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Tchad: Le Commun Vouloir De Vivre Ensemble à L’épreuve De La Mauvaise Gouvernance

Tchad: Le Commun Vouloir De Vivre Ensemble à L’épreuve De La Mauvaise Gouvernance

En forme longue, la République du Tchad, l’État du Tchad est l’un des États d’Afrique noire francophone le plus hétéroclite qui soit. Cette réalité hétéroclite se traduit dans sa diversité culturelle, ethnique, clanique, tribale, religieuse et par dessus tout civilisationnelle. Ainsi donc, en lieu et place de cette diversité éclectique, pour ne pas dire hétéroclite, une véritable et profonde balkanisation s’opère. La diversité ainsi héritée depuis l’indépendance en 1960, est aujourd’hui, source de tensions et de graves crises.
 
Ces tensions et crises issues de la diversité sont exploitées à dessein par les politicards en vue de diviser le Tchad pour mieux et longtemps régner. Ces politiciens, pour ne pas dire ces politiques, ont exacerbé et accru consubstantiellement laquelle diversité à des fins politico-clientélistes. Un coup dur et mortel est ainsi porté à la jeune Nation Tchadienne dans ses balbutiements les plus primaires et dans ses gesticulations les plus amorphes. D’ailleurs, peut-on soutenir qu’il y a une Nation Tchadienne ?
 
À cette interrogation, nous répondons sans coup férir par la négative. 
 
D’entrée de jeu, entendons-nous sur les différents éléments définitionnels de la Nation. Ici, il ne s’agira point question de relever la possible nuance qui peut exister entre : Population, Peuple et Nation. Mais bien au contraire, il s’agira pour nous dans ce cas présent, de faire ressortir les deux conceptions de la Nation. Donc, l’opposition desquelles conceptions.
 
La première conception est dite objective. Celle-ci considère que la communauté est déterminée par des éléments factuels, donc, des faits. Ces faits peuvent être aussi bien de la race, de la langue que de la religion. D’après cette première conception, pour qu’il y ait une Nation, il faut nécessairement être de la même race, parler la même langue ou encore pratiquer la même religion. Cette conception est l’œuvre de deux auteurs à savoir : Gobineau — de nationalité française –, et de Houston Steward Chamberlain — de nationalité anglaise. Cette conception, est sans l’ignorer, peut conduire à des épurations éthiques ou à un nettoyage racial. Car en effet, le IIIème Reich Allemand s’en est largement inspiré de celle-ci afin de procéder à l’extermination, à la déportation et à l’holocauste des juifs. Ayant ainsi brièvement traité de la première conception dite objective, venons-en à présent à la deuxième conception.
 
La deuxième conception, quant à elle, est dite subjective. C’est cette dernière qui nous intéresse dans le cas qui nous préoccupe, celui du Tchad. En effet, la conception subjective est une conception volontariste, c’est-à-dire que cette conception repose sur des notions telles que : l’adhésion à un mode de vivre ou encore la faculté de penser et de sentir. Partant de là, la Nation apparaît comme étant une expression d’une conscience nationale lentement façonnée par l’histoire. C’est dans ce contexte fort juste que Georges Burdeau soutint que :  » La Nation est un rêve d’avenir partagé et fondé sur la conscience du passé commun. » Ainsi donc, l’objectivité de cette conception dite subjective nous semble plus conforme à notre réalité Tchadienne. C’est dans cette veine que Mancini énonça fort à propos dans sa célèbre leçon de Droit International à l’Université de Turin la thèse la plus vraisemblable qui soit. Il — Mancini — soutint que :  » La Nation est une société naturelle d’hommes que l’unité de territoires, d’origines, de mœurs et de langages mène à la communauté de vie et de conscience sociale. »
 
Ainsi, il ressort trois éléments déterminants et fondamentaux de la conception dite subjective de la Nation : l’histoire, la temporalité et le volontarisme. À ces trois éléments assortis de la conception subjective, vient s’ajouter — dans le cas Tchadien — un quatrième élément et non des moindres : la gouvernance.
 
