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La Victoire De La Corruption

La Victoire De La Corruption

Dans les quartiers pauvres de Dakar qu’il fallait gagner à tout prix, et dans les villes et villages « sensibles » à travers le pays, on a investi des femmes (il semble qu’il n’y ait pas eu d’hommes assignés à ce travail) pour distribuer 6 mètres de tissu à chaque électrice qui s’engageait à voter pour le président. En promettant 5 000 fcfa ou 10 000 fcfa après le vote sur présentation des bulletins des candidats autres que Macky Sall, pour prouver qu’on avait voté pour ce dernier.

Les notables et « leaders d’opinion » (marabouts, devins, chefs de villages et de quartiers, griots et autres communicateurs traditionnels), dument identifiés, ont été « motivés » eux, à coup de millions de FCFA. On a vu par exemple en vidéo,  des  dignitaires d’une mosquée d’une proche banlieue dakaroise prier pour « Macky Sall et son épouse » pour avoir donné 4 millions de FCFA à la mosquée.

Dans le plan « d’un coup KO » de la campagne de la coalition Macky 2019, figurait aussi en bonne place le retournement et la transhumance vers le parti du président des barons wadistes ainsi que des militants de la société civile et de partis dit d’opposition qui s’étaient coalisés en 2012 contre la tentative du président Abdoulaye Wade de se faire élire pour un troisième mandant. En réalité, l’opération transhumance a été lancée dès les premiers jours du septennat de Macky Sall.

On s’est servi des rapports des organes de lutte contre la corruption (l’Office National de lutte contre la fraude corruption, OFNAC),  l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), la Cellule Nationale de Traitement de l’Information Financière (CENTIF) et la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI), pour faire « tenir » des dignitaires de l’ancien  régime puis les retourner. C’est bien pourquoi, malgré le tapage médiatique orchestré autour des procès, seul Karim Wade aura été condamné. Avant d’être  d’ailleurs gracié au bout de quelques mois d’emprisonnement, puis exfiltré sans explications vers …le Qatar.

C’est ainsi que tous ces gens cités dans des magouilles pour des dizaines de milliards de FCFA, les Samuel Sarr, Ousmane Ngom, Abdoulaye Baldé, dont on a gardé les dossiers sous le coude comme on dit, ont repris du service au profit de la campagne du président.

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Puis à quelques jours des élections, a été lancée l’ultime phase de l’opération avec l’objectif « d’attraper » des leaders qui pouvaient faire basculer une région ou un département entier en faveur du président candidat et qui étaient restés jusqu’alors réfractaires à ses avances.

Il se dit que les meilleures prises, telle Aminata Tall Sall et Abdoulaye Baldé ont couté chacune plusieurs dizaines de millions de FCFA en plus d’une totale immunité pour leurs turpitudes financières passées.

Que dire du financement de la campagne elle-même pour laquelle on a embauché à prix d’or, des « experts » américains, français et belges, mis en place une véritable armée informatique équipée des matériels et logiciels de dernière génération et mobilisé des centaines de véhicules de toutes sortes ?

L’achat du vote à grande échelle, la transhumance organisée des élites et des notables rémunérés en espèces sonnantes et trébuchantes et récompensée en tordant le cou à la justice, une campagne financée par un budget illimité, tous ces faits constatés par tous, ne constituent-ils pas des actes de corruption avérés ?

A moins de considérer, comme certains de nos compatriotes, que le président de la République est par la grâce de Dieu, « buur » et « bummi » et qu’il ne fait que répandre sa munificence et sa bonté sur son peuple, il faut s’inquiéter de l’origine de cette fortune qui a été investie pour la réélection au premier tour du président Macky Sall.

Quelle est la provenance de ces sommes faramineuses pour un pays comme le notre, classé 25eme pays le plus pauvre au monde ? De ces « Fonds Spéciaux » « Fonds Politiques » ou « Caisses Noires » par lesquelles 8 ou 10 milliards sont affectés chaque année au seul président de la République et dont il ne rend compte de l’utilisation à aucune institution de la République ?

