1. Place de l’élevage dans l’économie nationale :
L’élevage occupe une place éminente dans l’économie sénégalaise. C’est un sous-secteur qui mérite d’être mieux connu des sénégalais et soutenu par les pouvoirs publics. Dans la phase 1 du Pse, d’énormes moyens humains, financiers et matériels ont été injectés dans le sous-secteur avec parfois des résultats probants mais parfois mitigés. La présente contribution a pour but de passer sommairement en revue les atouts et potentialités de ce sous-secteur pas assez connu du grand public. En effet, les dernières statistiques donnent les chiffres suivants : 3,5 millions de bovins, 11,7 millions de petits ruminants (6millions pour les ovins, et 5,7 millions pour les caprins), 400.000 porcins, 930.000 équins, 460.000 asins, 14.000 camelins, 60 millions de volailles environ, 600 millions d’œufs de consommation, 230 millions de litres de lait (204 millions d’équivalent de lait importés).
L’élevage représente un capital vivant de plus de 700 milliards de FCFA, 7,4% du Pib national et 35% de celui du secteur primaire. Il occupe plus de 350.000 familles, soit plus de 3 millions d’individus répartis sur l’ensemble du territoire national, aussi bien en ville qu’en campagne. Diverses enquêtes indiquent que l’élevage joue un rôle déterminant dans l’économie nationale et dans la société sénégalaise. Il procure : – 50 à 75% des revenus en zone sylvopastorale – 40% en zone agropastorale – 20% en zone agricole méridionale – 11,2% du revenu des ménages pour l’agriculture stricto sensu – 75% des revenus dans les zones à risque, incluant les mandats et le petit commerce. – Il joue un rôle de captage, de sécurisation et de valorisation de l’épargne rurale. C’est grâce aux revenus tirés de l’élevage que la plupart des agropasteurs achètent des intrants, du matériel agricole, les vivres de soudure, remboursent les dettes de campagne dite agricole, s’équipent et font face aux différentes cérémonies religieuses, familiales et sacrificielles (baptêmes, mariages, Tabaski, Korité, pèlerinages, magals et gamous divers). – La vente des sous-produits agricoles et agro-industriels tels que les fanes d’arachides, la mélasse, la bagasse, les tourteaux, les issues de meunerie, les graines de coton, les aliments complets procure des revenus appréciables aux paysans et aux agroindustriels et de nombreux emplois directs et indirects. – Le fumier remplace avantageusement les engrais azotés. Le cheval et l’âne sont largement utilisés pour le transport des hommes et des biens aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain. – L’élevage des chevaux de course, d’équitation, d’apparat et de convenance reste une activité fort lucrative et participe grandement à la diversification des offres de loisirs. En zone tempérée ou en élevage intensif, l’élevage occupe 1/3 des terres et procure 2/3 des revenus tandis que l’agriculture stricto sensu occupe les 2 autres tiers pour 1/3 des revenus. L’élevage améliore la régénération des pâturages et des arbres, en fertilisant les sols, les rendant ainsi plus meubles, favorisant ainsi la germination des graines fortement dormantes, de par leurs rejets (fèces et mictions). Les abeilles assurent une pollinisation des plantes, participant ainsi à la production agricole et forestière. Les cuirs et peaux procurent des devises au pays et une matière première aux artisans et industriels de la maroquinerie, de l’ameublement ainsi que de l’habillement. Il apparaît donc que l’élevage, malgré ses modes de production, de transformation et de commercialisation qui sont en majorité de type archaïque, les énormes handicaps que trainent hommes et bêtes, sa relative marginalisation dans l’allocation des ressources, l’absence de structures stables et pérennes chargées de son développement reste quand même un sous-secteur central dans la société et l’économie nationales.