C’est pourquoi donc, le Tchad, dans ses frontières actuelles anarchiquement tracées par le colon, et, lequel colon ayant mis dans une même délimitation géographique des populations aux cultures disparates, aux mœurs bigarrées, aux valeurs hétérogènes et par dessus le marché aux civilisations discordantes — ces différentes ethnies et tribus Tchadiennes se regardent en chiens de faïence, sans oublier les conflits intercommunautaires qui eurent lieu dans tout le pays et ayant occasionné des milliers de morts du fait de l’incapacité notoire de l’État Tchadien à pouvoir prendre véritablement en charge ses missions régaliennes de défense nationale et de sécurité intérieure —  ; il est donc loisible pour nous de soutenir, qu’au regard de tout ce qui précède, le Tchad n’est guère une Nation.
 
Dans cet esprit, il est aisé d’avancer la thèse selon laquelle, au Tchad, l’État a précédé la Nation. Contrairement à l’Afrique, en Europe, la Nation est antérieure à l’État. En Afrique en revanche, l’État est antérieur à la Nation. Même si dans ce dernier cas, l’on pourrait facilement démontrer que s’il y a Nation au Tchad, cette Nation n’est guère effective et efficiente. C’est dans cette optique que Maurice HAURIOU a qualifié des États d’Afrique, du fait de la colonisation dont ils ont subi, comme étant des États ayant été créés :  » La clef en main. » L’État postcolonial Tchadien ou voire Africain, n’a cessé de s’atteler depuis les indépendances à la création, ou du moins, à la construction d’une Nation en insufflant à sa population un minimum de sentiments et de comportements nationaux. Il est judicieux de relever que, la volonté de l’État postcolonial Tchadien et/ou Africain à vouloir créer ou construire une Nation en insufflant à sa population un minimum de sentiments et de comportements nationaux s’est trouvée gravement obviée et entachée par : LA MAUVAISE GOUVERNANCE.
 
En effet, cette mauvaise gouvernance se caractérise sur plusieurs niveaux et à diverses échelles. Autant traiter des tentacules vénéneuses de la mauvaise gouvernance. Nous écrivions donc que, cette mauvaise gouvernance se caractérise tant aux plans politique, économique, culturel, social, sportif, que sociétal. 
 
La généralisation de la mauvaise gouvernance au Tchad n’est un secret pour personne. Ni pour le gouvernant, moins pour le gouverné. Nous pouvons, pour plus de clarification, étendre, ou du reste, faire ressortir les tentacules de la mauvaise gouvernance de façon sectionnée et segmentée.
 
D’abord, au plan politique : la séparation des pouvoirs, en l’occurrence les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, relève d’une pire chimère. Au Tchad, les trois ordres de pouvoirs ne sont guère séparés. De ce fait, ces trois pouvoirs s’entrechoquent, s’imbriquent et s’entrelacent en effet. L’Assemblé Nationale, n’est plus ni moins, qu’une simple chambre d’enregistrement. C’est une majorité mécanique entièrement dévouée au pouvoir exécutif. C’est pourquoi, cette majorité mécanique vote à tout bout de champ des lois qui contreviennent aux intérêts du peuple souverain primaire, d’après la volonté de laquelle elle a été élue. 
 
Quant au pouvoir judiciaire, il est la glaive non pas de la justice et de la vérité, mais bien au contraire, c’est une glaive jalousement tenue et gardée par le pouvoir exécutif afin d’abattre sur quiconque essaierait de le titiller en lui relevant les dérives de sa mauvaise gouvernance.
 
Ensuite, au plan économique : c’est le comble de l’aberration. La gabegie financière, les détournements massifs et musclés des deniers publics, la corruption généralisée et la prédation des ressources naturelles du Tchad sont légion. Une petite clique de Tchadiens se trouvant au sommet de l’exécutif, s’arroge la part du lion des ressources du Tchad au détriment de l’immense majorité de Tchadiens vivant, gémissant, croupissant et agonisant dans une misère criante doublée d’une extrême pauvreté. Cette situation conduit, à n’en point douter, à la marginalisation et à la discrimination de certaines couches de la population Tchadienne. Cette marginalisation et cette discrimination économiques débouchent et déboucheront certainement sur des soulèvements populaires et des soulèvements de masses en procédant ainsi à la rupture de l’autorité légitime du monopole de la violence étatique. 
 
