En 2014, quand il s’était agi d’organiser le Groupe consultatif sur le Sénégal, au siège de la Banque mondiale à Paris, pour réunir les ressources nécessaires au financement de la première phase du Plan Sénégal émergent (PSE), les responsables de l’opposition au régime du président Macky Sall étaient vent debout. Ils avaient manifesté leur farouche opposition à la tenue de la rencontre et avaient préconisé d’organiser des marches à Paris pour, disaient-ils, «huer, le président Macky Sall et dissuader les partenaires au développement de fournir les financements sollicités». Ils avaient joint l’acte à la parole et avaient manifesté le 26 février 2014. La manifestation avait été autorisée et la police française leur avait fait respecter le périmètre qui leur était défini sur l’Avenue d’Iéna. Les slogans avaient fusé de toutes parts mais le Groupe consultatif s’était bien tenu et le PSE en était sorti, adoubé par les partenaires du Sénégal.
Le PSE finit par s’imposer comme référentiel de politique économique
Le gouvernement du Sénégal se voulait modeste en présentant un programme de financement estimé à quelque 1853 milliards de francs Cfa. La mayonnaise avait pris et les partenaires s’étaient engagés à financer le PSE pour la phase 2014-2018 à hauteur de 3729 milliards de francs Cfa. C’est ainsi que le PSE était entré dans sa phase d’exécution pratique. Les manifestations organisées à Paris contre le PSE et la gouvernance du président Sall n’avaient pas manqué, il faut le dire, de laisser quelques stigmates.
En effet, il était incompréhensible que des hommes politiques qui affirment aspirer à diriger les destinées de leur peuple pour espérer lui prodiguer un mieux-être, puissent se permettre des initiatives qui ont pour vocation d’empêcher leur pays de trouver des ressources nécessaires à son développement économique et social. Une bonne enveloppe de ces financements était constituée de dons importants et les taux de prêts qui avaient été consentis au Sénégal demeurent les meilleurs accordés à des pays africains. On se rappelle encore que le président Macky Sall, piqué au vif par une telle adversité, n’a pu s’empêcher de faire remarquer urbi et orbi que le PSE «transcende sa gouvernance car il vise d’impulser le développement du Sénégal à l’horizon 2035, une échéance à laquelle fatalement il ne sera plus au pouvoir». L’ancien président du Ghana, John Kuffuor (2001-2009), drapé dans sa belle et inconstatable réputation d’avoir impulsé les progrès économiques et démocratiques de son pays, avait tenu à faire le déplacement pour prendre part au Groupe consultatif afin d’apporter un soutien au président Macky Sall.
Au lendemain de ce Groupe consultatif, dans une chronique en date du 3 mars 2014 intitulée : «Un leader est né», pour reprendre l’appréciation de John Kuffuor à l’endroit de Macky Sall, nous écrivions notamment «qu’avec le Plan Sénégal émergent (PSE) présenté aux Sénégalais et à la Communauté internationale, le chef de l’Etat a fixé un cap nouveau, précis, inscrit dans un délai et dont les voies qui y mènent sont bien déterminées. Il s’y ajoute que Macky Sall, en décidant de présider personnellement la rencontre du Groupe consultatif, s’est révélé un chef d’Etat engagé, déterminé et qui se met dans une posture d’être comptable des résultats. Si le Groupe consultatif avait échoué et on pouvait bien le craindre, il en paierait le prix politique et sa crédibilité en aurait pris un coup.
