Je ne m’attendais pas à un miracle en ce qui concerne le premier mandat du Président Macky Sall. Il l’a démarré avec un projet politique peu ambitieux et des hypothèses approximatives sur les véritables urgences du Sénégal en matière de transformation. Il a tout misé sur l’infrastructure matérielle pour réaliser son projet d’émergence, en recourant à un emprunt massif et en pensant que le développement se réduit à un squelette d’indicateurs macroéconomiques. C’est pourquoi de Yoonu Yokkuté, il est passé au PSE sans parvenir à desserrer les contraintes structurelles qui plombent son action dans l’économie nationale. Il a négligé l’infrastructure immatérielle, par choix raisonné ou par ignorance, et a, finalement, échoué à construire un citoyen responsable, imbu des valeurs de la République et conscient de son rôle en tant qu’acteur à la base de tout développement. Il a fermé les yeux, pendant sept ans, sur toutes les entreprises de prédation économique, les actes de corruption, la forte politisation de l’administration et l’affaissement de l’autorité de l’Etat. Il a promu la transhumance, toléré les contrevaleurs et garanti l’impunité à ses partisans cités dans les rapports des organes de contrôle tout en humiliant ses adversaires politiques.
Comme si le Sénégal n’avait ni Etat ni autorité capable de faire respecter les lois et les règlements, Il a laissé le désordre et l’indiscipline s’installer dans tous les segments de la société. La corruption a gangréné les structures administratives jusque dans les interstices, au point de devenir systémique et banalisée.
Mais autres temps, autres mœurs. Lors de sa prestation de serment et à l’occasion de son message à la Nation du 3 avril 2019, il a annoncé, en filigrane, vouloir tourner la page de son propre passé et ouvrir un nouveau chantier placé sous le signe de la restauration des valeurs civiques, du vivre-ensemble, de l’éthique, de l’ordre et de la discipline. Il semble avoir découvert, après sa réélection, que ce pays avait fini de toucher le fond au plan de sa morale sociale et politique. Il donne l’impression de découvrir qu’aucun développement n’est possible dans l’incivisme et le désordre. Il ouvre les yeux, en fin, sur une vérité impossible à ignorer: en matière de gouvernance, aucune action n’est durable si son substrat n’est pas l’éthique.
Certains ont applaudi en l’entendant énoncer ses nouvelles résolutions. Je ne me suis pas forcément réjouis en ce qui me concerne. Car, même si je nourris toujours le vœu de le voir devenir le Président que j’attends de lui, j’ai passé l’âge où je pouvais me laisser prendre, par naïveté, à des intentions sans épaisseur. Je ne prends plus personne au mot. Je ne juge plus que par les actes.
Or les actes qu’il vient de poser révèlent deux vérités. D’une part, que son appel au dialogue manque de sincérité, et d’autre part que sa volonté déclarée de promouvoir l’éthique dans la conduite des affaires publiques ne va pas au delà du discours qu’il a prononcé le 3 avril. Ces actes suffisent à démontrer que le Macky Sall d’hier est encore celui d’aujourd’hui. Il sera probablement celui de demain s’il ne change pas de cap.
Le premier acte concerne sa décision de supprimer le poste de Premier Ministre. Il s’est donné le droit de décider tout seul d’une réforme constitutionnelle aussi importante que la suppression du poste du Premier Ministre, avec toutes les conséquences d’une telle décision sur l’ordonnancement institutionnel et la cohérence constitutionnelle qui doivent fonder la République. Il n’a nullement senti le besoin ni n’a eu la sérénité d’attendre le dialogue auquel il a appelé pour mettre cette question en débat et donner aux acteurs politiques et aux forces vives la possibilité de donner leur avis. Que Senghor ait fait la même chose il y a 50 ans ou Abdou Diouf il y a 30 ans ne justifie nullement un tel passage en force. Le monde de Senghor ne doit pas être celui de Macky Sall. N’en faire qu’à sa tête; ne prendre en compte que ses propres intérêts politiques et ne compter que sur sa majorité parlementaire mécanique pour tripatouiller la Constitution à sa guise est contraire à tous les principes d’une gouvernance démocratique et vertueuse. L’unilatéralité de cette décision et sa rapidité cachent forcément des desseins inavoués, peut-être inavouables. Rajouter les pouvoirs du Premier Ministre à ceux déjà exorbitants du Président de la République conduit inéluctablement à un mastodonte présidentiel. Or la « surprésidence » ou la « superprésidence » conduisent toujours à la « malprésidence ». C’est ce que nous vivons depuis l’indépendance du Sénégal, avec le résultat que l’on sait.
