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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Le Regard Acere Du Sage Mouhamadou Sy

Le Regard Acere Du Sage Mouhamadou Sy

Le texte que nous publions ci-dessous est assurément un document  d’anthologie. Il s’agit des observations et réflexions d’un homme, Mouhamadou Sy, qui a été un acteur majeur de la vie économique et sociale nationale de ces 60 dernières années. 

Diplômé de l’Ecole nationale supérieure du Pétrole de Rueil-Malmaison, en France, il est l’un des premiers ingénieurs du Sénégal indépendant. Il a été le deuxième Directeur sénégalais des Mines et de la Géologie à la suite de feu Louis Alexandrennes qui a pris le relais des Français. A ce titre, Mouhamadou Sy a participé aux premières prospections minières de notre pays, dans la région du Sénégal-Oriental en particulier mais pas seulement. Il a travaillé avec les Russes qui menaient cette prospection avant de séjourner en Union Soviétique pour se perfectionner. 

Mais Mouhamadou Sy a été, surtout, le premier Administrateur Directeur général autochtone de la Compagnie sénégalaise des Phosphates de Taïba (CSPT) après en avoir été Directeur général adjoint de 1976 à 1978 puis Directeur général (mais pas mandataire social) de 1986 à 1996. C’est sous son égide que cette très grosse entreprise française a réalisé la sénégalisation de ses cadres. Une expérience intéressante et inédite qu’il raconte dans les lignes qui suivent. Membre du Conseil économique et social de l’époque, lorsque les Français tenaient le haut du pavé dans cette institution, il fut aussi l’une des figures de proue de l’UNySyNDI, le puissant syndicat patronal de l’époque. Il fait partie de ceux qui ont impulsé la création de l’ex-IUT (Institut universitaire de Technologie) devenu ENSUT (Ecole nationale supérieure de Technologie) et l’un des premiers employeurs à faire confiance aux techniciens sortis de cette pépinière.

Au moment où le Sénégal s’achemine vers l’exploitation de son pétrole et de son gaz, mais aussi de son fer avec l’arrivée attendue de légions de Turcs — après l’importation massive de travailleurs indiens aux ICS ! —, les réflexions de M. Mouhamadou Sy, un homme qui n’aspire plus à rien si ce n’est à  un repos mérité, ces réflexions, donc, méritent d’être lues avec attention. Et ses conseils, notés avec soin. Il s’agit assurément d’un bréviaire que ce grand Monsieur, qui a toujours eu un rapport très détaché avec l’argent, livre à la génération actuelle. Et à celles qui vont suivre. Bonne lecture !                            

L’inventaire des ressources minérales a préoccupé le gouvernement sénégalais qui, dès l’Indépendance, grâce à un financement du FAC (Fonds d’Aide et de Coopération) a mené une vaste campagne de géophysique aéroportée dans l’Est du Sénégal. Toutes les méthodes d’investigation connues à l’époque ont été utilisées (gravimétrie, sismiques (réflexion et réfraction), magnétométrie, radiométrie, scintillométrie électrique…). Cette campagne a permis d’identifier 78 anomalies.

Pour vérifier ces anomalies au sol, le gouvernement a obtenu un important financement du PNUD (Programme des Nations unies pour le Développement). Ce programme qui a duré huit ans a permis la vérification de 39 de ces 78 anomalies.

L’orientation pour la recherche de l’or et du diamant a été privilégiée. Le démarrage de ce programme a coïncidé avec mon recrutement à la Direction des mines et de la géologie et je fus affecté à ce programme comme géologue du gouvernement conformément aux accords passés entre l’Etat du Sénégal et le PNUD. C’est ainsi qu’après un an passé au Sénégal oriental, je fus envoyé en Union soviétique pour parfaire ma formation dans la prospection minière, notamment dans l’étude des placers d’or et de diamant. Au début de la mission, le directeur du projet, un Suisse très expérimenté dans le domaine des recherches minières, M. Agassiz, me demandera de mener une monographie sur les minerais de fer de la Falémé appelés « chapeaux de fer ». On trouvait quelques rapports de géologues de la Direction fédérale des Mines mais deux rapports de campagne, dont celui de 1957 qui estimait les réserves à 87 millions de tonnes et celui complémentaire de 1958 qui poussait les réserves à 92 millions de tonnes de fer. La Sénégalaise des Mines qui avait commandité cette étude serait intéressée à 100 millions de tonnes minimum.

