Le pont de Farafegny, enjambant le fleuve Gambie, est une réalisation qui pourrait être considérée parmi les plus grands coups politiques de l’histoire du Sénégal. Les Présidents Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade en avaient rêvé, sans jamais pouvoir le réaliser. Macky Sall l’aura réalisé et va l’inaugurer, en compagnie de son homologue gambien, Adama Barrow, aujourd’hui lundi 21 janvier 2019. Une date historique. Le désenclavement de la Casamance a été une question qui a longtemps occupé les esprits. La coupure en deux du pays, du fait de la traversée du territoire de la Gambie, s’est toujours révélée compliquée pour les populations de la région naturelle de Casamance. La barrière que constituait la Gambie, surtout le fleuve éponyme, avait renforcé le sentiment d’exclusion ou de non-appartenance des populations du Sud du Sénégal au territoire national. Il n’était pas rare de voir des personnes, qui entreprenaient le voyage vers Dakar à partir de Ziguinchor, dire qu’elles «allaient au Sénégal»; comme si la partie du territoire sur laquelle elles se trouvaient était détachée de leur pays. Il devenait plus facile d’aller de Dakar à une autre capitale du monde, que d’aller de Dakar à Ziguinchor, villes distantes de moins de 400 kilomètres à vol d’oiseau. Ce sentiment a pu faire le lit de l’irrédentisme et du développement d’un sentiment séparatiste. Cela a aussi constitué, pendant longtemps, un lourd frein aux échanges de biens ainsi qu’à la circulation des personnes.
En effet, une infrastructure moderne permettant de réaliser, en moins de deux minutes en voiture, une traversée d’à peine un demi-kilomètre et pour laquelle les usagers faisaient des dizaines d’heures d’attente ou même passaient la nuit à Farafegny dans des conditions on ne peut plus précaires, est une prouesse. De fortes résistances avaient toujours été notées, notamment de la part des autorités gambiennes. On ne saura jamais assez louer l’audace et l’ouverture d’esprit des Présidents Barrow et Sall. Grâce à leur détermination, les travaux qui à l’époque où Yaya Jammeh était au pouvoir, avaient connu un coup d’arrêt, ont pu reprendre de plus belle. Le courage qu’ils ont eu de faire bouger les lignes en conduisant ce projet est à louer, car contribuant grandement au renforcement de la dynamique d’intégration dans notre espace régional. Au-delà de la Gambie et de la région naturelle de Casamance, cet ouvrage va intégrer davantage la Guinée-Bissau à ses voisins. Le Président Macky Sall s’en félicite indiquant que «le pont de Farafegny est un véritable trait d’union au cœur de la Sénégambie». En outre, «cela permettrait à la belle région de Casamance de se retrouver complètement désenclavée».
Le pont sur le fleuve Gambie à Farafegny est une aubaine pour les échanges du Sénégal. Le temps des longues files de camions de marchandises et de bus de transports bondés de monde se dirigeant vers la Casamance sur la rive droite et les files de véhicules gambiens et sénégalais tentant de gagner le Sénégal sur la rive gauche est révolu. Des camions chargés de marchandises restaient bloqués à la traversée pendant de nombreux jours. Il faut ne pas avoir subi toutes les tracasseries liées à la traversée du bac à Farafegny pour négliger l’importance de la réalisation qu’est le pont transgambien. Qui pourrait avoir l’outrecuidance de chahuter l’infrastructure ? Il faudrait ne pas se soucier de l’histoire du Sénégal indépendant pour chercher à jeter du discrédit sur l’accomplissement majeur qu’est cette infrastructure. C’est un témoignage d’histoire, une volonté affichée d’un Sénégal uni avec une diplomatie d’excellent voisinage avec un pays auquel tout nous lie. C’est une action de politique publique majeure en vue d’une meilleure intégration territoriale en assurant des flux de populations entre le Nord et le Sud du Sénégal. C’est une contribution aux actions de désenclavement de la région naturelle de Casamance comme en attestent les efforts déployés dans le transport maritime et dans le transport aérien. Tous les investissements structurants réalisés les dernières années contribuent à l’érection de ce pôle agro-économique du Sud du Sénégal. Ainsi donc, faudrait-il être animé d’un sentiment de nihilisme abrupt pour objecter sur la pertinence et l’opportunité d’une réalisation comme ce pont sur le fleuve Gambie. Il y en a aussi qui peuvent être sceptiques quant à l’utilité, parce qu’ils n’avaient jamais effectué l’odyssée de cette traversée de la Gambie en voiture, passant le fleuve à bord de ferries d’un autre âge et en subissant l’ostracisme, les contraintes et même des humiliations. Des fonctionnaires gambiens souvent tatillons et arrogants, tenaient à exercer la souveraineté de leur pays sur la traversée du fleuve Gambie et de leur territoire de façon générale. Ceux qui n’ont jamais vécu cela ne peuvent cependant pas dire n’avoir jamais entendu les complaintes de leurs autres compatriotes.