Peut-être a t-il besoin de régler des problèmes politiques internes à son parti en évitant de nommer à cette fonction un cadre qui pourrait se sentir pousser des ailes et déclencher prématurément la guerre de la succession en se positionner comme dauphin. Oublie t-il qu’un bon leader ne devrait pas avoir peur de préparer sa succession en laissant éclore, sous son ombre, les hommes et femmes qui possèdent l’éthique et la compétence nécessaires pour devenir les dirigeants du futur ?
Il y a plus grave encore dans sa décision. Si dans quelques semaines, voire quelques mois, sa volonté devait s’exercer, débouchant sur la démission du Premier Ministre, c’est tout le Gouvernement qu’il vient d’installer qui démissionnerait également, car aux termes de la Constitution, la démission ou la cessation des fonctions du Premier Ministre entraine la démission de l’ensemble des membres du Gouvernement, eu égard à la nature collégiale et solidaire du Gouvernement.
La mise en œuvre de sa décision ôterait au peuple sénégalais un attribut constitutionnel important. La suppression du Premier Ministre change la nature du régime et enlève au peuple la prérogative d’engager la responsabilité du gouvernement par un vote de confiance ou une motion censure contre le Gouvernement, prérogative qu’il exerce à travers ses représentants.
Même si le Premier Ministre est nommé par le Président de la République, et qu’il peut être révoqué par lui à tout moment, il n’en demeure pas moins qu’il dispose de nombreux pouvoirs que lui confère directement la Constitution. S’il n’y a plus de Premier Ministre, le Président de la République accepterait-il de se mettre directement devant l’Assemblée nationale et engager sa responsabilité et celle de son Gouvernement? Sera t-il responsable devant l’Assemblée nationale dans les mêmes termes que ceux prévus dans les Articles 85 et 86 de la Constitution? Fera t-il lui-même la Déclaration de politique générale avant de se soumettre au vote de confiance des Députés? Dans quel scénario serait le Sénégal si la majorité parlementaire devait sortir de l’opposition en 2022 ?
Tant que le Président Sall n’aura pas donné de réponses claires à ces questionnements et les mettre en débat de manière ouverte et inclusive, toute action de sa part dans le sens qu’il indique relèverait d’un autoritarisme d’une autre époque et révèlerait, s’il en était encore besoin, son visage de bourreau constitutionnel et fossoyeur de la démocratie.
Le second acte déroutant qu’il a posé, en contradiction avec la parole énoncée, concerne la nomination du nouveau Ministre de l’enseignement supérieur. Ce dernier a été épinglé par l’OFNAC qui l’a nommément cité dans son Rapport 2016.
L’institution anti-corruption a recommandé, après des enquêtes, que l’ancien DG du COUD soit relevé de ses fonctions et que la gestion d’aucune entreprise publique ne lui soit plus jamais confiée. Cela, sans préjudice d’éventuelles poursuites judiciaires à son encontre. C’est cet homme qui vient d’être porté à la tête du Ministère de l’enseignement supérieur dont le budget est de 195 287 174 705 FCFA.
Pour quelqu’un qui veut convaincre que l’exemplarité des dirigeants sera désormais le seul leitmotiv et que l’éthique et la gestion vertueuse seront les seules balises de l’action gouvernementale, c’est plutôt mal parti. Que dis-je? Mal reparti.
Dr Cheikh Tidiane Dieye est coordonnateur National de la Plateforme AVENIR Senegaal bi ñu bëgg