La thèse péremptoire du Dr Soule Delafont consistant à dire que les minerais de fer ne s’enracinaient pas mais constituaient uniquement des chapeaux devait condamner définitivement ces gisements de fer de la Falémé. Mon résumé portant sur ces « chapeaux de fer » ne pouvait qu’adopter la même conclusion puisque aucune autre étude n’avait été menée sur le terrain. Dr Soule Delafont ne s’était d’ailleurs intéressé qu’aux deux collines de Koudékourou et de Kouroudiakou, et les affleurements de Karakaéne et du Gotto, moins apparents, n’avaient pas fait l’objet d’investigations. Au cours d’un diner offert au directeur régional du Brgm en visite de chantier, diner auquel j’ai été convié, divers sujets étaient au menu et cette occasion m’a permis de faire comme par hasard une remarque qui s’est avérée intéressante.

Dans les années 60, on vivait à l’ère du cuivre (qui était un élément conducteur par excellence et très maniable) avec les gisements du Chili, de la Zambie et du Katanga. J’avais remarqué en effet que dans les tableaux d’analyses des rapports du Dr Soule Delafont des teneurs très faibles, disons des traces, de cuivre étaient généralement présentes. Cette remarque ayant retenu l’attention du directeur du Brgm, celui-ci exprima l’idée de solliciter l’accord du PNUD pour l’implantation de quelques forages pour rechercher du cuivre. La demande du Brgm fut acceptée — d’ailleurs à ma grande surprise. Le premier forage est resté 400 mètres dans la minéralisation du fer, ce qui voulait dire que la thèse du Dr Soule Delafont était inexacte. Les collines de fer s’enracinaient bien. Ainsi débuta la campagne d’évaluation des réserves de fer de la Falémé.

L’évaluation poussée donna 650 millions de tonnes de réserves certaines ; 850 millions de tonnes de réserves probables et plus d’un milliard de tonnes de réserves possibles. Nous avions donc là un potentiel très appréciable. Il faut rappeler qu’à la fin des années 60 et au début des années 70, les gigantesques gisements de fer du Minas Gérais au Brésil arrivaient sur le marché avec les capitaux des grands sidérurgistes européens et les institutions de Bretton Woods. Il était alors difficile d’envisager l’exploitation des autres nouveaux gisements et encore plus de construire 750 km de chemin de fer pour sortir le minerai. L’investissement colossal de Minais Gérais commence à s’amortir aujourd’hui. On devrait donc réactualiser le dossier dont les chances d’exploitation seraient beaucoup plus grandes si on réalisait le chemin de fer Dakar-Bamako, nécessité absolue pour la survie du Port de Dakar. Avec le projet ivoirien de San Pedro qui non seulement s’accaparera du trafic malien — Mali Est et Mali Centre — mais risque également de nous ravir le Mali Ouest, auquel cas l’avenir du Port de Dakar serait sérieusement compromis car ne disposant plus que du marché intérieur sénégalais.

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En matière de transport, l’investissement le plus urgent c’est la réalisation du chemin de fer Dakar-Bamako avec des normes internationales pouvant supporter un trafic lourd d’environ 3 à 5 millions de tonnes de fer/an et le ravitaillement du Mali en carburant et conteneurs divers. Il y a un moment, un de nos quotidiens a parlé de 25 millions de tonnes de fer/ an avec 3000 emplois et 400 experts turcs. Nos autorités doivent surveiller davantage ce qui est écrit dans notre presse. Il est vrai qu’il y a eu une révision à 5 millions de tonnes de fer quelques jours après mais on n’a pas rectifié le chiffre parlant des emplois créés ni du nombre d’expatriés turcs.

A ce propos, une politique très claire doit être définie dans l’utilisation d’employés étrangers. Je rappelle qu’en 1970-72, avec les plans de sénégalisation, le gouvernement sénégalais ne disposait que de 3,65 % du capital de la Compagnie sénégalaise des phosphates de Taïba (CSPT) mais un plan de sénégalisation de tous les postes avait été établi avec des délais raisonnables de telle sorte qu’en 1996, au moment de la fusion ICS/Taïba, il y avait à Taïba un seul expatrié, directeur des exploitations, qui avait pris le poste d’un Sénégalais parti à la retraite. Ce alors qu’en 1972, il y avait 67 expatriés. Certes, des dépenses énormes de 250 millions de francs CFA par an ont été employées pour la formation ou le perfectionnement de notre encadrement (du maîtrisard au cadre supérieur). Notre politique de sénégalisation nous a poussés à offrir jusqu’à trois années de salaires à certains expatriés pour la formation d’homologues sénégalais. Taïba a disposé d’un encadrement exceptionnel chanté par tous les visiteurs et consultants qui nous fréquentaient. J’entends souvent parler d’adéquation formation/emploi mais, dans ma petite expérience en la matière, on ne dispose que de clefs brutes qu’il faut ajuster à chaque serrure. Avec l’évolution rapide de la technologie et l’accélération des connaissances, il serait souhaitable, selon la filière, de prévoir des rencontres tous les 5 ou 10 ans entre employeurs et enseignants des universités pour réactualiser les programmes mais les entreprises devront toujours apporter un complément nécessaire à leurs employés.

