Récemment, trois mesures ont été brandies par des cadres du gouvernement pour montrer des exemples de « réformes majeures » dans la rationalisation des dépenses publiques. La première concerne les mesures prises par le gouvernement pour réduire sa facture téléphonique excessive ; la deuxième, concerne la mesure sur l’arrêt de l’achat de véhicules de fonction vu leur quantité exagérée et le nombre élevé de bénéficiaires qui violent les normes établies par la loi. La troisième concerne les logements des fonctionnaires pris en charge par l’Etat dont le loyer est exorbitant.
En réalité, même si ces mesures pourraient permettre d’assainir les dépenses publiques, elles ne rentrent pas forcement dans ce qu’on définit techniquement comme la rationalisation des dépenses publiques. Elles rentrent plutôt dans la notion de responsabilisation, de réduction de la gabegie, du gaspillage et de limitation du train de vie élevé de certaines administrations ou agences publiques. C’est une fois que la gabegie, le gaspillage et le train de vie élevé des administrations sont réglés définitivement ou réduits au minimum marginal dans un esprit d’une gestion plus responsable qu’on peut commencer à parler plus sérieusement de modèle de rationalisation des dépenses publiques pour une meilleure viabilité financière de l’Etat et de meilleurs arbitrages vers l’atteinte des objectifs de l’émergence que le gouvernement s’est fixés.
Pour écrire simple, c’est comme si, avec ces mesures, le gouvernement nettoyait d’abord la saleté et poussière dans les lieux de travail avant de s’asseoir et commencer à envisager quelles réformes dans le cadre de la rationalisation de dépenses publiques sont les plus adéquates pour réaliser l’émergence. A ce moment, seulement, il commencera par exemple à voir quelles dépenses d’éducation il faut augmenter ou baisser du fait du rôle de ce secteur dans l’économie nationale, s’il faut réduire ou augmenter certains types de dépenses sociales, renforcer le recrutement de médecins pour une meilleure prévention dans le secteur santé, ou réduire la masse salariale dans certains secteurs de l’administration qui sont improductifs, etc. Les réformes du domaine pur de la rationalisation conduiraient donc ainsi à des modèles optimaux d’utilisation des ressources et de dépenses publiques qui assureraient plus de viabilité, de performance et de capacité du gouvernement à atteindre les objectifs de l’émergence. Ce qui ne semblerait pas être forcement l’objet des mesures mises en avant.
Ainsi, avec les mesures sur la facture téléphonique, les logements et les véhicules de fonction, le gouvernement vient juste de poser les premières pierres dans un processus qui le mènerait vers des réformes de rationalisation des dépenses publiques plus efficaces. Cependant, notre propos aujourd’hui n’est pas d’approfondir ce débat sémantique autour de la rationalisation des dépenses publiques. Nous laissons ce débat aux « experts » qui ne manquent pas dans notre pays. Notre propos est plutôt, de voir si les mesures prises ou préconisées pour réduire le gaspillage et la gabegie dans la facture téléphonique du gouvernement, les logements et véhicules de fonction, produiraient les effets escomptés si elles sont exécutées telles que conçues. Tout porte à croire que non, et qu’elles vont plutôt produire des effets pervers très néfastes pour la bonne gouvernance des ressources publiques.
Pour réduire la facture téléphonique, il serait préconisé, d’après les cadres du gouvernement, l’adoption d’une démarche qui consiste à donner des forfaits mensuels aux fonctionnaires qui vont varier selon leur grade. Ces forfaits viendraient s’ajouter au bulletin de salaire des fonctionnaires. Solution ne pouvait être plus risquée et hors de portée des contrôleurs des dépenses publiques. Comment le gouvernement pourra retracer et confirmer qu’effectivement les forfaits n’ont été utilisés que pour faire des appels qui rentrent dans le travail des fonctionnaires et que toute utilisation personnelle devra être remboursée ? Là où il y avait la formule de pouvoir gérer et agir sur les lignes utilisées, maintenant le contrôle des appels est impossible. On s’est demandé la question de savoir si par-là, le gouvernement ne chercherait pas à gonfler le bulletin de salaire des fonctionnaires et contourner ainsi ses engagements avec les syndicats et sa ferme position le 1er mai 2019 de maintien des salaires dans la fonction publique.
Cette mesure aura certainement deux effets pervers. Premièrement, les fonctionnaires peuvent l’interpréter comme une augmentation indirecte des salaires et utiliser les forfaits à d’autres fins. Tout bon simple Manager sait qu’on ne donne jamais les coûts de communication aux employés sous forme de forfait sur le salaire. Deuxièmement, la performance de l’administration pourrait en souffrir si la communication téléphonique normale était un input important aux objectifs fixés. Donc, en essayant de réduire le gaspillage, le gouvernement a ouvert des portes qui mèneront sûrement à la confusion générale et potentiellement à une baisse de performance publique comme résultat.