Puis, au plan sportif : la discrimination notoire et absurde dans la sélection des joueurs est une triste réalité Tchadienne. Les meilleurs joueurs du Tchad sont tout simplement et bonnement relégués et confinés au second plan. Les moins bons et les moins qualifiés sont retenus sur des considérations régionalistes, religieuses, ethniques ou tribales. Autant dire des considérations subjectives. En privant ainsi à tout un État et à ceux qui y vivent en son sein, l’euphorie de la victoire sportive ainsi conduisant au germe d’une Nation Tchadienne. Pour rappel, en 1995, en Afrique du Sud, c’est la victoire à la finale de l’équipe de rugby sud-africaine qui avait véritablement éclos la réconciliation nationale, laquelle réconciliation qui était à l’époque prônée et portée par le Président Nelson Mandela — mon modèle.
 
Enfin, aux plans social, culturel ou sociétal : c’est le malaise général. Le repli identitaire, le communautarisme, le repli sur soi, le dénigrement de l’autre, le suprématisme ethnico-tribal, le mépris, le dégoût et le rejet de tout ce qui ne nous ressemble guère gagnent sérieusement et dangereusement du terrain.
 
En substance, l’injustice, l’impunité, la discorde nationale, la discrimination, la marginalisation, le repli identitaire, le repli communautaire, le rejet de l’autre, la gabegie financière, la corruption généralisée et endémique, le viol collectif, le vol, le pillage, les tueries, sont entre autres les maux qui accablent et obstruent l’émergence d’une Nation Tchadienne. Le tout est savamment entretenu et orchestré par la mauvaise gouvernance, provenant quant à elle, de la mauvaise volonté de nos dirigeants à vouloir mordicus nous maintenir dans une Nation artificielle et fictionnelle au grand dam du bonheur de l’actuelle et des futures générations.
 
Fort de tout ce qui précède, nous pouvons soutenir sans crainte de nous tromper que : le Tchad n’est pas un État-Nation. Pour ainsi faire face à la quasi inexistence d’une Nation Tchadienne, et de vouloir ainsi songer à la possible mise en place d’une Nation Tchadienne digne de ce nom, il faut nécessairement avoir une croyance commune à l’appartenance d’un même pays, un enracinement fort, un attachement solide aux valeurs républicaines, un ancrage profond des institutions crédibles et légitimes, l’égalité de tous devant la loi, le respect de l’autre, l’ouverture à l’autre, la bonne gouvernance sous tous les aspects ; en un mot, un véritable État de droit dans lequel où l’Administration sera soumise à la règle de droit et où dans lequel tous les Tchadiens s’y sentiront pleinement appartenir à leur État le Tchad et où le vouloir commun de vivre ensemble — pour reprendre les mots de l’historien Michelet — sera une réalité effective par le truchement du sentiment national qui sera sanctionné et scellé à l’appartenance d’un destin commun : le Tchad.
 
Pour pouvoir arriver à ce stade d’État-Nation Tchadien digne de ce nom, il nous faut de la volonté et du temps. De la volonté de vouloir et de pouvoir se battre contre l’injustice, l’impunité, la mauvaise gouvernance, les inégalités économiques, la mauvaise redistribution des richesses nationales, du dérèglement étatique et de l’effondrement de la République.
 
De la volonté de vouloir et de pouvoir se battre pour la justice, la bonne gouvernance, la justice sociale, la cohésion sociale, la concorde nationale et la mise en place d’un État de droit ayant comme corollaire la Nation Tchadienne.
 
Et le temps sera la conséquence logique de la mise en place d’une Nation Tchadienne digne de ce nom. À condition bien sûr que, nous, jeunes Tchadiens, nous nous engagions d’ores et déjà à vouloir militer pour la bonne gouvernance et pour un État de droit au Tchad.
 
Jeunesse du Tchad, ne soyons surtout pas absents sur ce terrain-là : sur celui de l’engagement conduisant à la justice et à la liberté. De grâce, ne brillons guère par notre absence sur le terrain de l’engagement. Car finalement, Jean de La Fontaine n’a-t-il pas raison lorsqu’il écrivit dans son célèbre et monumental ouvrage Les Fables que :  » L’absence est le plus grand des maux. »?
 
QU’ALLAH BÉNISSE LE TCHAD ET LES PATRIOTES TCHADIENS !!!
 
Brahim Oguelemi
Doctorant à la FSJP/UCAD

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