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Je T’aime Si…

Je T’aime Si…

Au lycée Djignabo de Ziguinchor, temple de notre belle insouciance (grand établissement en parfaite décrépitude aujourd’hui), nous avions un camarade de promotion d’une sensibilité à fleur de peau. Il était d’une spontanée affabilité, vertu qu’il continue d’ailleurs de chérir. Je l’ai revu, il n’y a pas longtemps avec son éternel sourire plein de bonté, presque candide. D’une touchante serviabilité, il nous comblait de sa gentillesse. Cependant, ses échecs amoureux, ses ruptures douloureuses et son investissement humain dans ses relations avec les filles alimentaient la rubrique «potins» de nos oiseux papotages. Cela en faisait presque un personnage affligeant bien qu’il fût aimable.

Nous étions de jeunes fougueux qui se plaisaient à se représenter des contes de fée et à considérer chaque nouvelle conquête comme un moyen de prendre conscience de son moi. Lui, il semblait être perdu dans cet «égotisme» nourri par notre étourderie juvénile. Ainsi, naissait un malentendu, une sorte de déphasage de ce que nous nommions «guel» (petite amie), triomphe d’une masculinité à faire valoir pour les uns, et «projet» de vie et de l’«à venir» pour ceux qui s’étaient précocement drapés dans les vertus de la tempérance. Sans même que nous nous en rendissions compte, notre camarade de promo se mettait en marge de nos aspirations immédiates ou des hâtives et violentes envies pour ceux-là, parmi nous, prématurément portés à la volupté.

Le bonhomme était soigneux, patient avec celles dont il s’était épris et se donnait corps et âme, et surtout beaucoup de temps, pour séduire. Nous l’appelions «Hindou» tant il était romantique et presque chimérique (en référence aux films hindous en vogue à l’époque et où les tourtereaux, inlassablement, «roucoulaient»). Et pourtant, ses relations amoureuses ne résistaient pas au «mercato de Noël» malgré son investissement sincère. Mais, sa foi viscérale en l’amour ne chancelait point. Ses ruptures étaient aussi douloureuses que ses complaintes récurrentes et quelquefois incommodantes pour nous qui l’écoutions et «écumions» le terroir. Une de perdue, dix de retrouvées, nous disions-nous ! Notre ami de la «marge» butait contre notre incompréhension. Il bornait son idéal à l’amour, à la fidélité, à la délicieuse douceur couchée sur ses lettres que rien n’égalait. Elles étaient l’éloge même de l’amour, de la tendresse. Nous nous amusions de ses amours «platoniques», nous qui nous contentions de citations trouvées au pif, à envoyer à la petite «nigaude» du coin, («Si un grain de sable signifiait l’amour pour toi, il faudrait tout le désert du Sahara pour te prouver combien je t’aime», et bien d’autres niaiseries d’adolescents). Lui, par contre, il se donnait la peine de laisser son cœur épris s’abandonner à ses sentiments pour donner à lire des délices. C’est tout cet «apprêt» qui l’aiguillonnait. Sa longue quête fut jalonnée de désillusions, de railleries. Mais la lumière finit par rayonner sur son allée de sens et d’amour. Il a mobilisé sa patience pour se fabriquer un destin avec une épouse aimante et digne de son amour. De nous tous, il est certainement celui qui a su trouver cet équilibre existentiel presque parfait dans sa vie de famille. Il est demeuré «Hindou» !

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Notre humanité, en proie aux tourments, a perdu la vertu de la patience. Déclarer sa flamme, c’est tout un art, toute une histoire qui s’écrit entre deux êtres. La femme se sent aimée, désirée. «Je t’aime» ne doit pas être une banale phrase que l’on écrit par texto au beau milieu de la nuit noire quand tous les sens sont en éveil et que l’on oublie aux premiers feux de l’aurore après le retour à soi. «Je t’aime», c’est tout un récit d’amour. «Je t’aime» est un projet qui, dans son ébauche, caresse une chimère avant le bonheur tumultueux. L’amour se fait, en effet, avec tumulte. Et c’est excitant. Courtiser, séduire une fille est un instant d’excitation «magnétique». Malheureusement, nous sommes, aujourd’hui, pris de frénésie à cause des texto, des outils technologiques… Et nous apprécions peu ces petites choses qui pimentaient nos vies. Ecrire une lettre, draguer une fille et entendre de sa bouche cette rengaine d’un autre temps, «danaala jox sa réponse» (je vous donnerai ma réponse), c’est si capiteux ! «Ce n’est pas une question, c’est une effusion de cœur, mademoiselle», aurait, sans doute, rétorqué mon vieil ami «hindou».







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