Le 11 janvier 2013, l’armée française intervenait en catastrophe au Mali pour protéger la capitale, Bamako, des groupes armés islamistes venus depuis la région Nord de l’Azawad, fief de la rébellion touarègue du Mnla. Tout le monde avait applaudi en poussant un ouf de soulagement. Le pays venait d’être sauvé par l’ancien colonisateur, lui épargnant de vivre sous l’ordre de brutes qui auraient déstabilisé tous les Etats voisins.
Les islamistes ont été chassés ou dispersés et tout le territoire malien a été reconquis jusqu’à Kidal, capitale de l’Azawad. On se souvient de l’accueil délirant réservé à François Hollande porté en triomphe le 2 février 2013 à Tombouctou. Certes, le Mali n’avait pas retrouvé toute sa souveraineté territoriale, ses soldats étant freinés à l’entrée de Kidal par l’armée française. Mais, la paix semblait revenue même si des opérations ponctuelles d’éradication se poursuivaient.
Ainsi, le 15 mars 2014, après la reddition du chef djihadiste Abou Dardar, le ministre français de la Défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian, avait déclaré : « La guerre de libération du Mali est finie, elle a été gagnée ». Mais, les pays voisins comme le Burkina Faso et le Niger n’étaient pas encore dans la ligne de mire des groupes islamistes. Aujourd’hui, la situation sécuritaire de la sous-région montre que cette déclaration de M. Le Drian était optimiste et prématurée. A l’intervention militaire française dénommée Serval s’est substituée Barkhane, le 1er août 2014 ; une opération visant à lutter contre les groupes djihadistes dans toute la région du Sahel jusqu’au Tchad. Depuis, la France a perdu 28 soldats.
En juillet 2013, l’Onu lance, au Mali, la Minusma, une opération de maintien de la paix avec près de 12 000 hommes, essentiellement des militaires africains, pour faire face à la recrudescence des attaques djihadistes et faciliter un règlement politique. Elle est censée se terminer à la fin de ce mois de juin, mais sera certainement prorogée à nouveau pour la 5e fois. Depuis son lancement, la Minusma a enregistré la mort de 180 Casques bleus et plusieurs centaines de blessés. Au nom de la lutte anti-terroriste, les EtatsUnis ont également renforcé leur présence dans le Sahel avec comme points d’appui le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, mais surtout le Niger où se trouvent cinq implantations, dont la plus grande base de drones au monde près d’Agadez. En octobre 2017, une embuscade djihadiste à la frontière nigéro-malienne, où quatre soldats d’élite américains trouvèrent la mort, va jeter la lumière sur les activités militaires de Washington.
A toutes ces forces est venu s’ajouter le G5 Sahel créé en février 2014, mais lancé officiellement en juillet 2017 avec un contingent de 5000 hommes. Il sert de cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité à cinq États du Sahel : Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad. Tous ces développements montrent qu’il y a eu une grande mobilisation régionale (y compris les armées locales) et internationale pour éradiquer le fléau djihadiste au Sahel. Toutefois, force est de reconnaître que cet objectif est loin d’être atteint. Le Mali n’a jamais été pacifié et l’insécurité entretenue par les djihadistes a gagné le centre du pays et le menace maintenant dans sa totalité. Pire, des affrontements intercommunautaires sont, à présent, notés et secouent les fondements mêmes de la nation. Le danger ne vient plus seulement des groupes islamistes, mais entre ethnies qui ont toujours vécu en harmonie. On commence à s’entretuer.
En atteste le massacre perpétré, le 23 mars dernier, à Ogassagou, quand 130 Peuls furent tués par un groupe d’auto-défense dogon à cause de suspicions d’appartenance ou de complicité avec les djihadistes. Dans les régions touchées, la vie sociale et économique est désorganisée, les écoles fermées. La gangue islamiste a gagné aussi le Burkina Faso par des attaques terroristes spectaculaires à Ouagadougou ou ailleurs. Et selon le même scénario qu’au Mali, des affrontements intercommunautaires ont surgi entre Mossis, Peuls, Songhaïs, Korumbas… avec les mêmes conséquences. Le 31 mars de cette année, 62 Peuls ont été massacrés dans le village de Hamkan (province du Soum) par une milice mossi appelée les Kolgweogos.
Le 12 mai, six fidèles chrétiens, dont un prêtre, ont été abattus dans une église au Nord du pays, faisant redouter un cycle d’affrontements interconfessionnels. Que ce soit au Mali ou au Burkina Faso, la stratégie des djihadistes est de susciter des antagonismes ethniques et religieux pour fragiliser ces pays et les disloquer, à défaut d’en prendre le contrôle. Mais, il serait naïf de croire qu’ils sont les seuls à appuyer sur cette pédale. D’autres acteurs extérieurs, avec un agenda de domination, sont soupçonnés pour dire le moins d’utiliser la fibre ethnique et/ou religieuse pour dominer le Sahel et satisfaire leurs ambitions géopolitiques. Notre continent ne doit plus accepter d’être ce corps inerte à la merci des thanatopracteurs. Quant au Niger et au Tchad, bien que périodiquement frappés par des attaques islamistes, ils résistent bien mieux que le Mali et le Burkina Faso grâce à leur armée plus forte et plus motivée. Cependant, aucun ne doit dormir sur ses deux oreilles, car les promoteurs de la violence veulent dominer tous les Etats du Sahel et même du continent.