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Le Grand Prix Du Chef De L’etat Pour L’enseignant Repositionne Les Ressources Humaines Au Cœur Du Système éducatif Sénégalais

Le Grand Prix Du Chef De L’etat Pour L’enseignant Repositionne Les Ressources Humaines Au Cœur Du Système éducatif Sénégalais

Cette contribution se propose de faire une analyse succincte de la situation du personnel de l’éducation, un résumé des acquis des enseignants depuis 2000, de montrer l’opportunité de la grande initiative du Prix du chef de l’Etat pour l’enseignant, tout en notant en même temps la persistance des perturbations dans le secteur scolaire. Nous partons de la théorie dichotomique de Herzberg qui montre que le renforcement chez le maître du sentiment de reconnaissance sociale auprès des hautes autorités et de la Nation est un facteur essentiel pour la qualité de l’éducation. Nous dégagerons à la fin quelques pistes pouvant permettre de pérenniser et élargir la dynamique actuelle que suscite cette forme de récompense présidentielle.

Les travailleurs en général et les enseignants en particulier fonctionnent selon deux types de besoins en vertu de la théorie dichotomique de Herzberg : les besoins psychologiques, facteurs intrinsèques ou motivationnels, et les besoins physiologiques, facteurs extrinsèques liés à la politique de gestion, aux salaires, aux conditions physiques d’accomplissement de la tâche et avantages sociaux.

La thèse de Doctorat de Abdou Karim Ndoye (ancien directeur de la Réforme à l’Ucad) sur Les professeurs de l’enseignement moyen et secondaire du Sénégal, soutenue à l’Université de Montréal en 1996, avait montré une insatisfaction généralisée des professeurs sénégalais. Sur un total de 5 515 enseignants des lycées et collèges à l’époque (ils sont devenus 35 mille 460 professeurs, 61 mille 805 instituteurs et 97 mille 893 enseignants inscrits en avril 2017), 1 500 avaient fait l’objet de l’enquête sur la satisfaction au travail. J’ai participé à cette enquête en tant que coordonnateur des revendications du Sudes et un des principaux responsables de l’Inter­syndicale de l’enseignement.

Les réponses traitées statistiquement par le logiciel Statistical package for social sciences (Spss.Pc, version 5.0) ont montré que l’insatisfaction des professeurs sénégalais au milieu des années 1990 portait en premier lieu sur les aspects de la gestion administrative et pédagogique (support technique, support pédagogique, effectif, manuel, condition de travail) et en second lieu sur les éléments de gestion des ressources humaines (salaire, mutation, classification, relations avec le parents d’élèves). Voici les résultats de l’enquête avec le barème (4 à 5 pas du tout satisfait ; 8 à 10 peu satisfait ; 14 à 16 très satisfait ; 18 à 20 extrêmement satisfait) : support technique (5,50), support pédagogique (6,22), salaire (7,20), effectif (7,30), manuel (7,45), condition de travail (7,70), Parents/professeurs (7,78), avancement (8,00), mutation (8.00).

Selon les résultats de cette recherche indiqués ci-dessus, toutes les moyennes sont inférieures à 9. On pouvait donc considérer que dans les années 1990 à 2000, le mécontentement était très profond chez les enseignants, les professeurs en particulier. Beaucoup d’autres travaux scientifiques (Blanchard 1982 ; Miskel et Ogawa 1988 ; Brunet, Dupont et Lamotte 1991, Ocde 1990, Bit 1991) ont démontré que des enseignants qui ont un sentiment d’insatisfaction ne peuvent pas améliorer la qualité de l’enseignement.

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En toute logique et au regard des efforts faits par le gouvernement de la première alternance (2000-2012) en direction de l’éducation et de son personnel, on pouvait considérer que les besoins physiologiques des enseignants ont connu d’énormes avancées comme l’indique ce bilan non exhaustif des mesures prises en faveur des éducateurs sénégalais.

Par exemple, sur la retraite à 60 ans pour les fonctionnaires, la revendication menée depuis 1995 et qui a failli mener à une année blanche en 1997 a abouti aux négociations générales de novembre 2001 grâce à la volonté des nouvelles autorités de répondre positivement à l’aspiration des fonctionnaires. La question des Volontaires de l’éducation confinés dans des statuts précaires sans formation professionnelle sérieuse ni possibilité de promotion avait aussi connu un nouveau tournant avec un salaire moyen qui est passé de 50 mille F à 135 mille. Avec les onze Efi, la formation de trois semaines au début est passée à six, puis neuf mois avec des possibilités d’intégration universelle à la Fonction publique depuis 2007.