2. Perspectives :
Au vu de son formidable potentiel socio-économique, l’Etat du Sénégal doit accorder une attention plus soutenue à ce soussecteur qui recèle des niches de progression quantitative et qualitative inouïes. Le défi majeur est d’assurer une transition harmonieuse entre l’élevage traditionnel, à dominante extensive vers un élevage de type moderne reposant sur une approche intégrée dans des chaînes de valeurs mieux maîtrisées. L’élevage de type extensif est dominé par le phénomène de transhumance qui, en cas de crise accentuée et durable se transforme en nomadisme. C’est un système de production caractérisé par des mouvements pendulaires des animaux et des hommes, d’amplitude variable, en fonction de la proximité de ressources fourragères, de points d’eau et de marchés, calqués sur le rythme des saisons. Il existe trois formes que sont la petite transhumance, la grande transhumance et le nomadisme réinterprété. Elle est pratiquée plus particulièrement dans la zone sylvopastorale incluant le Diéri-Ferlo, mais avec des incursions de plus en plus profondes dans les zones méridionales plus humides. Pour assurer cette transition, l’Etat doit agir sur les hommes, les animaux et l’environnement dans lequel ceux-ci évoluent selon le fameux Tétraèdre de Thérêt qui en a théorisé leurs interactions.
Pour les hommes :
Il faut améliorer leurs capacités par une meilleure organisation (GIE, Coopératives, Mutuelles, Groupement de femmes, maisons d’éleveurs etc.). De nouvelles formes d’organisation peuvent être aussi expérimentées tels que les Groupements de Protection Sanitaire et alimentaire du bétail à l’instar des Groupements de défense sanitaire (Gds) en France qui réunissent les principaux acteurs à la base (éleveurs, vétérinaires et agents de l’élevage) pour une meilleure synergie des actions. La formation et l’information complèteront la panoplie des actions à entreprendre.
Pour les animaux :
Il faudra agir en priorité sur la santé animale pour préserver le caractère indemne de notre pays en luttant contre certaines maladies telle que la peste bovine. On pourrait également envisager des zones ou des compartiments indemnes (Ranch de Doli, certaines exploitations avicoles et laitières) qui pourraient favoriser des exportations d’animaux et de produits d’origine animale. Il faudra aussi exploiter le potentiel génétique de nos races locales par la sélection axée sur la production de viande, améliorer ce potentiel avec des races exotiques à potentialités similaires ou complémentaires (lait, viande, résistance, etc.) et introduire des races pures à la seule condition de s’assurer de la rentabilité économique et financière de leur exploitation.
Sur l’environnement :
Cet environnement, qu’il soit physique ou immatériel, conditionne le développement du sous-secteur car faisant intervenir les services et acteurs évoluant le plus souvent dans des secteurs étrangers aux activités d’élevage proprement dites (routes bitumées, rail, pistes de production, énergie, hydraulique, pares-feux, éducation, santé, crédit, politiques fiscales, industrie, commercialisation, agriculture, marché mondial, etc.). Pour agir sur ces différents éléments du tétraèdre susmentionné, l’Etat doit prendre des mesures très fortes à même d’entrainer des mutations profondes. Il faudrait envisager, à cet effet, la création de deux structures d’accompagnement stratégiques. La première s’occupera de la Zone Sylvopastorale qu’il faudra déclarer Zone d’aménagement prioritaire et créer à cet effet une entité (Haute Autorité, Société, Agence, Office, etc.). Elle serait chargée de définir et de réaliser, en rapport avec les différents services de l’Etat, un réseau routier, électrique et hydraulique rationnalisé, des infrastructures socio-économiques de base (écoles, hôpitaux, centres de santé, abattoirs, usines de lait, tanneries, parcs de vaccination, etc.), du développement d’autres systèmes de production (ranching, fermes), de la gestion en rapport avec les éleveurs ,des privés nationaux et étrangers, de la Grande Muraille Verte ainsi que celle de cette formidable réserve media-diverse qu’est le Ranch de Doli (90.000 ha, soit environ 20ème du territoire national, plus vaste que la région de Dakar, 66.000 ha). Rien qu’avec ce Ranch, on pourrait produire plus d’un million de moutons et 500.000 bovins