A l’opposé, le succès du Groupe consultatif de Paris avec des engagements de la Communauté internationale deux fois supérieurs aux objectifs du Sénégal, devient son succès personnel et renforce son positionnement». Un collaborateur du chef de l’Etat satisfait de commenter : «Macky Sall vient de commencer véritablement son mandat.» Nous ajoutions : «(…) le plus dur reste à faire. Il a réussi à redonner confiance aux Sénégalais, à ressusciter l’espoir. Faudrait que cet espoir ne soit pas vain ! Pour ce faire, Macky Sall est attendu sur la prise en charge des accords convenus avec les partenaires techniques et financiers. De la même manière qu’il a réussi à fédérer toutes les énergies autour du PSE, le chef de l’Etat devra susciter l’adhésion populaire, un consensus autour de sa mise en œuvre. Pour ce faire, il s’avère nécessaire de placer l’exécution entre des mains expertes et surtout transcender les clivages et petites querelles qui ne manquent pas de voir le jour quant à la conduite des réalisations prévues dans le PSE.
Une expérience observée au Qatar, avec l’institutionnalisation d’un ministère dédié au Suivi des actions du gouvernement pourrait inspirer en vue de plus d’efficacité. Aussi, le chef de l’Etat devrait se mettre à l’école d’un style de gouvernance qui lui apprendrait à prendre plus de hauteur vis-à-vis de certaines diatribes de mauvais aloi. Ainsi, consacrerait-il son énergie à mettre en œuvre ses grands projets plutôt que de se révéler irascible chaque fois qu’il est titillé dans ses relations avec ses adversaires politiques ou qu’il surveille les sorties de son prédécesseur dont le jeu favori est de casser du sucre sur son dos».
Dès le 14 mars 2014, Mahammed Boun Abdallah Dionne sera nommé ministre chargé de la Coordination du Bureau opérationnel Sénégal-Emergent (Bosse). On le voit, le travail a été fait. En effet, on constate, à la fin de cette première phase, que les partenaires du Sénégal ont accompagné le PSE au-delà des attentes. En définitive, quelque 6721,6 milliards de francs Cfa ont été injectés dans l’économie dans le cadre du Plan d’actions prioritaires 1 (2014-2018) du PSE. Cela a eu pour conséquence d’élever la croissance à plus de 6,8% sur plus de trois années consécutives. Jamais dans l’histoire politique du Sénégal, un tel niveau de croissance n’a été enregistré auparavant et surtout dans la durée et de manière constante. Le PSE a complètement changé le visage du pays comme en témoignent les nombreuses réalisations engrangées en termes d’infrastructures et autres leviers économiques. Le Sénégal organise un nouveau Groupe consultatif les 17 et 18 décembre 2018, pour demander un financement du Plan d’actions prioritaires 2 du PSE, pour la période 2019-2023.
L’opposition va à nouveau huer Macky Sall devant le siège de la Banque mondiale à Paris. On reprend à peu près les mêmes. Il faut dire que les rangs de l’opposition se sont dégarnis de 2014 à maintenant, car ils sont nombreux, des opposants qui ont estimé devoir jeter l’éponge considérant que le combat contre Macky Sall est perdu d’avance. Il n’en demeure pas moins qu’il ne devra pas être difficile de rassembler quelques dizaines de «gilets vert-jaune-rouge» à Paris, pour crier des slogans hostiles au président Sall.
Le Front de résistance nationale (FRN), mis en place par l’opposition au président Macky Sall, se voudrait irréductible. Ses membres ont pris l’engagement de «vilipender» le président Sall devant le Groupe consultatif. Le 14 novembre 2018, la cellule de communication du FRN a fait face à la presse pour annoncer qu’elle compte internationaliser son combat. Ainsi, «le FRN déposera une lettre au Groupe consultatif de Paris pour lui demander de surseoir à la signature de nouveaux prêts au gouvernement du Sénégal en décembre 2018, veille d’une élection présidentielle».
Aussi, «le Front a décidé, en cas de persistance du Groupe consultatif de Paris à signer de nouveaux engagements de prêts au gouvernement en décembre, de se déplacer dans la capitale française pour manifester, dénoncer avec force cette immixtion manifeste des bailleurs de fonds dans les affaires intérieures de notre pays». Le FRN fonde son action, selon Mansour Niasse, rapporteur de la Commission communication, sur le fait que «la revue du portefeuille des opérations de la Banque mondiale au Sénégal a mis à jour une situation monétaire tendue, avec insuffisance des fonds de contrepartie». En outre, il est de notoriété publique que des responsables de l’opposition ont envoyé des lettres aux institutions de Bretton Woods pour les accuser même de complaisance vis-à-vis de la gouvernance du président Macky Sall.
