Nos hôpitaux souffrent. Pire, la situation se dégrade de jour en jour. Murs lépreux, eaux puantes (et stagnantes), odeurs pestilentielles, couloirs fantômes, malades en peine ou à l’abandon, soins aléatoires, désertion organisée du personnel soignant ! Presque le chaos. Dans les infrastructures sanitaires le mal persiste, s’étend. Les patients s’exposent aux maladies nosocomiales. La lente érosion de la confiance noue le cœur. Et pourtant, malgré le spectacle désolant, ces lieux relèvent du patrimoine immatériel de notre pays.
Il se trouve simplement que l’indifférence gagne du terrain alors que l’émotion ressentie décroît. A une certaine époque, Dakar était l’épicentre de la qualité des soins de santé en Afrique. La capitale avait même tous les attributs d’un hub médical régional susceptible de rivaliser avec les plus connus. Plus tard, ce prestige avait valu à notre pays d’être placé sous les feux des projecteurs de l’actualité médicale grâce notamment au Laboratoire VIH du Professeur Souleymane Mboup, au Centre du Cancer du Professeur Kassé ou au gynécologue de rayonnement international Colonel Gorgui Diaw en l’occurrence. D’autres sommités médicales officient avec un égal bonheur dans une totale discrétion. Foi, abnégation et engagement rythmaient jadis l’ardent désir d’accomplissement dans le secteur de la santé. Désormais, place nette est faite à l’intérêt personnel, à la carrière au détriment d’un projet collectif favorable à l’exercice d’un service public.
L’attention soutenue dont faisaient l’objet les unités de soins a fortement reculé. Elle est partout résiduelle. Dans les milieux hospitaliers, il y a manque, carence et déficit. Autrefois havre d’assurance et de tranquillité, l’hôpital inspire, de nos jours, pitié s’il ne provoque le dégoût, suscite la crainte ou fait fuir tant la réalité dépasse la fiction. Alerte, danger ! Il y a urgence. Tout est prioritaire. Par quel bout prendre ce fléau qui s’amplifie ?
Il demeure évident que mal poser un problème équivaut à s’interdire de le résoudre. Or, différer les solutions (qui existent somme toute) revient à favoriser le long labyrinthe des procédures, jeu favori des poissons-pilotes qui écument les cercles médicaux. Sans pouvoir réel, ils y dictent leur loi ou imposent leur volonté au nez et à la barbe des professionnels de la santé très souvent dessaisis de leur prérogatives. Des réseaux dormants régentent la vie dans les centres hospitaliers. La connivence étend ses tentacules jusque dans les spécialités en étroite complicité avec des firmes, des laboratoires et des pharmacies ayant pignon sur rue. Ce sujet préoccupe. Il concerne les Sénégalais dans leur écrasante majorité. Dès lors, l’exécutif doit se pencher dessus. Sérieusement.
Ces intermédiaires d’un genre douteux s’évaporent dans la nature à la moindre opération « mains propres » pour réapparaître aussitôt comme les « maîtres incontestés » du circuit des médicaments, des équipements ou des fournitures. Leur prospérité se fonde sur la défaillance du système de santé. Lequel fait face à un autre défi de taille : depuis bientôt une décennie, les Professeurs de médecine quittent le secteur pour cause de retraite.
L’opinion ne s’en rend pas compte ou très peu : en partant, ces éminences emportent avec elles la science et le savoir-faire laissant exsangues des services entiers. Que ce soit en chirurgie générale, en ophtalmologie en gérontologie, en hématologie ou en cancérologie, les figures de proue n’y officient plus, cédant la place à de jeunes compétences mais moins bardées de notoriété.
Cette saignée reflète à elle seule la menace sanitaire qui plane sur les services en question. Une gestion prévisionnelle des ressources actée et soutenue par les pouvoirs publics aurait pu atténuer l’impact socioéconomique de ces départs qui profitent désormais au secteur privé. Pour ces médecins de haut niveau, la retraite n’est point synonyme de désoeuvrement. Au contraire, des cliniques huppées et des hôpitaux privés se les disputent. Mêmes des pays relativement nantis se les arrachent à l’image du Maroc, de la Tunisie, de la Turquie, de la France et du Canada qui mettent sur la table des espèces sonnantes et trébuchantes difficiles à récuser.
A ce stade, l’élan politique manque de panache voire de vision même si des réformes sont par ailleurs sur la table du ministre de tutelle. Car en son axe 2, le PSE mise sur la valorisation des ressources humaines afin de rendre irréversible la perspective d’émergence du pays. Ce n’est un secret pour personne que les élites politiques et administratives ne se soignent pas dans les hôpitaux.
Au moindre mal ou malaise vite détectés, décision est prise : aller en France consulter des spécialistes. Il serait présomptueux de porter un jugement sur les raisons profondes qui poussent ceux qui ont les moyens ou en bénéficient à aller se soigner à Paris ou en Province. Nul doute cependant que ce choix a un coût qui obère les finances publiques. A combien s’élève la facture annuelle des évacuations sanitaires, des hospitalisations et de la prise en charge ? A l’échelle du continent les sommes sont pharaoniques. Les montants affectés à ces charges dépassent les aides publiques au développement alloués aux pays de l’Afrique subsahariens.
Le délabrement des hôpitaux contraste avec l’engouement pour les soins prodigués à l’extérieur et principalement dans la capitale française. La France mobilise les moyens pour lutter contre l’afflux de migrants sur son territoire. L’Hexagone s’apprête même à corriger sa politique afin de mieux corser l’entrée. En revanche les hôpitaux français regorgent de malades venus d’Afrique à grands frais pour y être traités. Pour retrouver le chemin des Sénégalais, le devoir d’exemplarité doit être invoqué. Nécessité faisant loi, une inflexion des orientations stratégiques se justifie pour étouffer la probable gronde des populations. Après tout, le droit à la santé est d’ordre universel, donc imprescriptible.