Au pays de la « terranga », il est impossible de refuser le dialogue sans être taxé de suppôt de Satan. Les pourparlers aussi affectionnés que l’ombre de l’arbre à palabre, ceux qui s’en écartent, se mettent directement au ban de l’opinion. Mais, avec Macky Sall, qui a démoli la démocratie sénégalaise en sapant ses fondements, ces considérations deviennent de plus en plus surannées. Ceux qui ont décliné son insincère appel vont bientôt s’assurer de la justesse de leur position. Car, en vérité, l’inopportun dialogue, tardif et impertinent, va déboucher sur des compromis devant baliser le sinueux chemin que le leader de l’APR s’efforce à arpenter.
Il était plus indiqué d‘attendre que le dialogue dit national démarre pour mieux appréhender la nouvelle espièglerie que Macky Sall peaufine. Si là où il va parait clair, le comment il compte s’y rendre l’était moins. Avec ce dialogue, le troisième du genre, après ceux de 2016 et de 2017, il lève un coin du voile sur sa stratégie. Que ceux qui aiment les discussions et chérissent les longues palabres prennent leur pied. Ce mandat qui débute dans le bavardage va, à n’en pas douter, se terminer dans la grande confusion.
« Jamais deux sans trois »
Quand, au mois de mai 2016, le président Sall lançait l’idée d’un dialogue national, nous écrivions : « Il a été dit que l’emprisonnement de Karim Meissa Wade était une demande sociale. Faut-il maintenant un dialogue national pour décider de son élargissement, voire de son blanchiment ? Me El Hadji Diouf, qui n’est pas loin de porter la parole officieuse de Macky Sall, a déjà campé le décor en ces termes : «Un président doit avoir le culte du pardon. Monsieur le président, on vous assure que vous êtes le roi des arènes, vous êtes le plus puissant. Le procès de Karim est fini. Donc, je vous demande de le gracier. Ceux qui vous disent que quand il sortira, il va vous créer des problèmes, se trompent. Karim est un Sénégalais comme les autres centaines de Sénégalais que vous avez graciés. De deux, il est un fils unique d’un couple de vieillards, sa femme est décédée et n’a que des gamins comme enfants. Je vous demande de le gracier». Moins d’un mois après cette retentissante plaidoirie de Me El Hadji Diouf, le 19 mai 2016, les portes de la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss s’ouvraient miraculeusement derrière Karim Wade. Et, le dialogue dit national définitivement clos sans autre forme de commentaire.
Malgré ce premier coup porté à l’intelligence des Sénégalais, Macky Sall récidive un an plus tard. D’abord désignées « dialogue», pour sans doute décourager ceux qui n’avaient vu que du feu au premier du nom, ensuite « concertations sur le processus électoral », des rencontres, présidées par Seydou Nourou Ba, vont réunir des partis politiques parmi les moins représentatifs qui, avec l’APR et ses alliés, mirent au monde la monstruosité démocratique qu’est le système de parrainage. La suite est connue. Le dialogue finit en eau de boudin.
On oublie tout et on recommence
Pour ce troisième coup de Jarnac, Macky Sall a mis les formes. Pour le crédibiliser, il s’en est allé tirer Famara Ibrahima Sagna, comme il l’avait jadis fait avec Amadou Makhtar Mbow, de sa paisible retraite. Tout comme le Général Mamadou Niang dont les faits d’armes remontent du temps où Macky Sall était au collège. « Aujourd’hui nous devons scruter l’avenir immédiat, mais aussi voir loin pour anticiper et prévenir les nuages dévastateurs que portent, avec elles les effilures du pétrole et du gaz. C’est de cela qu’il s’agit. Sauver notre pays des effets néfastes de la dévastation de la division. Avec l’équipe qui m’accompagne, nous sommes des facilitateurs. À la sirène de l’aventure et de la division, demain sera lumineux et rayonnant si nous restons unis», a claironné le général à sa prise de fonction en tant que président de la Commission pour le Dialogue politique.
Toutefois, l’enthousiasme du général va finir par donner naissance à l’amertume. Car, s’il est lui dans le vrai, Macky Sall, qui est à la base de tout cela, est dans l’enfumage. Le dialogue qu’il a lancé poursuit trois objectifs fondamentaux :
Premièrement, occuper les forces vives de la Nation et ainsi s’éviter le syndrome Wade et les Assises nationales de 2008. Aujourd’hui que les préoccupations sont vives, les angoisses aigues exacerbées par des morts en série, à défaut d’un « ndeup » (rituel d’exorcisme) national, des réponses, que le régime est incapable de donner, sont attendues. Abdoulaye Wade avait prêté le flanc en 2008, après avoir pourtant « empêché» l’opposition de siéger à l’Assemblée nationale. Celle-ci, dans un sursaut instinctif, avait lancé les Assises nationales qui allaient compliquer sa gouvernance alors très mise en mal par les émeutes de la faim. Deuxièmement, diviser davantage l’opposition. La conférence de presse d’Ousmane Sonko est, à ce sujet, illustrative. Troisièmement, et c’est la raison la plus significative, gracier Khalifa Sall et lancer le processus d’amnistie pour Karim Wade. A ce propos, il est à noter le piège dans lequel les partisans de Khalifa Sall sont en train de mener leur mentor. En s’acharnant à demander une éventuelle grâce à accorder à l’ancien maire de Dakar, ils culpabilisent celui-ci. Pis, si Khalifa Sall obtient une grâce et Karim Wade, une amnistie, le premier demeurait toujours inéligible contrairement au fils du SG du PDS qui serait plus blanc que neige. C’est à ce traquenard que Me Wade, qui traîne un lourd passif de complotiste depuis la dernière présidentielle, évite d’être mêlé en refusant de prendre part au dialogue. Une amnistie sera certes exigée pour Karim Wade mais par Oumar Sarr et Mamadou Diop Decroix, notamment, qui ne parleront pas au nom du PDS.
En définitive, le dialogue réussira à déconstruire tout ce que la Justice a érigé durant le premier mandat de Macky Sall partagé entre trois ans de poursuites judiciaires contre Karim Wade et deux contre l’ancien maire de Dakar. Une énorme responsabilité que le président Sall refuse d’endosser seul. Même s’il se dit prêt à appliquer tout consensus issu des discussions. Et comme, il l’a soutenu à l’ouverture du dialogue, le 28 mai dernier, Macky Sall, mis en accusation, pourrait toujours rétorquer : je l’avais dit au début, «Le président de la République a une mission, il ne fait pas la Justice surtout dans un pays démocratique».
Toutes ces manœuvres font que quand Macky Sall lance, comme il l’a dernièrement fait : « Je ne suis plus dans les affaires de ndiouthie ndiathie (combines) », seuls les coqs y croient, comme dirait l’autre.