L’évaluation du Pdef en rapport avec les conclusions des Egef, faite par le ministère de l’Education, les syndicats de l’enseignement et les Associations de parents d’élèves (Ape) en novembre 2003, avait abouti à un consensus général sur la nécessité de redonner la priorité à la qualité en plaçant les ressources humaines au centre du système éducatif. L’effort financier n’est pas en reste avec le relèvement du budget de l’éducation à 40% du budget de fonctionnement de l’Etat.

Pour les universitaires, après le relèvement de 35 à 105% du taux de l’Isrf (Indemnité spéciales de recherche-formation) lors des négociations de décembre 2002. Le Saes ensuite, une prime académique de 300 mille F/mois pour tous les universitaires, de l’assistant au professeur titulaire des universités, sans compter le doublement du perdiem de voyage d’études et la prise en charge des assurances durant ces missions de recherche.

Les deux fondamentaux qui concernent et unissent tous les corps de l’enseignement (les indemnités de logement et d’enseignement) ont connu des avancées considérables. Les Proto­coles d’accord entre le gouvernement et l’Intersyndicale de l’enseignement des 8 mai 2003, 15 avril 2005 et 30 juin 2006 illustrent bien cette situation : l’indemnité de logement bloquée à 35 mille F depuis 1989/90 passe à 55 mille F dès janvier 2007 et 60 mille F en octobre 2007, l’indemnité d’enseignement de 20% créée par Mamadou Dia, augmentée à 30% du salaire indiciaire en 1989/90 passe à 50%, conformément aux accords de mai 2005 ( augmentation an­nuelle de 3%). Cette indemnité de 50% du salaire indiciaire est conservée même après la retraite dans la pension de l’enseignant, conformément au statut particulier ; le point indiciaire bloqué depuis 1980 à 38,9 F connaît une progression cumulée qui le porta à 64 F en 2011. Cet acquis entre également dans la pension de retraite du fonctionnaire.

Il faut ajouter les accords sur l’habitat social (6 100 parcelles viabilisées dont 1 100 à Dakar), le relèvement de l’enveloppe du prêt Dmc qui est passé de 800 millions à 1,6 milliard entre 2001 et 2004 (avec l’objectif d’atteindre à court terme 3 milliards), la création d’une enveloppe de 400 millions pour les nouveaux corps, l’adoption de la loi sur l’autorité parentale et les nombreuses mesures en faveur des nouveaux corps de l’enseignement (volontaires et vacataires de l’éducation, chargés d’enseignement, professeurs et maîtres contractuels).

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Les professeurs de l’enseignement moyen secondaire ont bénéficié aussi d’une indemnité de recherche documentaire substantielle compensatrice d’une surcharge horaire de 3 heures/semaine. Si la même étude menée au milieu des années 1990 par le Pr Abdou Karim Ndoye avait été faite, la moyenne serait, en toute logique, largement au-dessus. Mais les grèves, ralenties en juin 2008, ont repris de plus belle en novembre 2011 pour se poursuivre jusqu’à la chute du régime libéral. Les besoins psychologiques, moraux et motivationnels, le premier binôme de la théorie dichotomique de Herzberg n’ont certainement pas été assez satisfaits.

La deuxième alternance intervenue le 25 mars 2012 a largement renforcé les acquis avec la réforme de grades et la revalorisation des pensions de retraite dans l’enseignement supérieur, le retour du statut des élèves-maîtres dans les Crfpe (créés par décret 2011-625 du 10 mai 2011) avec l’arrêté 11808 du 10-8-2016 modifiant l’arrêté n° 18077 du 4 décembre 2014, l’application du protocole d’accord du 17 février 2014 et celui du 30 avril 2018 suite à l’audience accordée par le président de la République au G6 le 29 avril 2018.