Des protestations ignorées par les partenaires du Sénégal
Le Plan d’actions prioritaires (Pap 2) est d’un coût global de 14 098 milliards de francs Cfa. Le financement est déjà acquis pour 9414 milliards de francs Cfa soit 66,8%. Le gap de financement à rechercher est de 4684 milliards de francs Cfa. Ce financement acquis provient de 45,1% du budget national et de 54,9% de la part des partenaires techniques et financiers. Pour financer le gap, le Sénégal attend 2850 milliards de francs Cfa de ses partenaires publics et 1834 milliards de francs Cfa de participation du secteur privé dans les projets.
La Communauté internationale, plus particulièrement les partenaires techniques et financiers du Sénégal, semblent ignorer les cris d’orfraie. Et pour cause ! Le 30 novembre 2018, à Bruxelles, l’Union européenne et la Banque mondiale ont décidé de soutenir le Pap 2. Les ambassadeurs des 14 pays de l’Union européenne à Dakar ont rencontré le ministre de l’Economie, des finances et du plan du Sénégal, Amadou Ba, pour l’assurer de leur engagement à appuyer le Sénégal dans sa politique de recherche de financement. Ainsi, une convention de financement pour un montant de 491 milliards de francs Cfa a été signée séance tenante. Le ministre de l’Economie, des finances et du plan a aussi présidé la cérémonie de signature du Document de Stratégie conjointe européenne pour le Sénégal 2018-2023. Mieux, l’Union européenne (UE) prévoit d’allonger son financement pour 500 autres milliards de francs Cfa à l’occasion de la réunion du Groupe consultatif. La Banque européenne d’investissement a eu aussi à annoncer aux autorités sénégalaises sa volonté de miser sur le PSE. La Banque mondiale qui, lors du Groupe consultatif de février 2014, s’était engagée à participer pour 500 milliards aux financements des projets du PSE, a suivi la cadence et a rallongé son enveloppe jusqu’à injecter quelque 1000 milliards de francs Cfa dans la phase 1 du PSE. Cette même Banque mondiale, suivant les appréciations positives de son président Jim Yong Kim sur les progrès économiques du Sénégal, a accordé, le mois dernier, un appui budgétaire de quelque 300 millions de dollars. La Banque mondiale se propose de faire mieux.
La même consigne est de rigueur auprès de la Banque arabe pour le développement économique de l’Afrique (Badea), de la Banque islamique de développement (Bid) et du Fonds saoudien, toutes institutions financières internationales démarchées par le Sénégal dans le cadre de la préparation du prochain Groupe consultatif. La Bid, faudrait-il le rappeler, a investi les quatre dernières années au Sénégal, plus qu’elle n’a jamais eu à le faire durant quarante ans de coopération avec le Sénégal. La Banque africaine de développement ne sera pas en reste. L’Agence française de développement s’est engagée, le 5 décembre dernier à son siège à Paris, à appuyer davantage le Pse. On se rappelle que la France avait promis au Groupe consultatif de 2014 de contribuer pour 282 milliards de francs Cfa. En définitive, la France a déboursé au profit du Sénégal quelque 1000 milliards de francs Cfa durant le Pap 1.
* Ce titre m’a été inspiré par un article de Abdou Salam Kane (Asak) titré : «Rendez-vous au Quai Conti.» Le 22 octobre 1996, le Président Abdou Diouf était invité pour s’adresser aux députés français au Palais Bourbon. Ses opposants, dirigés par Abdoulaye Wade, étaient dans la rue pour le houspiller. Non sans humour, Asak donnait rendez-vous à Wade et compagnie au Quai Conti, siège de l’Académie française, pour trancher un débat sémantique.