Deux faits pourraient être cités à cet égard pour prouver la compétence de notre encadrement de l’époque. M. Milliote, ingénieur diplômé de l’Ecole centrale de Paris, me fit un jour le témoignage suivant : « M. SY, comme vous, je ne cherche jamais à faire du ‘’volume’’ mais, en toute modestie, je vous dirais qu’en matière d’électricité, je suis très ‘’calé’’ vu mon Cv qui m’a conduit à la direction des Houillères du Midi, à Electricité de France, à la direction de la Miferma (Mines de fer de Mauritanie) en tant que directeur des exploitations. Je vais pourtant vous surprendre en vous disant que je ne pesais pas lourd en face de M. Silly Faye, ingénieur électricien sénégalais qui, à l’époque, était le chef du Service Electrique de la Maintenance. Je dois préciser que M. Milliote était l’ingénieur en chef de la production de la CSPT et était à un an de sa retraite.

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Le deuxième témoignage venait de M. Deau, directeur général de Cegos qui, au cours d’une rencontre avec l’Unisyndi (syndicat patronal de l’époque) parlant de l’encadrement maîtrisard à Taïba (en majeure partie venant de l’IUT de Dakar), M. Deau, donc, avait fait un éloge appuyé de notre politique de sénégalisation à Taïba. Il m’est revenu que tout cet encadrement qui nous a coûté autant d’efforts est parti à la retraite et tout cet encadrement aurait été remplacé par des expatriés ! Aucune transmission de connaissances et de compétences ne s’est donc opérée. Tous les efforts de plus de 25 ans sont donc partis en fumée, c’est vraiment révoltant ! L’exploitation des gisements de fer avec des partenaires sérieux devrait changer beaucoup le visage de notre pays.

Avec la réalisation comme souhaité plus haut du chemin de fer aux normes internationales, le fer de la Falémé serait à 200 km. Ainsi, avec un investissement masqué de plus de 500 km, nous pourrions trouver beaucoup plus facilement des investisseurs pour nous accompagner ; la politique de l’emploi devant toujours être sous notre contrôle.

Pour le fer, une production annuelle de cinq millions de tonnes avec trois millions à l’exportation pour nos partenaires et deux millions environ transformés sur place soit à Bargny soit à Kayar selon les résultats des études. Notons également qu’avec les gisements de phosphates d’alumine et d’ilménite (oxyde double de fer et de titane), on pourrait fabriquer des aciers spéciaux si la demande existe. La Société sénégalaise des Phosphates de Thiès dispose d’un grand gisement de phosphates d’alumine. Ses usages en tant qu’engrais étant limités, c’est le seul gisement au monde commercialisable connu. On dispose d’environ 60 millions de tonnes à 30 % de P205. Un dossier très complet a été réalisé pour la séparation du phosphate de l’alumine.

L’industrie de l’aluminium étant très énergétivore, on a conclu à l’époque à la non-rentabilité de l’exploitation de l’alumine. Aujourd’hui, avec l’existence de gisements de gaz au Sénégal, les paramètres devraient changer. Concernant le titane, on le trouve dans les ilménites (oxyde double de fer et de titane. Ces ilménites, sables noirs ou encore minéraux lourds sont charriés par nos fleuves depuis le Birrimien au Sénégal oriental jusqu’à nos côtes atlantiques.

Les affluents et sous affluents de la rive gauche de la Falémé pour le fleuve Sénégal comme ceux du Niokolo Koba, sur la rive droite, par leur érosion, ont charrié des tonnes de sables noirs qui ont fini avec les temps géologiques à former des placers de minerais lourds qui constituent divers gisements de Lompoul à Kayar sur la partie Nord de nos côtes ; sur la Petite côte, on peut signaler les gisements de Nianing où opérait la société Gazziolo et, plus au Sud encore, les gisements de la Casamance.

