé les plus grands noms du monde médiatique actuel.
Dans un pays où l’impérialisme de la langue française étouffe tous les génies forgés dans une autre langue, il a réussi (lui l’arabisant à l’aise dans la langue française) à s’imposer comme un intellectuel accompli, sans complexe. Dans un monde médiatique infecté par la corruption, l’affairisme et le concubinage avec le pouvoir politique, il a réussi à s’imposer comme un des rares groupes de presse libres au Sénégal. C’était presque impossible d’être toujours d’accord avec Sidy Lamine Niass, mais on ne pouvait pas ne pas respecter ses positions, car il incarnait avant tout la tolérance, aussi bien dans le domaine de la religion que dans celui de la politique.
Sidy Lamine Niass, c’est avant tout une vie de symboles et sa disparition est terriblement intrigante : son rôle diplomatique n’est pas connu de tous, mais le Sénégal a perdu un régulateur dans l’ombre. Son départ brusque à quelques encablures de l’élection présidentielle doit nous inciter à la prudence et à la responsabilité. Il nous a laissés un message : battez-vous pour vos opinions, mais n’oubliez jamais que le Sénégal transcende vos postures partisanes.