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Les Oeuvres Africaines ConservÉes En Occident Ont Perdu Leur Âme

Les Oeuvres Africaines ConservÉes En Occident Ont Perdu Leur Âme

Les objets enlevés d’Afrique possédaient, pour répondre à la question de Lamartine, une âme. Enfermés dans des musées et des réserves, dans des cages de verre, coupés de leurs racines, que sont-ils devenus ? Sans doute sont-ils morts. Une mort symbolique qui leur ôtait leur vie ancienne. En changeant de nature, ils sont devenus autres.

L’objet est un signe qui doit sans cesse être réactualisé, signifié, interprété. Sa vie véritable ne tient que dans la manière dont il est perçu et mis en scène. Or l’identité profonde de ces objets, je n’ose parler de leur ADN, a été manipulé. Ils sont devenus autres, et c’est cette altérité que j’assimile à la mort. Je me suis toujours prononcé pour la restitution et mes propos ne portent pas sur ce sujet-là en tant que tel.

Ce qui me semble intéressant, c’est d’étudier les conditionnalités de cette restitution. Que restitue-t-on ? Qui restitue à qui ? Et qui décide des conditions préalables ? Je vois toute cette affaire comme une vaste partie d’échecs dans laquelle les Blancs ont joué le premier coup. C’est la règle aux échecs. Les pions blancs sont toujours ceux qui ouvrent la partie. Mais une fois cette ouverture établie, commence un ballet subtil, un jeu de positions, des mises en place de stratégies. Force est de constater que, jusqu’à présent, la parole est univoque. La question n’est pas de bâtir d’autres musées qui enfermeront encore une fois ces objets, consacrant définitivement leurs nouvelles identités.

La question n’est pas, non plus, de ressasser des griefs recuits. Une occasion a été donnée à l’Afrique de répondre d’une manière profonde et intelligente à l’offre française. De poser le cadre d’une jurisprudence qui dépasserait de loin le cadre strict du continent africain. Je crains que cette occasion ne soit manquée, à force de superficialité et de matérialisme.

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Mollesse des réponses africaines

J’avais en tête, pour cette contribution, Les statues meurent aussi, le film documentaire réalisé par Chris Marker et Alain Resnais. Commandé aux jeunes cinéastes en 1953 par Alioune Diop, fondateur de la revue et maison d’édition Présence Africaine, cette œuvre parle précisément de la vie des sculptures et des masques enfermés dans les musées occidentaux. Le film est une commande, faut-il le souligner, faite par des Africains pour répondre, ou mieux encore, dénoncer le sort fait aux cultures africaines par la colonisation. Il fut interdit – est-ce un hasard ? – pendant près d’une dizaine d’années par l’Etat colonial.

Ce film est curieusement absent du débat actuel, comme pour confirmer que nous courons le risque de nous tromper de sujet. Restituer ne sert à rien si l’Histoire n’est pas dite. La France s’en tirerait à trop bon compte. Que les livres d’histoire de la Gaule éternelle prennent la peine de raconter cette histoire. Et que, pendant que tous les esprits sont détournés par un débat qui, pour être nécessaire, ne s’en situe pas moins dans une temporalité longue, les droits d’inscription aux universités pour les ressortissants africains sont outrageusement revus à la hausse. La restitution s’inscrit dans un cadre qui excède de loin les objets eux-mêmes. Et la mollesse des réponses africaines m’attriste. Les statues sont mortes, disais-je. Et me revient en mémoire cette pièce de théâtre de mon ami Bernard-Marie Koltès, Combat de Nègre et de chiens (1980).

L’histoire se déroule en Afrique, autour d’une concession/chantier dirigée par des Français. Les contremaîtres, ingénieurs et leurs familles y vivent en autarcie, entretenant un contact minimal avec les autochtones. Un jour, sur ce chantier, un ouvrier meurt. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais tout bascule lorsque Alboury, le frère du défunt, frappe aux portes de la concession pour réclamer le corps de son frère. Parce que, dit-il, tant qu’il ne sera pas enterré selon les rites ancestraux, son âme ne connaîtra pas la paix. Les statues sont mortes. Je cherche et j’espère cet Alboury qui viendra les réclamer, non pas comme une prise de guerre, mais comme le symbole de quelque chose de plus profond dont la place ne sera pas nécessairement dans d’autres musées. Fermons les yeux un instant, comme Barthes le conseillait pour regarder une photographie. Et de l’universalisme colonial faisons table rase. Imaginons d’autres possibles, des cryptes, des cimetières, des forêts sacrées que nous pourrions, par dérision, nommer « musées ».

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Simon Njami est un critique d’art et commissaire d’exposition camerounais. Il a conçu l’exposition « Aujourd’hui » pour le Musée national du Cameroun, à Yaoundé, qui doit commencer fin juin.







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