Il est un temps où la parole laisse la place à l’acte. C’est le temps des constructions et des réalisations. Rien n’empêche qu’elles soient critiquées ou trouvent une opposition, mais la posture de ceux qui ont les prérogatives de diriger est de pousser les initiatives d’utilité publique. Le Sénégal s’inscrit depuis quelques années dans cette dynamique avec le Président Macky Sall. Il y a un plateau d’infrastructures à sortir de terre dans tout le pays pour impulser une dynamique soutenue de développement. Ces infrastructures contribueront à faciliter le vécu des populations, à dynamiser les échanges et aideront à consolider l’économie du pays.
Scipion l’Africain s’est fait attaquer par tout Rome quand il faisait construire ses voies de pierre. Henry Ford s’est vu dire lorsqu’il présentait les premiers modèles d’automobile Ford à des banquiers et prêteurs, que le cheval et la diligence étaient là pour de bon. Que n’entendons-nous pas sous nos cieux sur tous les projets d’infrastructures et d’utilité publique ? Le Corbusier, architecte, avait raison de dire : «L‘homme marche droit parce qu’il a un but : il sait où il va, il a décidé d’aller quelque part et il y marche droit.» Ce propos est un talisman pour tout pouvoir public face à l’adversité de la critique aveugle dans ses missions et initiatives, à dessein d’avoir la meilleure utilité publique et le parfait usage communautaire. Et puis, le temps demeurera le meilleur des juges !
L’internationalisation du pont, la garantie de lendemains de paix
Le pont est réalisé, il reste de mettre en place un modèle de gestion efficace et durable. La coopération entre le Sénégal et la Gambie a permis ce fruit et les deux pays doivent poursuivre les contacts diplomatiques pour une meilleure exploitation. En effet, on peut présumer que l’ouvrage sera géré selon des modèles déjà existants. Le mécanisme par exemple d’une internationalisation du pont sur le fleuve Gambie serait une formule pertinente. En effet, on a pu observer que pour des ouvrages comme le Canal de Suez ou le Canal du Panama, des infrastructures concernant plusieurs pays, le modèle de l’internationalisation a pu permettre de sauver la continuité du trafic, même en période de guerre ou de tensions politiques, diplomatiques ou militaires engageant les Etats concernés.
Le pont sur la Gambie ne devra pas cependant être une fin en soi. Le Sénégal devra poursuivre ses projets de réalisations d’ouvrages routiers qui contourneront la Gambie. Un ouvrage de plus serait opportun dans le sens où il desservirait des localités et des contrées territoriales jusqu’ici enclavées, notamment dans la forêt de Pata et autres localités de la circonscription administrative de Médina Yéro Foula. Les relations entre le Sénégal de Macky Sall et la Gambie de Adama Barrow sont excellentes, mais cette embellie pourrait se dégrader un jour ou l’autre, et dans de telles situations, la bêtise humaine pourrait prendre le dessus sur les intérêts des peuples. On avait bien vu les relations en dents de scie entre le Sénégal et la Gambie du temps de Dawda Kairaba Jawara ou de Yaya Jammeh. Léopold Sedar Senghor, Abdou Diouf ou Abdoulaye Wade avaient chacun été déroutés par des sautes d’humeur des autorités gambiennes. Qu’est-ce que Macky Sall n’a pas eu comme difficultés avec Yaya Jammeh ?
A ce pont s’ajoutent de nombreuses initiatives comme les dessertes maritime et aérienne. L’Etat du Sénégal subventionne à hauteur de 50% les tarifs des transports maritimes et les prix pratiqués jusqu’ici sur la ligne Dakar-Ziguinchor par les compagnies aériennes apparaissent comme assez sociaux. Pourvu que ça dure !Déjà les usagers se félicitaient de l’amélioration des conditions de transport grâce à la mise en service des bus de Senegal Dem Dikk dont les tarifs sont relativement populaires.
Les productions agricoles, fruitières ou halieutiques qui étaient perdues faute de moyens d’écoulement vers des zones de consommation seront sauvées. On peut en déduire un regain de pouvoir d’achat pour les populations locales. De même, l’amélioration des conditions de transport vers la Casamance pourra développer les échanges économiques, sociaux et surtout le tourisme, qui reste une source importante d’activités économiques pour la zone. Dans sa tombe, l’Abbé Diamacoune Senghor se convaincrait que le monde a vraiment changé pour que la Casamance soit «retournée» au Sénégal, quand on lui dira que désormais un automobiliste peut prendre la route après avoir pris son petit déjeuner à Ziguinchor et arriver à Dakar avant l’heure du déjeuner.
Erratum
Dans notre chronique en date du 14 janvier 2019, nous avons prêté au Président Abdou Diouf la formule “silence assourdissant:. Nous tenons à rectifier que le Président Diouf avait simplement repris notre excellent confrère Mamadou Amath.
Toutes nos excuses à nos lecteurs.