Que les religieux puissent jouer dans nos sociétés stratifiées, un rôle de régulateur social et même de médiateur, c’est certainement dans leur rôle. Que des membres d’une même confrérie fassent appel à leur guide religieux pour résoudre leurs différends, personne n’y verra quoi dire. Mais que la République laïque délègue le fonctionnement, la régulation, la résolution de ses institutions aux guides religieux par une méga mise en scène communicationnelle, est significatif de quelque chose : plus que malade, cette République est congénitalement et durablement abîmée.
Parce que tout de même, le contentieux entre Wade et Macky, ce n’est pas un contentieux entre deux membres d’une même confrérie, ni entre deux familles comme du temps des familles mafieuses en Italie ou aux États-Unis, mais bien entre la République et ses dirigeants. Que l’on sache, la Crei n’a pas jugé Karim parce qu’il avait le patronyme Wade, mais bien parce que les nouveaux gérants de la République que nous avions élus en 2012, avaient reçu le mandat d’éclaircir les conditions, les circonstances de l’utilisation des deniers publiques à eux confiés. Ou alors, on a été abusé et roulés dans la farine par un président qui voulait se venger de son prédécesseur pour ce que celui-ci lui avait fait subir.
Depuis une semaine et ce fameux sketch joué dans les lambris dorés de « Massalakoul Jinane » par l’ex et l’actuel président, c’est un déluge de commentaires de politologues et autres spécialistes, une furie journalistique jamais vue dans ce pays, tous pour applaudir cette mise en scène vaudevillesque, et personne pour s’interroger sur deux questions « mineures » : où est la justice dans tout ça ? Et que vont devenir les milliards dont on a dit que Karim avait barboté et qui lui a valu un procès rocambolesque, une peine de prison, une extraction spectaculaire de Rebeus aux heures du crime (minuit), un vol spécial sous la haute garde d’un Emir.
Les supposés gardiens et garants de la République se sont amusés avec, et ont méprisé nos besoins, exigences, et demandes : rendez-nous notre argent en rendant la justice. Tout semble indiquer qu’ils ne feront ni, l’un ni l’autre. Ils montrent la pourriture de nos institutions et ce qu’ils peuvent en faire selon leurs désirs (ou ceux de leurs descendants). On s’est livré à un chantage honteux pour exclure Karim Wade de la dernière présidentielle. Pour ne pas s’arrêter en si bon chemin dans l’opération d’animation (d’accord ça n’existe pas et alors ?) des institutions de la République, ils y ont ajouté la mise à mort de l’ex-maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall qu’ils soumettent depuis quelques mois à un chantage honteux : si tu veux sortir de Rebeus, tu t’excuses et tu demandes grâce au Prince…
Tout le monde semble s’extasie des résultats attendus de ce crime contre la République : grâce et retour de Karim au pays ; le Pape du Sopi met fin à sa bouderie du dialogue national, ce grand n’importe quoi. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que ces « retrouvailles » se feront sur le dos des populations. Tout en élargissant leurs privilèges et leur gouvernement, ils musèleront le peuple, les syndicats (ça a commencé) et ils vont tranquillement exécuter le programme d’ajustement structurel que le FMI vient de leur dicter. Quand l’essentiel de l’opposition va à Canossa et à la table du prince pour se gaver, c’est toujours le peuple qui trinque.
Chuut ! L’enfer social est à nos portes, parce qu’ils se sont déculottés et trahi leurs promesses d’il y a quelques mois. Si ça se trouve, le « deal » de Massalikoul Jinane comprend aussi les prochaines législatives (leur tenue), et pourquoi pas, la prochaine présidentielle et une autre modification de la Constitution. Se taire aujourd’hui, c’est se faire complice des crimes contre les populations et les institutions demain.