Victime d’un accident vasculaire cérébral alors qu’il participait à une rencontre en Arabie Saoudite, le 24 octobre 2018, le président gabonais, Ali Bongo Ondimba (ABO), a été immédiatement pris en charge dans la capitale saoudienne où il aurait subi une intervention chirurgicale. Environ un mois après, lorsqu’il était question de le transférer ailleurs pour « continuer sa convalescence », les options considérées par sa famille biologique et le gouvernement gabonais étaient la capitale britannique, Londres, puis celle marocaine, Rabat.
Il a fini par être transféré dans la capitale marocaine le 29 novembre. A aucun moment dans cette histoire a-t-on entendu mentionner l’option d’un retour chez lui, au Gabon. Depuis, il est revenu à quelques reprises à Libreville, « en visite », pour ensuite reprendre son vol et retourner à Rabat, d’où il « gouverne » à distance. Tout en lui souhaitant un prompt rétablissement, on ne peut s’empêcher de rappeler que son père, feu Oumar Bongo Ondimba, est décédé en juin 2009 hospitalisé, non dans un établissement gabonais, mais dans une clinique espagnole à Barcelone.
Fin juin 2008, le président zambien, Lévy Mwanawasa, fait un malaise lors du sommet de l’Union africaine à Charm el-Cheick, en Égypte. Deux jours plus tard, le 1er juillet, il est transféré, non dans un établissement à Lusaka, mais dans un hôpital militaire à Clamart, près de Paris, où il décède le 19 août. Six ans plus tard, le 28 octobre 2014, son deuxième successeur, Michael Sata, a rendu l’âme dans une clinique londonienne où il avait été évacué d’urgence une dizaine de jours auparavant.
En février 2005, le président togolais, Gnassingbé Eyadéma, pousse son dernier souffle à bord d’un avion médicalisé qui l’emmenait dans une clinique israélienne. Il aurait pu être sauvé s’il avait été pris en charge pendant le temps passé à chercher où le transférer, en dehors du Togo où il avait pourtant été victime de la crise qui l’a emporté vers ses ancêtres. Plus récemment, pour ne pas continuer avec la longue liste de cas, en début 2017, le président nigérian, Muhammadu Buhari, a passé quelques sept semaines de suite dans un établissement médical à Londres pour ce qui a été qualifié de « congé médical ».
La question logique qui a motivé la rédaction de cette tribune, et que vous avez sûrement devinée, est de savoir pourquoi ces éternelles évacuations médicales de nos dirigeants africains en dehors de leurs pays ? La réponse, elle est simple mais mérite d’être méditée.
Je me dois d’abord de reconnaître ceci : lorsque quelqu’un est attaqué par un malaise, il est tout à fait normal qu’il soit pris en charge sur place, où qu’il se trouve. Cependant, les cas ici énumérés – ainsi que ceux qui ont été économisés – étaient des cas planifiés, impliquant un déplacement, souvent sur des milliers de kilomètres, soit au départ de leur pays (les cas d’Éyadema et de Sata) ou après une prise en charge préliminaire ayant permis de les stabiliser pour pouvoir voyager (cas actuel d’ABO et celui passé de Mwanawasa). Alors pourquoi ces évacuations ou non-retour au pays après une première prise en charge ?
La réponse simple est que ces leaders savent qu’il n’y a pas d’infrastructures médicales de qualité dans lesquelles ils ont confiance chez eux. Pourtant, il est de leur responsabilité de changer la donne, surtout ceux qui ont passé suffisamment de temps au pouvoir pour pouvoir palier aux carences qu’ils auraient héritées de leurs prédécesseurs. Ils n’ont vraiment pas d’excuse.
Au-delà de l’image que cela donne de leur pays et de l’embarras dans lequel ils mettent leurs concitoyens, ils créent parfois des confusions au plus haut sommet de l’État, surtout lorsque les institutions sont encore fragiles et les mécanismes de succession, en cas de décès, sont moins éprouvés. On est tous témoins des jeux qui sont actuellement en cours à Libreville. Mais ces leaders démontrent aussi à la face du monde, si besoin en était, qu’ils abandonnent leurs pauvres concitoyens à leur propre sort.
Alors méditons un peu sur la « réponse simple » que je viens de proposer. Bien des dirigeants africains se font évacuer à l’étranger par manque d’infrastructures sanitaires chez eux. Pourquoi n’investissent-ils pas alors, ne serait-ce que dans un établissement de référence ? Peut-être qu’ils comparent les coûts « relativement moindres » de telles évacuations, à l’unité, à l’ardoise financière nécessaire pour un tel investissement. Mais n’est-ce pas là la preuve d’un manque de vision et de patriotisme, voire de mauvais raisonnement économique ?
Admettons que la construction, l’équipement et l’entretien d’une structure médicale moderne demanderaient beaucoup de fonds. Mais imaginons les fonds colossaux nécessaires pour la prise en charge d’un chef d’État à l’étranger. Sachant que ceux-ci ne voyagent pas modestement, notamment pour un tel séjour médical. Il faut compter le coût des soins, du logement, de la sécurité et de tout ce qu’il faut pour assurer les commodités usuelles.
Multipliez cela par le nombre de telles évacuations et des suivis médicaux subséquents du chef de l’État. Ajoutez-y les mêmes traitements pour ses ministres et autres dignitaires de l’État, et ce, au fil des années. Il faut compter aussi le temps nécessaire pour l’évacuation et qui aurait été suffisant pour sauver la vie de l’illustre patient s’il était hospitalisé sur place chez lui. Imaginons ensuite le tribut humain que payent les populations à cause de l’absence de ces infrastructures.
Chez nous en Guinée, par exemple, où les évacuations sanitaires sont légion – et je crois la situation identique dans bon nombre d’autres pays ouest-africains et africains, les agents médicaux ont des recettes prêtes, selon la tête du patient. Lorsque ce dernier apparaît comme nanti, on lui recommande d’être évacué à l’étranger, souvent avec un médecin qui l’accompagne à destination, à ses frais bien sûr. Par contre, lorsque son look trahit un tel pronostic sur ses fortunes, on conseille gentiment à ses parents de l’emmener auprès des siens, au village … vous pouvez deviner les implications.
Avant de terminer , il sied de reconnaître, fort heureusement, que certains pays africains se démarquent honorablement dans cette saga que d’aucuns qualifieraient de scandaleuse. Des pays comme le Maroc (d’où son accueil pour le président gabonais), l’Afrique du Sud, le Rwanda, le Kenya et la Tunisie sont dotés, grâce à la clairvoyance de leurs dirigeants, d’établissements dignes de ce nom et qu’il convient, pour les autres, de suivre comme exemple pour leur propre dignité et celle de leurs concitoyens. Au demeurant, ces établissements ne sont pas gratuits, car payés par les patients soit en comptant ou à travers des programmes d’assurance maladie ou sociale auxquels ils contribuent ou peuvent contribuer.
Issaka K. Souaré est un fonctionnaire international. Il est l’auteur de plusieurs publications dont “Les partis politiques de l’opposition en Afrique” (Montréal, avril 2017, avec préface d’Alpha Oumar Konaré), “Guerres civiles et coups d’État en Afrique de l’Ouest” (Paris, 2007) ; et “Africa in the United Nations System, 1945-2005” (Londres, 2006).