Il veut, par tous les moyens, contenir la houle de contestation dans un océan agité par un quotidien de plus en plus intenable. La hausse des prix de l’électricité, du loyer, du ciment, du carburant et de certaines denrées de première nécessité, a poussé des Sénégalais à jeter aux orties le manteau de la résignation. Depuis l’entrée en scène du mouvement Nio Lank Nio Bangne, le président Sall et son régime sont en train de mettre en place des schémas pour casser la dynamique de mobilisation.
Parmi les stratégies utilisées, il y a celle dite de répression systématique. Elle est mise en branle lorsque des manifestants veulent marcher sur les allées du centre-ville. La police lourdement armée vise les têtes de gondole du mouvement en les violentant, puis les jetant en prison. Son but (stratégie de répression systématique) est d’installer la peur dans le camp des manifestants et les pousser à renoncer à la lutte. Mais le président Sall ne perd pas de vue que cette stratégie de répression systématique trouve ses limites dans la détermination et l’abnégation des manifestants qui peuvent à tout moment changer de schéma de lutte. La répression peut s’avérer contreproductive, puisqu’elle secrète le venin de la radicalisation qui ne fera qu’attiser le feu de la contestation.
C’est pourquoi le président Sall a jugé bon d’utiliser d’autres procédés pour gripper la machine de guerre du peuple, en orientant l’opinion vers des centres d’intérêts où l’adhésion des populations sera plus ou moins acquise. Il s’agit, entre autres, du lancement, le 20 décembre 2019, de la plateforme www.100000logements.com, de la circulaire du 2 janvier du ministre de la santé, du cleaning day du 4 janvier.
Il est fort probable que ces mesures «sociales» ne soient pas étrangères à la colère des populations qui ont du mal à avaler la pilule de la hausse du prix de l’électricité.
La stratégie consistant à faire miroiter un avenir radieux aux Sénégalais avec la possibilité d’acquisition de toit, peut faire des effets. Ici la manipulation consiste à frapper les esprits en mettant dos à dos la hausse de la facture d’électricité et la probabilité d’avoir un logement. Le choix d’un avenir proche est vite fait au détriment d’un présent que l’on préfère sacrifier, en se résignant sur un sort imposé par un Etat «prédateur».
La guerre des statistiques au sujet des inscrits sur la plateforme www.100000logements.com a commencé le jour même du lancement. Le ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, Abdou Karim Fofana, a révélé qu’il y a eu 10 000 inscrits à minuit, le vendredi coïncidant avec le rassemblement interdit de Nio Lank à la place de l’Indépendance. De larges extraits télévisés sont consacrés à l’événement. De l’avis du Directeur de la construction et de l’habitat, M. Ousmane Wade, il y a eu près de 50 000 inscrits à seulement trois jours après le lancement : «46.034 Sénégalais se sont manifestés et parmi eux, 39.330 (85’4%), sont déclarés éligibles et seuls 6704 (14,6%), déclarés non éligibles», dit-il.
Ce tapage médiatique au sujet de cette plateforme n’est pas fortuit. Le but de cette stratégie est de faire oublier le rassemblement réprimé par la police et d’amener les Sénégalais à baisser la garde en avalant la pilule amère de la hausse. Depuis lors, plus rien ! La clameur s’est dissipée dans le ciel d’un quotidien qui impose sa dure et pénible réalité.
Mais le chapeau du magicien n’a pas encore livré tous ses secrets. Le curseur s’est déplacé sur le terrain de la santé pour capter l’attention des populations dont l’accès aux soins est un véritable casse-tête. Le ministre de la santé, M. Abdoulaye Diouf Sarr, a cru devoir jouer sa symphonie pour entretenir un faux espoir qui risque de se liquéfier sous le soleil des réalités insoutenables des hôpitaux-mouroirs.
Dans l’imagerie populaire «lorsque vous tombez malade sans argent, c’est la mort assurée». Des structures sanitaires manquent de tout jusqu’aux compresses. Le patient est donc obligé de tout acheter. Comment des hôpitaux qui souffrent de manque d’infrastructures, d’équipements (tels que les plateaux techniques dignes de ce nom) et de logistiques, peuvent mettre en œuvre le plan d’accélération de la prise en charge des urgences, comme l’indique le ministre de la santé dans sa note circulaire du 2 janvier dernier. Il demande aux chefs d’établissements hospitaliers «d’organiser la référence du patient, en cas de non prise en charge, avec la structure où il sera orienté ou le faire en collaboration avec le SAMU». Dans des hôpitaux où il n’y a pas assez d’ambulances, Abdoulaye Diouf Sarr ordonne qu’on n’évacue plus de patients à bord d’un véhicule autre qu’une ambulance. Il va jusqu’à faire injonction aux médecins responsable de garde et des services d’accueil des urgences de laisser fonctionnels 24/24h leurs téléphones.
Saupoudrage ! Cette note circulaire vient confirmer les problèmes du secteur de la santé. Elle est aussi la preuve que le ministre de tutelle est un homme désarmé qui veut donner l’impression qu’il a une emprise sur son département. Le service d’urgence dans les hôpitaux est l’arbre qui cache la forêt. Le patient qui arrive se voit prescrire une ordonnance, faute de médicaments dans les services d’urgence, comme c’était le cas du temps de Abdou Diouf et de Me Wade. Pour dire que cette note circulaire est une farce de mauvais goût qui a tout l’air d’un instrument de diversion pour calmer un peuple enragé.
La dernière trouvaille, est le cleaning day (journée de la propriété) qui a permis au président Sall d’occuper, durant une demi-journée, une partie du peuple. Il a réussi, sur ce coup, à imposer son agenda setting. Les médias étaient en mode live pour parler du coup de balaie du couple présidentiel. Les seconds couteaux ont aussi mobilisé des journalistes dans leur localité pour rendre compte de la journée de propriété. Le cleaning day a réalisé la prouesse de faire «oublier», l’espace d’un week-end, la colère saine exprimée par l’écrasante majorité des Sénégalais contre la hausse injustifiée de la facture d’électricité.
Mais la plateforme www.100000logements.com, la note circulaire du plan d’accélération de la prise en charge des urgences et le cleaning day, ont certes fonctionné comme des médicaments hypnotiques pour endormir temporairement un peuple qui a épuisé son crédit de tolérance. Le présentisme et la gadgétisation du discours politique ne sauraient effacer une réalité qui se vit au présent. De la profondeur abyssale de l’océan, la clameur monte à la surface comme un signal. C’est la force du peuple qui surgit du ciel de l’Histoire. Gare à ceux qui se mettront en travers de son chemin, le rouleau compresseur avancera et écrasera tout sur son passage. Implacablement, il forcera le barrage pour répondre à l’appel du devoir. La prophétie se réalisera !