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DÉcryptage Du Programme SantÉ Des Candidats

DÉcryptage Du Programme SantÉ Des Candidats

#Enjeux2019Après deux alternances décevantes en 2000 et 2012, les citoyens sénégalais se veulent de plus en plus regardants sur les offres politiques des différents candidats. L’exigence de plus en plus pressante d’adhésion aux programmes des candidats, comme seul critère de vote, se heurte néanmoins à plusieurs écueils. De fait, les préoccupations clientélistes et politiciennes de la quasi-totalité de notre classe politique prennent le pas sur les enjeux de développement véritable, ce qui ne facilite pas l’élaboration de programmes pertinents. Il faut enfin, avouer, que les dirigeants de nos États disposent d’une faible marge pour définir des politiques sanitaires, qui obéissent, depuis plusieurs décennies, aux canons des officines financières internationales ainsi qu’aux normes des autres partenaires techniques et financiers.

Nous nous proposons d’examiner les programmes des candidats relatifs à la santé et à l’action sociale.

Deux candidats n’ont pas bien développé le volet santé dans les documents que nous avons reçus. Il s’agit de la Coalition Madické 2019, qui préconise de tenir les États Généraux de la Santé et de faire un état des lieux de la Couverture Maladie Universelle. Il y a aussi le candidat du PUR, qui lui aussi évoque, dans ses 100 points, la couverture sanitaire universelle et la prise en charge des personnes du 3ième âge.

– Coalition présidentielle : une continuité désastreuse –

Pour le candidat sortant, la crise patente du système sanitaire traversé par d’innombrables conflits sociaux et incapable de satisfaire la demande de soins suffisent amplement à démontrer l’échec de sa politique socio-sanitaire.

Or, aucune mesure de redressement n’est présente dans ce qui lui tient lieu de programme Santé mais qui ne laisse entrevoir aucune cohérence propre, renvoyant constamment au Plan Sénégal Émergent (PSE), qui a fini de plonger notre économie dans un tragique naufrage. De plus, jusqu’à preuve du contraire, le PSE n’est pas le programme de la coalition BBY, mais celui gouvernemental et on se serait attendu à une évaluation plus critique de la politique sanitaire et à une identification des nouveaux défis apparus, ces sept dernières années.

Au lieu de cela, on a eu droit à une brève appréciation de l’état d’avancement du volet Santé et nutrition du PSE qui, à part une consolidation de certains acquis, comme la baisse de la prévalence du VIH/SIDA de 0,7% à 0,5% entre 2012 à 2017, fait état de contre-performances en matière de :

  • mortalité maternelle et infanto-juvénile, dont les taux restent élevés,
  •  vaccination infantile (70% au lieu des 80% attendus)
  • couverture en assurance-maladie de 50%, alors qu’elle devrait passer de 20 à 75% en 2017,

Sur le plan de l’offre de santé, le programme du candidat Macky Sall, met en exergue quelques infrastructures, initiées depuis plusieurs années par les précédents présidents ou prévues dans le dernier PNDS (2009-2018).

Au chapitre des promesses électorales, le président sortant fait miroiter des perspectives d’élargissement de l’offre de santé par la construction de nouvelles infrastructures.

Il promet aussi mettre l’accent sur la lutte contre les médicaments de la rue et sur la prise en charge des urgences. Enfin, il compte instaurer, à partir de 2020, une nouvelle carte baptisée KASSUMAY pour tous bénéficiaires, en vue de rationaliser le système de couverture maladie universelle.

– L’approche critique des challengers –

Les challengers du président Macky Sall (particulièrement les candidats Idrissa Seck et Ousmane Sonko) s’accordent, quant à eux, sur un état des lieux alarmant de la politique de santé publique. Elle est caractérisée, selon eux, par une accessibilité́ aux soins très insuffisante, sur le double plan géographique et financier, une faiblesse des plateaux techniques, des ressources humaines insuffisantes, une gestion inadéquate des urgences médicales… On note, en outre, une politique d’approvisionnement en médicaments et produits essentiels inefficiente avec des ruptures de stock itératives et un déficit en équipements sans véritable politique de maintenance.

Il en résulte une offre de soins incomplète et mal répartie, concentrée dans la capitale et relevant plus globalement d’inégalités territoriales et sociales.

Il y a également l’absence de fiabilité du système national d’informations sanitaires,  l’insuffisance du financement de la santé, le caractère obsolète des curricula de base des écoles de formation.

