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A Madame Senghor

A Madame Senghor

Evoquer la disparition de Madame Senghor est, pour nous les amis de Philippe, un moment très douloureux. Le décès de Philippe fut, sans aucun doute possible, la plus difficile des épreuves que Madame Senghor ait eu à affronter, une tragédie.

Beaucoup de choses ont déjà été dites sur Madame Sen­ghor :

Le président de la République Macky Sall a évoqué sa grande discrétion : elle n’aimait ni la politique ni les caméras, ni l’argent ni le bruit ;

Le Président Abdou Diouf a dit d’elle vendredi dernier à Verson que c’était l’une des plus remarquables Premières dames dans le monde et dans l’histoire ;

Le président Moustapha Niasse a multiplié témoignages et superlatifs à son endroit.

Tout cela est rigoureusement exact. Celles et ceux qui l’ont connue ajouteront son élégance, sa distinction, son sourire, sa tenue, sa retenue, en un mot, sa classe.

Mais pour les amis de Philippe, Madame Senghor était bien plus que tout cela.

D’abord parce qu’elle avait fait de nous, les amis de Philippe, partie intégrante de sa propre famille en nous témoignant affection et attention. Elle avait l’art de tous nous mettre à l’aise, y compris lorsque nous étions parfois un peu intimidés ou maladroits.

Ensuite, parce que nous avons eu le privilège de l’observer dans l’intimité de son foyer, voir comment elle choyait son époux qu’elle appelait tendrement «Sédar» en veillant à le protéger, à le couver. C’est vers elle qu’il se retournait lorsque, à la fin d’un bon cebujen et à la vue d’une tête de poisson, rattrapé par les pulsions naturelles de sa très sérère enfance, il lui demandait : «Ma petite Co­lette, est-ce que je peux faire du mocaat, s’il te plaît ?» Très clairement son plat préféré.

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Enfin, le subtil humour de Madame Senghor dont Philippe avait hérité. Avec la fougue de la jeunesse qui était la nôtre, toutes les rencontres étaient bonnes pour challenger le Président Senghor qui, en bon intellectuel, appréciait ces discussions, toujours vives et animées. Nous le taquinions souvent sur son Socialisme à hauteur d’homme et Philippe, discrètement de nous rassurer en disant que, vu la petite taille de son père, nous n’avions pas grand-chose à craindre. Nous allions même plus loin, et probablement trop loin parfois en l’interpellant sur tout, y compris les événements de 1962, 1968 ou sur Cheikh Anta Diop, ce que personne ne pouvait se permettre à cette époque, et même après. Qu’elle fut belle cette période où les gamins que nous étions se permettaient, toujours avec respect, probablement avec naïveté, mais de façon très directe, d’interpeller le président de la République et de dire en toute liberté tout le mal que nous pensions parfois de son régime ! J’entends encore retentir les menaces à peine voilées de Mourtada Diop qui disait au Président Senghor : «Si je ne trouve pas de boulot après ma maîtrise en droit, je vous promets d’entrer violemment dans l’Histoire.» Dans cette authentique école de la vie, nous avons appris tant de choses qui nous servent jusqu’aujourd’hui ; et c’est bien à Madame Senghor que nous le devions, parce que c’est elle qui, discrètement, donnait le rythme et le tempo de ces rencontres.

Madame Senghor était également d’une exceptionnelle finesse intellectuelle. Pendant l’été 1979, nous étions Philippe, Boucounta, ­Mour­tada et moi à Verson. Je dois le confesser, nous étions à l’époque presque tous atteints de tabagisme. Nous nous en cachions et nous pensions évidemment être plus malins que tout le monde. Et convaincus que Madame Senghor ne le savait pas. La suite nous montra que nous avions tort. Au moment de quitter Verson, elle nous invita à un dîner qu’elle promettait copieux. Lorsqu’elle leva la cloche posée sur le plat principal, le spectacle offert était juste terriblement honteux pour nous : un monticule de nos mégots de cigarettes qu’elle avait discrètement et consciencieusement collectés pendant deux longs mois. La classe, c’est qu’il n’y eut pas un seul mot de sa part : cela nous aurait obligés à des explications encore plus fumeuses. Elle nous en fit généreusement grâce.

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Une semaine avant la disparition de Philippe, nous avons eu, lui et moi, une longue discussion. Il m’apparut soucieux alors que son sourire était l’expression de sa permanente joie de vivre. Il me disait que son enfance fut la plus heureuse des enfances en ce qu’il avait eu tout ce qui lui était nécessaire et la quasi-intégralité de l’accessoire. La vie d’adulte lui faisait peur, il savait qu’elle lui réserverait de bien moins agréables choses. La suite, une semaine après, vous connaissez. Evoquer Philippe reste pour nous tous extrêmement difficile, même 38 ans après. C’est dire combien nous l’avons aimé.

Un garçon exceptionnel de bonté, de discrétion, qui fréquentait tout le monde, s’exprimait parfaitement en français comme en wolof, qui terminait ses études supérieures à l’Université de Dakar, dans son pays, fait plutôt rare, voire unique sous les tropiques. Une des grandes fiertés de son père qui avait contribué, avec tant d’autres, à faire de l’Uni­versité de Dakar un pôle d’excellence, où le fils du président de la République et celui de la fille du paysan de mon Walo étaient assis sur le même banc. C’est lorsque l’on y échouait qu’on allait à l’extérieur…

Nous avons tous continué à rendre visite à la famille Senghor après la disparition de Philippe. Le Président tentait de noyer sa douleur dans la poésie ou dans de longues discussions sur les langues agglutinantes tandis que le beau regard de Madame Senghor restait digne en dépit de son infinie douleur. On était de sa famille et si elle appréciait énormément nos visites, ces dernières ravivaient toujours cruellement son indicible souffrance et l’absolue béance.

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Vous l’avez constaté, j’ai tenté au cours de ce témoignage de vous arracher quelques sourires. C’est notre manière à nous, les amis de Philippe, de rester fidèles à Madame Senghor qui savait, comme personne, avoir le bon mot au bon moment et Philippe avait hérité de cela comme de son rire.

Mais aujourd’hui, demain, ce n’est plus le temps de la tristesse, c’est celui de la grande espérance puisqu’elle est partie rejoindre son Sédar et son Philippe, notre Philippe.

Nous, les amis de Philippe, garderons pour toujours en nos cœurs un immense respect, une infinie affection, une éternelle reconnaissance et une loyauté qui ne sera jamais feinte : Merci Madame Senghor, reposez en paix, puisse Dieu exaucer toutes nos prières !

Je vous remercie. Mabousso THIAM

28 novembre 2019

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