#Enjeux2019 – Après la « diplomatie de rupture » d’Abdoulaye Wade qui fût profondément internationaliste de par son ancrage panafricain, Macky Sall, 4ème président de la République du Sénégal, s’est évertué à faire renaître le réalisme dans la politique étrangère de son pays. Son programme de campagne en 2012, le « Yonu Yokkuté » et ses premiers pas sur la scène internationale dessinaient les contours d’une diplomatie sénégalaise moins démonstrative que celle de son prédécesseur et qui replace la rationalité au cœur des actions de l’exécutif sénégalais.
Le « contrat avec le monde » de Macky Sall en politique étrangère est un retour aux fondamentaux de la politique Sénégalaise en matière de relations internationales reposant sur ce que des intellectuels tels que Hans Morgenthau, Edward Carr et John Mearsheimer, ont théorisé comme du réalisme : la consolidation de la souveraineté nationale et la préservation de intérêts internes.
– Politique de bon voisinage : entre rapport de force et apaisement –
Dans le grand concert des nations, l’influence de Dakar est sans équivoque et il est celui qui porte la voix africaine. Aujourd’hui encore, le Sénégal se pose, avec l’onction de l’Europe et des Etats-Unis, en « gendarme » régional des valeurs universelles de paix, de stabilité, de démocratie et de respect des droits de l’homme. Le caractère anarchique de l’Afrique Occidentale et l’instabilité chronique qui prévaut dans la majorité des pays lui imposent une politique de « zone tampon » avec ses voisins. L’objectif étant d’éviter que les crises frappant les pays frontaliers ne le contaminent et ne fragilisent la cohésion nationale.
S’inscrivant dans la tradition réaliste de ses prédécesseurs, le président Sall a, dans ses relations avec ses voisins, alterné entre le rapport de force et la diplomatie d’apaisement. Tout le monde garde à l’esprit la fermeté avec laquelle Dakar a pris la décision de clôturer ses frontières afin d’éviter la propagation du virus Ebola sur son territoire ou encore le rôle joué par le Sénégal dans la sortie de crise de la Guinée Bissau qui a abouti à la nomination d’un Premier Ministre de « consensus ».
Mais on ne saurait parler de politique de voisinage sans revenir sur ce qui est probablement le plus grand succès du septennat du président Macky Sall, à savoir l’intervention en Gambie. Sentant une opportunité historique à travers la tentative de se maintenir au pouvoir du président Gambien, Yaya Jammeh, Macky Sall utilise l’impératif du maintien de l’ordre et de la démocratie pour rentrer chez son voisin et y installer Adama Barrow comme nouveau président. Aujourd’hui le pont de Farafenni, qui désenclave la Casamance, fait renaître l’espoir d’une paix durable dans cette région affligée par un conflit vieux de près de 40 ans.
Alors qu’avec la Mauritanie, face aux questions sensibles des zones de pêche, de la transhumance qui obéraient et fragilisaient le développement d’une diplomatie de bon voisinage, le Sénégal a su négocier des contrats de pêche ainsi qu’un accord sur le partage des ressources pétrolières et gazières qui permettront enfin aux deux pays de jouir pleinement de la richesse de la zone frontalière.
– Une diplomatie d’influence au service du développement économique –
Son intégrité territoriale protégée, le Sénégal a également su transformer son influence dans les organismes internationaux en vraie stratégie de développement économique. En effet, ayant conscience de l’importance grandissante de l’Afrique pour les grandes puissances mondiales, le président Sénégalais a travaillé à renforcer l’influence de son pays dans les instances auxquelles il appartient (CEDEAO, UEMOA, OCI, ONU…) afin de se rendre incontournable dans les stratégies économiques des investisseurs et des bailleurs.
C’est ainsi que le Sénégal a retrouvé pour la troisième fois de son histoire une place de membre non permanent au conseil de sécurité de l’ONU et a pu jouer un rôle essentiel dans la majorité des opérations de maintien de la paix en Afrique. Cette réputation de pays stable, démocratique et de bonne gouvernance a permis au Sénégal d’être bénéficiaire du second compact du Millennium Challenge Account (MCA) dont le financement est axé sur la modernisation de l’accès à l’électricité, un des projets prioritaires de développement du Sénégal.