Les gisements d’ilménite ont connu une bonne exploitation de la part de la société Gazziolo. A l’époque, leur usage principal consistait à fabriquer des peintures (blanc de titane). La société Gazziolo a fermé en 1961-62 parce que l’industrie des peintures ne fabriquait plus que des peintures chimiques plus pures que celles provenant des ilménites.

A l’époque, le zircon était un sous-produit de l’exploitation des métaux lourds. Aujourd’hui, avec la conquête de l’espace, le zircon est devenu très rentable à cause de sa forte température de fusion de plus de 1800 degrés. En dehors des différents gisements jalonnant nos côtes, des réserves inestimables existent dans cette province géologique du Sénégal oriental. Pendant mes missions au Sénégal oriental, après la période des pluies, je trouvais dans les rivières asséchées des tonnes de sables noirs débarrassées de leur gangue. Je passais beaucoup de temps à admirer ces beaux minéraux d’ilménite d’un noir d’ébène rutilant et scintillant au soleil.

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A chaque fois que l’occasion s’est présentée, j’ai invité la Faculté des Sciences et l’IST (Institut des Sciences de la Terre) à porter beaucoup plus d’attention dans l’étude de ces minerais. Il faut jalonner les parcours de ces sables noirs car on peut trouver des accumulations importantes dans les zones de dépôt de nos fleuves. Il n’est pas exclu que des accumulations de minéraux lourds existent un peu partout le long de nos fleuves au niveau de leurs zones de dépôt ; cette probabilité pourrait changer la vie de nos populations intérieures. On voit donc que le Sénégal, de par ses ressources minérales (or, fer, zircon, ilménites, phosphates d’alumine, phosphates de chaux et bien d’autres minéraux utiles) devrait connaître un développement industriel satisfaisant. Avec la découverte du gaz et du pétrole, l’espoir est permis qu’avec une gestion méticuleuse de nos richesses, notre économie sera florissante.

 Le pétrole, le gaz et leurs dérivés constituent une niche inépuisable de création d’activités. On doit se préparer à ces échéances radieuses en investissant des moyens colossaux dans la formation de nos enfants. Tout devrait être fait pour que nous soyons capables de gérer toutes ces activités qui vont s’offrir à nous. Un comité d’experts des ministères du Pétrole, de l’Enseignement technique et professionnel, de l’Enseignement supérieur de la Présidence de la République, de l’Assemblée nationale, du Conseil économique, social et environnemental, devrait être créé.

Sa mission principale serait d’examiner tous les dossiers de l’ensemble du personnel des sociétés contractantes avec l’Etat. Tous les postes pouvant être occupés par des Sénégalais devraient être identifiés et les autres devraient faire l’objet de sénégalisation dans des délais raisonnables avec une formation adéquate. Au besoin, chaque étranger qui assurerait la bonne formation de son homologue sénégalais pourrait être bien récompensé. Avec la disponibilité de cette belle main d’œuvre sénégalaise, nous créerons les conditions pour booster nos industries locales et nos finances publiques (impôts, taxes directes et indirectes), gage d’une stabilité sociale. Enfin, parlons de la Casamance avec la COPETAO qui a trouvé une très bonne huile à son forage (SF4). S’agissant de l’exploitation de nos ressources pétrolières et gazières, la bonne entente avec nos voisins devrait être privilégiée sans perdre de vue que, pour avoir la paix, il faut préparer la guerre.

Les années 50 et 60 ont connu au Sénégal des activités intenses de recherche du pétrole ; les résultats ont été faibles mais ont permis de tirer des conclusions intéressantes. Le bassin sénégalais on-shore a renfermé du pétrole et du gaz mais l’activité intense du volcanisme n’a pas permis la préservation des gisements. Au Sud du pays, en Casamance, en dehors du pétrole lourd (environ 100 millions de tonnes) dans la zone de Diogué, la COPETAO (Compagnie des Pétroles de l’Afrique de l’Ouest), filiale des sociétés françaises Elf et Total, a rencontré dans on puits SF 4 une huile de bonne qualité sous environ un recouvrement d’eau de 120 mètres. Un puits de confirmation au Sud-Est n’a pas été mené à sa fin pour cause de rupture du train de tige. Les activités de la COPETAO ont cessé probablement pour des raisons financières de fin de programme et peut-être aussi des raisons politiques et de sécurité à cause du litige sur la frontière Sénégal/Guinée Bissau.







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