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Frères Guissé & Touré, La Recette De L’authenticité

Frères Guissé & Touré, La Recette De L’authenticité

Les chants de circoncision restent les meilleurs souvenirs de mon enfance et de mon adolescence à Ziguinchor. Ils ne demandaient pas grand-chose, pas de matos, ni même d’occasions particulières. Il suffisait juste qu’une bande de camarades les entonne en chœur – qu’il y eût des circoncis en initiation ou pas, peu importait – il fallait juste que la magie nous prenne pour que nous nous missions à chanter. En mandingue, en peulh, ou en diola, nous les connaissions toutes. Ils gardaient la même complicité, malgré les langues différentes, la proximité des mélodies, la communauté du rythme, et – bénédiction sans doute – les mêmes sens. Dans les rues de Ziguinchor, le jour de la sortie de réclusion des circoncis, les fêtes battaient leur plein sous les chants d’initiation et les voix innocentes de l’enfance étaient le cœur de la chorale. En tête des processions, j’avais souvent le diable au corps en déclamant en mandingue ce rituel. Il me semblait, dans l’intonation, dans la gravité qui nous habitait, dans notre gourmandise à chanter, qu’il y avait là comme dans ces chants notre histoire et surtout notre unité. Je me plais souvent à faire ce rapprochement. Les chants de circoncision sont d’autant plus un trésor, qu’ils sont gratuits dans la communauté et presqu’introuvables dans le champ du monde. Il m’est arrivé souvent de les rechercher via les plateformes modernes, sans grands succès. Et cela ne m’a pas ébouillanté. Je consentais à les laisser au secret.  

C’est souvent une question de lignée, de tribu, de communauté, de famille. Les chants portent ce flambeau qui traverse les générations avec un legs. Sans jamais souffrir de fermeture, ils s’ouvraient à toutes les autres communautés. La fondation était là, source commune, comme la métaphore d’une nation qui existait déjà, surplombant pour mieux les célébrer, les ethnies et les groupes. Je chantais avec mes amis peulh [Jibi leli], avec les mandingues, [Ledula], avec les Joolas, [Assekawo] … Et sans doute beaucoup d’autres, partout dans le pays, pouvaient témoigner de cette souplesse et de cette agilité qui est le premier pilier de la civilisation de l’universel. Tous ces chants me sont restés en mémoires, et pour les enrichir, je me trouve souvent à admirer les choristes de Salif Keita, les chœurs Yiddish et bien d’autres chants en groupe qui vous remuent comme seules savent mieux le produire : les versets du Coran ou les chants religieux, vers quelques Dieux ils se tournent.

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Quand je me replonge dans l’anthologie nationale de notre musique, c’est comme par évidence, que je trouve chez Touré Kunda, chez les Frères Guissé, comme les gardiens de cet esprit de mon enfance, qu’ils ont su faire voyager, et qu’ils ont façonné comme la recette de l’authenticité.

Chez les frères Guissé, cette impression s’est manifestée très vite à mon plus grand bonheur. Il y avait bien une patte, un savoir-faire, une esthétique, une tradition du chant que la complicité familiale sublimait. Sublimes paroliers, chez eux, le frisson de la mélodie chemine divinement avec la grandeur du texte. Chanson morale sans être moralisatrice, elle édictait de ces leçons sociales fortes, confessées par des voix harmonieuses et basses. Comme une signature, les titres de toutes les chansons tenaient en un seul mot [Ciré, Ndèye, Fama, Yakaar, Laram…] On y voit célébrer la femme, la mère, la sœur, l’amante… Tout le répertoire des émotions où perlent les voix de ce groupe masculin, qui comme dans une mission, entretient la flamme des traditions qui libèrent l’individu. En naviguant du peulh au wolof, en gardant les mêmes trames, le même génie mélodieux, les frères Guissé ont marqué la scène musicale de leurs empreintes singulières. Tout paraît si fluide, si naturel. Par-dessus tout, on sent la volonté de préserver un savoir artisanal et vocal, qui prend source dans la lignée et qui épouse la modernité pour mieux rester inaltéré en son cœur. A l’image de Wasis Diop, de Samba Diabaré Samb, il y a un écho singulier, l’impression d’une différence, d’une particularité, d’un souffle historique qui leur assurera certainement une glorieuse postérité. Le talent a cette longévité, toujours plus inaltérable, dès qu’il s’enracine dans l’authentique.

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Le Sénégal a eu une chance d’avoir eu, en même temps, sur la même scène, des artistes, d’une même génération plus ou moins, Youssou Ndour, Omar Pene, Baba Maal, Ismaël Lô, Touré Kunda, Frères Guissé etc…Comme pour les écrivains français du 19 siècle, la génération des Zidane – Ronaldo au foot, il existe comme ça des cohabitations de génies, des générations qui relèvent du don. On peut gager que cette grâce a touché ces frères casamançais de Touré Kunda. Sous l’aile du frère aîné-éclaireur qui a initié et réveillé ce talent familial dont les chants me rapprochent plus directement des chants païens, des chants de circoncision qui vous maintiennent dans l’insouciance. Les frères Touré ont voyagé, établi des ponts entre continents, fait briller un art. J’ai toujours eu une relation admirative à la langue mandingue, dans les chants de circoncision, je trouvais que les angles et les chutes avaient un sens du rythme atypique. On sent les mêmes volontés de la transmission chez les frères Guissé & Touré. Les proximités, par-delà les langues, se font aussi à travers les rythmiques à contretemps, la mise en avant des voix et ce goût de rester fidèle à un patrimoine. Touré Kunda a probablement sa gloire derrière mais Ziguinchor se mire à travers une œuvre. Les concerts courus dans les années 80 ancrent la patte de frères à qui on peut passer, sans remords, le fait de décliner.

On serait bien tenté de penser que les frères en musique produisent toujours ce type de groupes inséparables et ce partout dans le monde et les exemples sont innombrables. Sans sur-analyser, il doit bien y avoir sans doute dans la gestation ensemble d’un projet, à partir d’un héritage commun, dans le pacte de sang, les éléments pour comprendre cette unicité. Mais nul besoin d’aller au-delà du secret des familles. Le mystère de ne rien savoir de leur cuisine intérieure est une noble discrétion. Même si ces deux groupes semblent sur l’arrêt, parfois le déclin, sans la superbe d’antan, traversés sans doute par des épreuves, il y a un legs. C’est lui, par sa dimension, par sa présence éternelle, qui nous rend envers cette famille de frères, redevables. A l’heure où l’authentique reste un enjeu aux contours mal formulés, les frères Guissé et Touré ont tracé un chemin, une sorte de recette naturelle du vrai. Nés au Sénégal, vivant en France en partie, voyageant, chantant en peulh, mandingue, français… L’universel et le local en convoi ensemble, pied de nez à ceux qui les opposent ! Chaque chorale est une famille, c’est à ce souvenir que me renvoient, au milieu de ces gardiens, mon enfance et mes chants avec mes cousins, sur l’air d’un [Ledula Bankoto Ledula, ayee /Ledula bankoto yee / Ngasundi Ledula felee Bankoto/ Ledula N’te bal fa].

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