Sur le plan social, il est fait état de l’état de la grande pauvreté, qui affecte la majorité de nos concitoyens à des degrés divers, allant des “pauvres sociaux” (obligés de partager un revenu déjà très maigre avec leur entourage), aux victimes d’indigence totale. Il en résulte des difficultés drastiques d’accès aux soins, obligeant bon nombre de sénégalais à choisir entre leur subsistance quotidienne ou la recherche de soins.

Il est clair qu’en raison de l’absence de protection sociale, pour la majorité d’entre eux, ils en sont réduits, au paiement au comptant en cas de maladie, d’où l’orientation par trop curative de la demande de soins.

C’est pourquoi, ils préconisent de mettre en œuvre des programmes de promotion, de sensibilisation et de prévention des maladies transmissibles et non transmissibles et d’accorder la priorité à l’Information, l’Éducation et la Communication (IEC), en vue d’éduquer les sénégalais sur les possibilités d’accès aux services sanitaires, mais aussi sur la prévention de manière générale.

La conclusion qui en découle est la nécessité de faire de la santé un droit et non un privilège, de reconnaître l’existence d’un lien direct entre santé et développement et d’instaurer une démocratie sanitaire, en instituant un dialogue permanent avec tous acteurs et les usagers. Cela permettra de protéger les populations les plus vulnérables, que sont les pauvres, les femmes, les vieillards et les enfants, qui doivent bénéficier d’une attention particulière.

Rappelons que le gouvernement sénégalais est en train de mettre en œuvre une politique dite de couverture maladie universelle (CMU), alors que l’OMS préconise une couverture sanitaire universelle (C.S.U.), ayant pour vocation, non pas de « courir derrière les maladies », mais d’assurer à tous les citoyens, un accès équitable à des services de santé de qualité et de leur garantir la protection financière.

Malgré cela, les candidats de l’opposition déplorent un déficit patent de protection sociale au niveau du Sénégal et critiquent le programme de couverture maladie universelle du gouvernement, pointant du doigt les énormes arriérés que l’État doit aux hôpitaux et structures sociales, dans le cadre des programmes de prise en charge des personnes du troisième âge, des accouchements par césarienne, des insuffisants rénaux sous dialyse, et allant, même, pour certains, jusqu’à vouloir remettre en cause le modèle de CMU basé sur les mutuelles.

– Idy 2019 : un programme novateur –

En effet, la coalition IDY2019 préconise l’évaluation de la CMU pour estimer sa soutenabilité et propose de la remplacer par le service de gestion sanitaire et social (SGSS).

Dans cette nouvelle démarche, il faudrait bannir les retards de remboursement pour les initiatives de gratuité, payer toutes les dettes sociales, assurer la gestion de l’indigence en rapport avec l’Action Sociale et les Collectivités territoriales.

Elle propose également de réactualiser les Assises nationales de la santé, de rendre le système de santé plus performant, de renforcer la recherche et d’initier un dialogue avec les Ordres des professionnels de la Santé et de redéfinir la carte sanitaire, en rapport avec l’Acte 3 de la décentralisation, pour combler les gaps en infrastructures et équipements. En outre, elle envisage de valoriser le capital humain à travers la mise en exergue de l’engagement sans faille du personnel socio-sanitaire.

Enfin, en cas de victoire, elle initiera un programme novateur dénommé « La Santé Partout et Pour Tous » avec les principales mesures suivantes :

  • Apurer, dans l’immédiat, les remboursements et dettes sociales dues par l’État à l’Agence de la CMU et aux Instituions sociales (IPRES et Caisse de Sécurité́ Sociale).
  • Assurer à chaque sénégalais, un service minimal gratuit d’accueil et d’urgence qui sera valable à tous les niveaux de la pyramide sanitaire ;
  • Veiller à ce que la loi encadre le système en faveur des populations surtout les personnes dites vulnérables ou en état de handicap ;
  • Régler la question du statut des personnels de la santé et former le personnel des services d’accueil :
  • Assurer la disponibilité́ en quantité́ de ressources humaines en santé :
  • Augmenter le nombre d’étudiants sénégalais orientés en médecine ;
  • Former des médecins spécialistes sénégalais en quantité́ suffisante ;
  • Renforcer les écoles publiques de formation sanitaire existantes (ENDSS, centre régional de santé…)
  • Assurer la disponibilité́ en qualité́ de ressources humaines en santé :
  • Systématiser des mesures incitatives pour fixer le personnel (indemnités particulières, logement, véhicules…) particulièrement dans les milieux défavorisés.
  • Renforcer les infrastructures et les équipements :
  • Renforcer le financement de la santé :
  • Porter à 15% le budget de la santé conformément à la recommandation de la CEDEAO, avec d’autres sources de financement (taxes sur le tabac, ciment, pétrole, gaz, etc…) en sus des sources existantes.