L’exercice du pouvoir ayant renforcé la familiarité de Macky Sall avec les affaires internationales, la maîtrise des jeux de rôles avec les nations, la diplomatie d’influence du Sénégal a pris une certaine envergure. L’Etat d’Israël qui avait rappelé son ambassadeur et gelé ses relations diplomatiques avec le Sénégal suite à un vote à l’ONU contre la colonisation Palestinienne, a, quelques années plus tard, annoncé dans un communiqué conjoint entre Macky Sall et Benyamin Netanyahu, la décision de rétablir les liens entre les deux pays. La CEDEAO étant une région importante dans la stratégie commerciale d’Israël en Afrique, le Premier Ministre Israélien avait besoin de l’incontournable diplomatie Sénégalaise pour arriver à ses objectifs.
Dans le même sens, risque a été pris de s’attirer la foudre de Pékin en soutenant les Rohingyas musulmans persécutés en Birmanie, un pays allié de la Chine. Mais dans sa stratégie « belt and road » en Afrique de l’Ouest, le Sénégal est un pion essentiel et les nombreux accords commerciaux avec le gouvernement chinois et la visite du président Xi Jinping au Sénégal en Juillet 2018 le confirment.
Les relations étroites que le Sénégal entretient avec la Turquie est un autre exemple de la politique réaliste de Dakar. En effet, malgré les protestations de ses alliés traditionnels tels que la France et l’Union Européenne, Ankara étant le plus offrant, a réalisé de nombreux projets d’infrastructures au Sénégal, dont le Centre de Conférence de Diamniadio et le nouvel Aéroport international Blaise-Diagne.
– Du réalisme défensif vers un réalisme offensif –
Dans l’ensemble, la politique étrangère Sénégalaise a été une des grandes satisfactions du septennat du président Macky Sall.
Cependant, l’action extérieure de Dakar peut être décrite comme ce que Kenneth Waltz appelle le réalisme défensif qui consiste à réagir à des menaces apparentes et agir pour préserver ses intérêts. Or ce principe organisateur pour un pays comme le Sénégal a pu fonctionner jusqu’à présent, mais dans un monde qui devient davantage multipolaire et anarchique, le Sénégal aura besoin d’être encore plus stratégique pour préserver son intégrité territoriale et de continuer à agir au service de ses intérêts dans le monde.
En effet, à en croire la théorie du « Piège de Thucydide » qui prévoit l’entrée en guerre de la puissance dominante avec une puissance émergente, les Etats-Unis et la Chine sont prédestinés à un conflit. La Russie, les États du golfe et les puissances Européennes sont également engagés dans une lutte pour retrouver leurs places historiques d’hégémonies régionales.
Dans ce contexte, il va falloir que Dakar passe d’un réalisme défensif à un réalisme offensif modéré, ce qui nécessite des actions préemptives et mesurées pour accroître son influence régionale et pratiquer un équilibrisme stratégique face aux aspirations des grandes puissances qui voient finalement l’Afrique comme une zone d’influence potentielle.
Quid de l’après 2019, avec une continuation de Macky Sall ou l’arrivée d’un de ses concurrents ? La diplomatie sénégalaise va-t-elle changer de cap ou persister dans la voie qui est la sienne depuis 2012 ? La diplomatie est le sujet absent de cette campagne, car elle n’est pas d’un enjeu « électoral » aussi important que l’agriculture ou l’énergie auprès du grand public. Ce qui génère un manque de lisibilité de la part des spécialistes sur l’orientation de chacun des candidats en matière de politique étrangère, surtout de la part des quatre candidats de l’opposition.
Quelle diplomatie chacun d’entre eux dessine-t-il pour notre pays dans un avenir rempli d’incertitudes et de convulsions géopolitiques et géostratégiques ?
Mayecor Sar est expert en politiques publiques, spécialiste des questions liées à l’économie politique, la gouvernance et les relations internationales. Il a été désigné Millennium Fellow au Atlantic Council et Emerging Leader au German Marshall Fund. Ancien élève de la Lee Kuan Yew School of Public Policy de Singapour (National University of Singapore), il est également diplômé en sciences politiques, philosophie et économie (PPE) de l’université de York en Grande Bretagne.