embouchés par an, assurant ainsi notre autosuffisance et même envisager l’exportation d’animaux et de sous-produits vers des pays comme l’Arabie Saoudite et des pays du Maghreb qui en formulent régulièrement la demande. Cette entité reprendrait en les amplifiant les missions anciennement dévolues à la Sodesp, sacrifiée sur l’autel des politiques d’ajustement structurel des années 90. La deuxième entité consistera en la création d’une agence en charge de la production laitière, en lieu et place de projets épars et non liés et parfois limités dans le temps et dans l’espace (insémination artificielle, réserves fourragères, mini laiteries, chaine de froid, fonstab, usine de lait), compte tenu de l’importance stratégique de la production laitière dans la modernisation de l’élevage (sédentarisation, stabulation, cultures fourragères, organisation et formation des producteurs, industrialisation) et de l’impact de son importation sur nos balances commerciale et des paiements (30.000 tonnes par an pour une valeur estimée à 60 milliards de FCfa). Elle aura une approche plus stratégique, longtermiste et systémique. En complément aux actions de ces deux entités, les sociétés régionales de développement rural comme la Saed, la Sodagri et la Sodefitex devraient intégrer, de manière plus systématique et organique, le volet élevage dans leurs missions et organigrammes. D’ailleurs, dans leur mission originelle, ces sociétés devraient s’occuper du développement du secteur primaire dans son intégralité (agriculture, élevage, pêche continentale et foresterie). Nous reviendrons d’ailleurs dans d’autres contributions consacrées à l’évaluation de ces sociétés sur l’atteinte des objectifs anciens et nouveaux qui leur ont été assignés et sur la nécessité de revoir la pertinence de ces orientations.
3. Conclusion
Par un survol ramassé, nous avons pu appréhender à travers cette contribution, la place qu’occupe le sous-secteur de l’élevage dans l’économie sénégalaise et dans la vie sociale de notre société. Il s’agit maintenant de donner la place qu’il mérite dans le Pse II en changeant profondément les approches et les paradigmes afin que le défi majeur que constitue la production de la viande et du lait de qualité en quantité suffisante, d’assurer leur transformation, conservation et distribution selon les normes d’hygiène et de salubrité idoines tout en rétribuant équitablement es différents acteurs, principalement les éleveurs, soit relevé. Ces produits doivent être accessibles aux consommateurs tout en gardant leur compétitivité par rapport aux animaux et produits animaux importés du marché sous régional ou international tout en ayant l’ambition d’en être un exportateur net pour des marchés émergents (Arabie Saoudite, Maghreb) ou de la sous-région (produits avicoles et apicoles). Des mesures incitatives hardies doivent être prises pour favoriser la sédentarisation ou la semi sédentarisation des producteurs. Les nouvelles entités à créer ainsi que les sociétés ou projets de développement agricole doivent y jouer leur partition en se réappropriant leurs missions originelles et en réaménageant leurs organigrammes. Priorité devra être donnée à une formation adaptée et accélérée des éleveurs et des autres acteurs du sous-secteur. Les anciennes et les nouvelles formes d’organisations socioprofessionnelles seront impliquées dans la mobilisation de la formidable épargne monétaire ou à monétariser du monde pastoral afin de prendre en charge le financement de la production et surtout de la commercialisation des animaux et des produits dérivés dont la préparation (embouche et transformation) doit assurer leur valorisation maximale. Les filières équines, avicoles et apicoles doivent être prises en compte dans leurs différentes finalités. Les actions de sensibilisation doivent être amplifiées afin de convaincre et se convaincre que l’avenir de notre agriculture lato sensu, repose en grande partie sur notre élevage qui doit en être la locomotive, donc sur l’intérêt que l’Etat accordera à l’avenir, à ce sous-secteur dont les acteurs se voient et se croient à l’abandon malgré les ressources exceptionnelles dégagées depuis quelques années pour son développement.
Par Docteur Abou Mamadou TOURE
Ancien Directeur de l’Elevage Président honoraire de l’Ordre des Docteurs Vétérinaires du Sénégal