Une meilleure option serait de mettre en place des garde-fous, des mesures administratives (y compris couper les salaires pour ceux qui utilisent le téléphone à des fins personnelles), des filtres et autres procédés que la technologie et l’éthique permettraient afin d’amener les fonctionnaires à utiliser les outils de communication publique avec plus de professionnalisme et de responsabilité. Et non de dire : « Bon, les gars écoutez. Comme vous ne pouvez pas utiliser le téléphone de l’Etat avec professionnalisme et responsabilité, je vais couper le téléphone et je vais vous donner de l’argent pour faire autre chose ! » Quelle mauvaise approche de gouvernance.
Tout le monde a entendu un haut fonctionnaire du Ministère des finances dire dans une émission sur un plateau de télé (Jakarloo, 21 février 2020) avec fierté : « Le gouvernement va donner à certains fonctionnaires qu’il devait loger 300000 Fcfa pour leur logement. Ils pourront utiliser 200000 Fcfa pour louer un logement et épargner les 100000 Fcfa pour construire leur propre maison. ». Mais, dans quelle gouvernance sommes-nous ? Pourquoi le gouvernement ne louerait pas le logement à 200000 Fcfa directement et sauver ainsi 100000 Fcfa ? Cette mesure peut aussi avoir plusieurs effets pervers. Les fonctionnaires pourraient être amener à maximiser leur marge d’épargne et aller louer des logements dans des endroits qui ne leur permettront pas de venir au bureau à temps et en bonne forme, ainsi voir leur performance réduite au minimum. Deuxièmement, il pourrait y avoir détournement d’objectifs. Comment l’Etat peut garantir que le budget qui était alloué aux logements des fonctionnaires n’est pas utilisé à d’autre fins ?
Le comble c’est quand on entend dire que l’Etat va donner de l’argent aux bénéficiaires de voitures de fonction pour qu’ils achètent leur propre voiture et signer une convention avec l’Etat qui leur permettra de devenir propriétaire de la voiture au bout de quelques années. Quel dispositif sera mis en place pour mettre cette mesure en œuvre de manière efficiente ? Si c’est le fonctionnaire qui va s’occuper de l’entretien, de la gestion de la voiture, qui paiera pour le temps et les ressources qu’il va utiliser pour cela ? Voilà une porte ouverte à des pratiques incontrôlées dans le secteur de l’automobile vis-à-vis de l’administration publique.
En résumé, nous comprenons parfaitement l’objectif du gouvernement de réduire le gaspillage et la gabegie sur les ressources publiques. Cependant, les mesures prises ne nous paraissent pas pertinentes et efficaces pour atteindre les objectifs fixés. Cela dénote d’un problème beaucoup plus général dans la gouvernance et la gestion publique dans nos pays. On entend souvent dire que les recommandations d’audits, d’études ou de contrôles ne sont pas mises en œuvre et dorment dans les tiroirs. Il est clair que ce n’est pas souvent parce que les gouvernements ne veulent pas les mettre en œuvre, mais c’est que pour la plupart, ces recommandations sont vraiment farfelues.
On peut être un grand expert de l’audit ou l’évaluation, auditer l’utilisation du téléphone dans l’administration, parvenir à des conclusions pertinentes. Néanmoins, si au moment de faire des recommandations, on ne consulte pas des experts de la communication et des finances publiques, les parties prenantes concernées, on pourrait arriver à des recommandations vraiment hors-sujet et à fort potentiel d’effets pervers. Comme dans le cas de l’auditeur expert économiste qui avait audité la mortalité dans un hôpital et avait recommandé à la fin de faire à partir de cet instant les piqûres qu’à la tête des patients.
Pour parvenir à des réformes efficaces, applicables et efficientes, il est impératif de séparer ou de distinguer les notions de connaissances et de prise de décisions. Les audits et autres études peuvent mener à des conclusions qui sont des connaissances pertinentes qui nous ouvrent de nouveaux horizons pour des réformes efficaces. Mais les recommandations qui nous mènent vers les décisions opérationnelles efficaces devront être une autre étape du processus où les parties prenantes principales, les experts, les bénéficiaires et les preneurs de décisions devront échanger sur les conclusions et s’accorder sur ce qu’il faut faire pour changer ou réformer qui ait plus de sens, qui soit faisable, meilleur que ce qui était là, efficient et qui ne va pas créer trop de résistances sources de troubles.
C’est cette concertation stratégique qui manque toujours dans nos processus de réformes principalement lors des audits, diagnostics et évaluations pour des changements efficaces dans les politiques publiques qui mènent sur des chemins de l’émergence sans difficultés majeures. Cette défaillance mène souvent à des rapports avec des centaines de recommandations jamais exécutées, ou à la réalisation de recommandations farfelues dans la précipitation. Et c’est cela qui nous fait tourner autour des mêmes problèmes comme c’est le cas dans ces mesures prises sur le téléphone, les logements et les voitures de fonction.
Dr. Abdourahmane Ba
L’article Rationalisation ou fausse lutte contre la gabegie (Dr. Abdourahmane Ba) .