#Enjeux2019 – Nous exprimerons demain nos suffrages comme nous l’avons toujours fait en pareilles circonstances. Malgré nos adhésions différentes, voire divergentes, nous demeurons le 25 février une nation. Demain se manifestera à nouveau la démocratie à travers la compétition de cinq de nos concitoyens, en vue d’accéder à la station suprême : le service au peuple sénégalais.
Mais ce jour est juste une étape dans la construction de notre pays. Le Sénégal du lendemain du scrutin mérite toute notre attention, afin de clore le cycle de la démocratie procédurale pour enfin inaugurer l’ère de la démocratie substantielle, socle d’égalité, de justice et de prospérité.
– Relever les défis de l’heure –
Le débat public n’a pas été à la hauteur des enjeux de notre pays et des bouleversements d’un monde en proie au terrorisme, aux drames de la migration et au replis identitaires qui posent un défi de civilisation. Le Sénégal est un grand pays et mérite à ce titre une classe politique digne de son poids et de sa stature en Afrique. Des questions aussi cruciales que l’éducation, la culture, l’écologie, la justice, la laïcité, n’ont pas été abordées avec la rigueur que leur importance requiert.
Dès lors, des chantiers s’imposent à la nouvelle génération de penseurs, militants, cadres, travailleurs, étudiants, sans emplois. Ce Sénégal de la majorité silencieuse, qui n’est représenté par aucun courant politique doit construire un peuple, afin de féconder des idées que le corps politique traditionnel ne parvient pas à appréhender dans leur complexité et leur urgence.
Les Sénégalais vivent dans des souffrances profondes qui méritent une attention particulière. Mais nos concitoyens ont toujours gardé dignité et honneur, foi et espoir. Notre pays n’a jamais cédé à la tentation de la haine et de la xénophobie, de la peur de l’autre ou du repli sur lui-même. En ces temps incertains, où il est facile d’indexer l’autre comme objet de notre malheur, notre pays ne doit jamais renier nos valeurs de Teranga, de paix, de solidarité, de concorde religieuse pour rester un et indivisible.
Le Sénégal doit demeurer un havre de paix, une terre d’accueil et de réconfort pour toutes celles et ceux opprimés ailleurs. Toute personne qui subit ostracisme et rejet ailleurs doit trouver en notre pays chaleur et hospitalité. Le jour où notre pays renoncera à son exigence de lutte contre toutes les passions tristes qu’incarnent ceux qui préfèrent ériger des barrières au lieu de construire des ponts, il récoltera défaite et déshonneur. Et nous aurons trahi le legs de nos ancêtres, de ce qui a fait du Sénégal une terre de Teranga. Nous devons demeurer la terre des Sénégalais de naissance comme ceux d’adoption qui ont été intégrés pleinement dans notre récit national. Nous sommes le pays de Samir Abourisk, de Jean Collin, de Théodore Monod, de Jacqueline et Lucien Lemoine.
Demain nous irons à nouveau manifester notre adhésion à la démocratie ouverte. Malgré la tenue de scrutins libres et transparents, qui ont déjà charrié deux alternances, notre pays tarde à passer du statut d’Etat légal à un Etat de droit. Notre démocratie doit subir des innovations tendant à la moderniser pour enfin arrimer des politiques économiques, sociales, culturelles et écologiques qui constituent des réponses aux véritables attentes de nos concitoyens. Des questions aussi essentielles que la décolonisation totale, le culte de l’égalité, le féminisme, le progrès social et sociétal, le retour de la démocratie dans son lieu originel, c’est à dire le cœur de la cité, la souveraineté, la défense, l‘école républicaine, le patriotisme économique, la sécurité, le réarmement de la puissance publique, la santé, la lutte contre l’exploitation des enfants talibés, la paix en Casamance doivent être au cœur des débats publics et de l’action publique.
Notre démocratie, pour être majeure, doit donner au pouvoir les leviers pour agir et libérer la veuve et l’orphelin. Nous devons lutter pour un Etat fort et stratège, décentralisé et social, afin d’être au quotidien, aux cotés des plus faibles, de ce peuple sur qui le pouvoir s’exerce.