Nous savons par les  rapports des corps de contrôle et de lutte contre la corruption que la trésorerie des entreprises et agences publiques telles le Centre des Œuvres Universitaires (COUD), le Port Autonome de Dakar (PAD), la Société Nationale de La Poste ou encore l’Agence de Régulation des Télécommunication et des Postes, est aussi mise à profit.

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S’il s’avère qu’effectivement la campagne électorale de M. Macky Sall a été financée par les Fonds Spéciaux, « Fonds Politiques » ou autres « Caisses Noires » ou par les entreprises et agences publiques, cela constituerait un détournement de deniers publiques par concussion et corruption.

C’est que la loi n°89-36 du 12 octobre 1989 modifiant la loi n°81-17 du 6 mai 1981 relative au financement des partis politiques au Sénégal qui exige des partis « de déposer chaque année, au plus tard le 31 janvier, le compte financier de l’exercice écoulé ; ce compte doit faire apparaître que le parti politique ne bénéficie d’autres ressources que celles provenant des cotisations, dons et legs des adhérents et sympathisants nationaux et des bénéfices réalisés à l’occasion de manifestations… », n’est que vœux pieux, jamais mise en œuvre.

Or de nos jours, toutes les démocraties modernes organisent et contrôlent le financement des partis politiques. En France, pays dont nous avons recopié servilement la plupart des lois et institutions, les lois du 11 mars 1988 et du 15 janvier 1990 établissent le plafond (4 600 €)  pour les montants des dons de personnes physiques ou morales qu’un candidat peut recevoir pour sa campagne électorale, nécessairement à travers une personne mandatée ou une « association de financement de campagne électorale ». De même que les dépenses totales de la campagne sont plafonnées. En outre, chaque candidat doit adresser une déclaration de patrimoine et les comptes de sa campagne à une « Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ». Les comptes de chaque candidat font bien entendu l’objet d’un audit à partir d’un compte bancaire unique établi pour cet effet et qui permet de retracer toutes les opérations relatives au financement et aux dépenses de la campagne.

C’est ainsi que quatre responsables des comptes de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012 ont été mis en examen pour fausse facturation et dépenses suspectées non déclarées.

En Afrique du Sud, une loi de 2018 interdit désormais le financement des partis et campagnes électorales, non pas seulement aux gouvernements étrangers et aux personnes étrangères, mais aussi aux « entités publiques ». En outre, les candidats doivent rendre public les noms des personnes physiques et morales contribuant à leur campagne pour plus de 100 000 rands (6 500 000FCFA environ).

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La question du contrôle du financement des élections a pourtant été abordée depuis plusieurs années par les acteurs politiques et de la société civile et des pistes d’actions ont été proposées. Les Assises Nationales du Sénégal indiquaient déjà en 2009, dans la « Charte de Bonne Gouvernance Démocratique : « nous estimons qu’il est urgent d’adopter une législation relative au financement des partis politiques et des campagnes électorales. Celle-ci devra définir des règles et mécanismes permettant de garantir que le financement des partis politiques et des campagnes électorales se fasse avec équité et transparence ». La Commission nationale de réforme des Institutions réunie en 2014 avançait des recommandations dans le même sens.

Le Prof El Hadj Mbodj a abordé la question régulièrement au cours des 20 dernières années et faisait remarquer encore récemment qu’il faudrait «  déboucher sur un véritable système de financement régulant en amont les ressources et contrôlant en aval, les dépenses des candidats et des partis politiques, afin de moraliser et d’instaurer une obligation de transparence financière des comptes politiques et, par ricochet, une plus grande appropriation citoyenne de la chose politique… »

L’élection du président Macky Sall au premier tour grâce à un budget illimité, provenant visiblement en grande partie de fonds publics et de sources inavouables, qui met à nu la corruption du système, indique l’urgence de la question.

La réforme de la loi sur le financement  des campagnes électorales constitue en fait l’une des taches les plus urgentes auxquelles les partis politiques et la société civile, doivent s’atteler. Une nouvelle loi doit entrer en vigueur avant les élections locales prochaines, au risque que l’on assiste de nouveau au plébiscite du parti au pouvoir. Les mêmes causes produisant les mêmes effets.

abathily@seneplus.com







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