– Sonko 2019 : un programme à forte connotation sociale –

La Coalition SONKO2019 accorde une large place à la femme et à l’enfant, considérés comme des couches vulnérables. Elle estime, que dans notre pays, les femmes subissent le poids de la pauvreté et de l’analphabétisme. Elles sont encore victimes de graves violations de leurs droits humains et de leurs droits en matière de sexualité et de santé de la reproduction. Enfin, elles meurent encore trop souvent, de causes évitables, en donnant la vie.

D’importantes mesures sont prévues pour alléger leurs souffrances : recherche de paternité en cas de grossesse non désirée, le soutien psychologique en cas de viol, le reversement systématique des pensions des femmes décédées aux ayant-droits, la facilitation de leur accès au foncier, le congé de maternité de 6 mois et une politique d’incitation pour la construction de crèches.

On a donc affaire à un programme à forte résonnance sociale, tourné, également, vers les enfants de la rue, les séniors et personnes vivant avec un handicap, pour lesquelles, il est demandé l’application effective de la Loi d’orientation sociale, l’accessibilité des édifices publics, de même que la jouissance et l’exercice des droits politiques. Outre l’accompagnement de la population carcérale et l’autonomisation financière des personnes indigentes, le programme ambitionne d’étendre les bénéfices du système de protection sociale aux catégories socio professionnelles laissées en rade comme les paysans, pasteurs et pêcheurs ainsi que les membres du secteur informel. Il est également envisagé un rapprochement de l’IPRES et la CSS en améliorant le recouvrement des cotisations.

Sur le plan de l’accès à des soins de qualité, il est prévu

  • la construction de centres de soins gériatriques dans les hôpitaux de niveau 2 ou 3
  • l’intégration dans les hôpitaux de niveau 2 ou 3, de maternités dotées de services de néonatalogie, de réanimation et de soins intensifs néonataux pour lutter contre les mortalités maternelle et infanto-juvénile.

– Replacer la santé au cœur de l’action publique –

Les questions socio-sanitaires ont, jusque-là, souvent été les parents pauvres des programmes des partis politiques, que ce soit les documents issus de congrès ou fora nationaux ou ceux destinés à des consultations électorales. Cette année, malgré les contraintes de temps provoquées par la loi sur le parrainage citoyen, des efforts significatifs ont été observés.

Il faut d’emblée se féliciter de la prise en compte des déterminants sociaux de la santé, qui sont “les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie, ces circonstances étant déterminées par plusieurs forces : l’économie, les politiques sociales et la politique”. Il  faut également saluer la prise de conscience de l’importance des stratégies promotionnelles et préventives en santé publique, qui sont d’un meilleur rapport coût-efficacité.

Néanmoins, certaines problématiques auraient mérité plus d’attention dans les programmes présentés. Il s’agit notamment :

  • du déficit de leadership des autorités sanitaires pouvant faire penser à une politique sanitaire influencée par les Partenaires Techniques et Financiers et certains obscurs lobbies, avec des insuffisances observées dans la réglementation de la pratique privée de la médecine, de la publicité en faveur des tradipraticiens, de la lutte contre les médicaments de la rue et celle contre la dépigmentation artificielle…,
  • de la mal-gouvernance sanitaire, qui plombe les efforts budgétaires consentis par le gouvernement,
  • des contraintes d’une forte centralisation des activités, avec une approche-programme souvent qualifiée de verticale,  
  • des retards à réformer la réforme hospitalière, dont les difficultés sont liées à une autonomie excessive des établissements publics de santé avec une inefficacité des procédures de contrôle,
  • des difficultés liées au transfert de la compétence santé à des collectivités locales, disposant de faibles capacités techniques et administratives, à gérer des structures sanitaires. 

Enfin, le financement équitable et efficient de la Santé étant au cœur des politiques publiques socio-sanitaires, les organisations politiques et celles de la société civile doivent s’investir pour la réussite de la couverture sanitaire universelle, qui transcende les clivages partisans.

#Enjeux2019

Dr Mohamed Lamine Ly est Spécialiste en santé publique, Ancien secrétaire chargé de la politique de santé du SUTSAS (1998 à 2007) et actuel secrétaire général de la Coalition pour la Santé et l’Action sociale (COSAS).







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