Une démocratie majeure doit exiger de ceux qui gouvernent, l’impossibilité de changer en cours de mandat les règles de la compétition électorale par le passage en force, l’instrumentalisation de la justice, l’achat de conscience et le culte de la transhumance. Dans un pays qui dispose d’une dizaine de langues nationales codifiées, et où une large frange de la population n’est pas alphabétisée en français, réserver le débat démocratique à une élite francophone est un mode d’exclusion du plus grand nombre. Le pays de Cheikh Anta Diop doit accorder une plus grande importance aux langues nationales.
Le Sénégal est un pays jeune gouverné par des personnes âgées. L’Assemblée nationale légifère et exerce ainsi un pouvoir sur une majorité de la population qu’elle ne représente pas. La jeunesse est absente des instances des partis politiques, des assemblées électives et des cercles de décision, cantonnée au rôle peu valorisant de force musculaire voire de supplétif d’une armée de vieux. Or, ce sont les jeunes sénégalais qui meurent en période de campagne électorale, ce sont eux qui souffrent du chômage, d’une école qui n’éduque plus et d’une société en proie à toutes les violences symboliques.
Moderniser notre démocratie, c’est, par l’interdiction du cumul des mandats, le renouvellement de la classe politique, l’exercice des alternances dans les partis et la prise en charge des talents partout sur le territoire et au sein de la diaspora. Il nous faut donner un espoir de réparation et d’émancipation à la jeunesse au lieu des illusions actuelles, car elle constitue le cœur du corps social de notre pays.
Elle mérite une prise en charge des préoccupations liées à son devenir au lieu d’être reléguée au rôle de témoin des arrangements politiciens entre les membres de la caste.
– La quête des victoires morales –
Le Sénégal est un grand pays. Il nous faut constamment rappeler la grandeur de notre pays, son génie et sa place dans le monde. Nous ne devons pas avoir peur de l’idée de nation. Nous devons même, de cette belle idée, extraire la sève nourricière de notre ambition pour le progrès, la justice et l’égalité. Nos hommes et femmes politiques doivent enfin dépasser les mots et les déclarations d’intention pour agir et rompre avec le cycle d’abaissement national dans lequel notre pays est plongé.
L’action publique implique d’aller à la quête des victoires morales qui sont le lot des grands hommes. Cela passe par provoquer un souffle nouveau à un pays dont les acteurs publics ne doivent oublier qu’ils sont les légataires d’une longue tradition historique et démocratique, de Léopold Sédar Senghor à Mamadou Dia, de Cheikh Anta Diop à Mahmouth Diop.
Demain, nous aurons le choix parmi cinq hommes. Mais notre combat doit dépasser le cadre personnel pour mettre en miroir un combat générationnel qui va au delà d’un candidat, d’un parti, d’une échéance électorale.
Pour donner à notre pays une dynamique nouvelle, notre génération doit opter pour le progressisme comme boussole, la vertu comme levier phare, l’égalité comme horizon indépassable.
Notre génération, en luttant contre tous les conservatismes, se doit d’être le fer de lance de la construction d’un peuple contre la caste qui s’arroge argent et privilèges, afin de permettre l’éclosion d’une politique de rupture, de transformation et de production d’espoir d’une vie meilleure.
Ni de gauche, ni de droite, ni dans les schémas catégoriels actuels inopérants de pouvoir ou d’opposition, notre génération doit être porteuse d’une grande ambition démocratique enveloppée dans une exigence progressiste, républicaine et panafricaine.
C’est pour cette haute idée de notre pays que nous nous battons !
Hamidou Anne est né à en 1983 à Dakar. Ancien élève de l’ENA, il est essayiste et doctorant en Science politique. Co-auteur de l’ouvrage collectif « politisez-vous » (United Press, 2017), il a publié « Panser l’Afrique qui vient » (Présence Africaine, 2019).