Entre autres, on peut noter des acquis importants dans le cadre de mesures d’ordre général telles que la baisse de fiscalité sur les salaires à partir de janvier 2013 et la baisse du prix des loyers à usage d’habitat par décret n° 2014-03 du 22 janvier 2014 qu’il faut ajouter à l’application d’accords spécifiques aux enseignants. Nous pouvons citer, entre autres, la validation des années pour les contractuels devenus fonctionnaires avec la nouvelle rédaction de l’article 22 de la loi 61-33 du 15 juin 1961 sur le statut général des fonctionnaires, l’organisation des élections de représentativité dans l’enseignement en avril 2017, l’augmentation de l’indemnité de logement de 60 à 100 mille F/mois en trois étapes (15 mille F en octobre 2018, 10 mille F en janvier 2019 et 15 mille F en janvier 2020) ; le paiement des rappels à hauteur de 20 à 25 milliards par an en trois ans, l’immatriculation des enseignants contractuels à l’Ipres et à la Css, l’habitat social et huit autres engagements issus du Protocole d’accord du 30 avril 2018 dont le suivi est assuré par le Premier ministre. Pour honorer tous les éducateurs, le Président Macky Sall avait annoncé en octobre 2016 la création d’un grand Prix du chef de l’Etat pour l’Ensei­gnant, finalement créé par décret 2017-601 du 24 avril 2017 et organisé pour la première fois le jeudi 14 décembre 2017 au Grand Théâtre. Des grèves perlées de plusieurs semaine, de novembre 2017 à avril 2018 par le G6 et des syndicats dits minoritaires re­groupés dans trois cadres, n’ont pas été arrêtées par ce facteur important de la vision de Herz­berg.

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L’enseignant récompensé par la première édition du Prix du chef de l’Etat vient d’être choisi parmi les 50 meilleurs enseignants dans le monde. Ce qui confirme la crédibilité de cette sélection et la qualité de nos enseignants.

Qu’est-ce qui explique encore l’agitation des syndicats d’enseignants dont certains ont déjà déposé des préavis et d’autres menacent de le faire, malgré ces multiples efforts de l’Etat pour satisfaire ces besoins physiologiques et moraux des travailleurs de l’éducation ? L’organisation de la deuxième édition du grand Prix de chef de l’Etat pour l’enseignant ce vendredi 28 décembre 2018 dans ce contexte de l’application du Protocole d’accord du 30 avril devrait constituer une étape importante de la satisfaction des besoins à la fois psychologiques et physiologiques des enseignants. Il faut cependant aller encore plus loin pour à terme stabiliser durablement et définitivement notre système éducatif.

Respecter les accords déjà signés avec le G6, envisager une réforme des élections de représentativité pour amoindrir au minimum le nombre de syndicats non représentatifs et trouver un équilibre entre les notions d’organisations représentatives et le droit syndical tel que stipulé dans la Constitution, le Code du travail, la loi 61-33 relative au statut général et les conventions fondamentales de l’Oit, 87 et 98 notamment.

En plus de l’édition du grand Prix pour l’enseignant, multiplier au niveau central et local les actes symboliques et médiatisés pour récompenser les meil­leur(e)s enseignant(e)s, au vu de leurs résultats scolaires, leurs recherches ou leurs comportements civiques. En plus d’une décoration, les récipiendaires peuvent bénéficier d’un équipement pédagogique ou social ; élargir ces récompenses aux corps de contrôle et d’encadrement, inspecteurs d’académie, inspecteurs de l’éducation et de la formation, chefs d’établissement et de service de l’éducation nationale.

Ajouter dans l’agenda de la République et du chef de l’Etat la date du 5 octobre, journée internationale des enseignants proclamée par l’Unesco, y associer les institutions, les recteurs, les chefs de circonscription scolaire, l’Association des chefs d’établissement, les syndicats de l’enseignement, les gouvernements scolaires, associations de parents d’élèves, les acteurs non étatiques et les Ptf.

Par ces actions, Monsieur le président de la République va encore administrer la preuve de l’intérêt et de la considération qu’il accorde aux ressources humaines, premier intrant de qualité dans l’éducation. Une telle démarche permettra sans nul doute à ces éducateurs de mieux prendre conscience du degré de reconnaissance de la Nation tout entière et du caractère inviolable du droit à l’éducation.

Kalidou DIALLO,

Ancien MEN

Professeur d’histoire moderne et contemporaine, Département d’histoire FLSH, UCAD

Président d’ADEQET/Afrique

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