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Aminata L. Mbengue, Le Sexe Libre Comme L’ère

Aminata L. Mbengue, Le Sexe Libre Comme L’ère

Symbole de l’arrivée d’une nouvelle vague de féministes sur la scène nationale, Aminata Mbengue, 33 ans, psychologue clinicienne de formation, est sur tous les fronts. Le handicap, la détresse des migrants, les talibés, les droits des femmes, la liberté sexuelle. Rafraichissante et avenante, elle souffle un vent de légèreté dans le combat féministe, en assumant son tropisme de l’épanouissement et du plaisir. Portrait.

Son combat a pour terrain un vaste espace indéfini. En pointillé, en la suivant, s’esquisse une carte des rues du Sénégal, pas n’importe lesquelles : celles, réceptacles de la détresse et de toutes les expressions de la misère dans le pays. Sur ces sentiers-repères, à Dakar comme en province, pour celle qui les sillonne, tantôt en actrice tantôt en promeneuse, ce qui surprend et marque, c’est « l’invibilisitation », et à termes, le « déni ». Un poil de fatalisme dans l’air. Le flot quotidien passe et repasse, arpente la rue, sans rien voir de la détresse qui y a élu domicile, souvent de façon déchirante. Pour Aminata Mbengue, c’est une scène parmi mille, qui la hante et la travaille. Elle qui a vu les trottoirs de Dakar, les bouts de villes conquis par les mendiants, les dortoirs de fortune, tant de plaies au cœur de la ville, c’est au pont de Hann, dans la capitale, qu’un jour, son chemin se fige : une mère accompagne sa fille handicapée motrice, dans un fauteuil roulant. La petite est accablée par sa mère, frappée. A l’incompréhension succède un mélange de colère et de retenue. La scène est la fois un cauchemar et un questionnement, tant il ne semble n’y avoir de bourreau évident et de victime entre mère et fille, mais seulement des données de l’amour familial chahutées par la question du dénuement. Se pose presque une question philosophique pour elle devant cette violence : celle du handicap, son traitement, son acceptation dans la société et les mesures prises pour inclure les sujets fragiles. C’est ultimement, la question du soin, du devoir de solidarité, envers les personnes vivant avec un handicap, qui se révèle être au cœur du destin de la jeune femme, dont les combats émergent pluriels et urgents.

Le handicap, un impensé national

Côtoyer quotidiennement ces rudesses prépare-t-il la jeune femme de 33 ans à supporter mieux l’éprouvant spectacle qu’elle doit endurer ? Aminata Mbengue a maintenant de l’expérience et une énergie à affoler la catastrophe pour reprendre Hugo. Psychologue clinicienne de formation, elle a déjà eu le temps de se confronter à la détresse et aux situations délicates. D’abord à Paris, où dans les Hauts-de-Seine, à Suresnes, elle a appris à s’occuper dans son premier travail, des enfants autistes pendant deux ans. Leur inclusion, leur insertion, dans un environnement scolaire qui n’offre pas encore des conditions idoines, a été l’une de ses premières missions. De quoi se tanner le cuir, apprendre la patience au front. En s’installant au Sénégal en 2014, la réalité la rattrape. La question du Handicap est une question « taboue », reléguée, à tel point, qu’il semble ne point exister. Si elle liste des établissements comme l’hôpital Fann ou Diamniadio qui offre un espace, rien en revanche pour offrir une « vie sociale aux personnes vivant avec un handicap », note-t-elle. Les écoles publiques ne sont pas équipées. Seules les rares familles aisées, peuvent se permettre des dépenses pour trouver l’idéal pour leur enfant. Elle qui était spécialiste du « handicap physique », découvre l’autre champ aussi du « handicap mental ». Les problèmes sont les mêmes : rien dans l’arsenal et l’offre de l’Etat, n’inclut suffisamment les malades, marginalisés, qui finissent par être adoptés par la seule rue, et les pratiques occultes, qui s’affirment comme seules thérapies à leur portée. Des cas psychiatriques qui font de la santé mentale, le grand absent des débats, où la démission semble collective entre les familles, les responsables, laissant au front, les seules associations, comme l’Association sénégalaise pour le suivi et l’assistance aux malades mentaux (Assamm).

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Une vocation naturelle

De fil en aiguille, se tisse chez la jeune femme, comme vocation tardive, ce grand élan d’empathie, bâti sur des piliers de solidarité dans la famille, pour elle qui a perdu son père à 13 ans et son frère plus tard. Lors d’une première expérience au Cegid (centre de guidance infantile et familiale) à Dakar, la question de la détresse des femmes, devient aussi la sienne comme par évidence. Avec des équipes de gendarmes, de sagefemme, elle s’occupe de fournir conseils aux demandeuses. Chez elle, rien ne semble écrit d’avance. Tout se fait naturellement, au gré des rencontres et des opportunités. Née à Pikine, en banlieue de Dakar, elle se dit « pikinoise historique parmi les premiers habitants ». Elle grandit dans une famille polygame. Son père, professeur d’arabe, féru de culture, est un grand lecteur. La bibliothèque de la maison est fournie. Un premier rêve l’anime, celui de devenir enseignant, poursuivre la lignée. Après son Bac au lycée Limamoulaye, elle fait une pige en socio, à l’UCAD avant de poser ses bagages à Poitiers, en France, pour suivre des études de Psychologie. Le choix en désarçonne plus d’un, tant les études de psycho n’ont pas la côte, souvent perçues comme synonyme de la paresse et de feignantise. Pourquoi de la psycho ? Elle ne sait « vraiment pas pourquoi ». Peut-être pour répondre à des questionnements personnels demeurés irrésolus ? Rien n’arrive par hasard, pourrait-on avancer, en faisant de la psychologie de bazar. L’inconscient trace-t-il le fil rouge discret de sa trajectoire ? On ne se risquera toujours pas à trancher. Toujours est-il que la jeune femme décroche son diplôme et la voilà, psychologue clinicienne. Aujourd’hui, elle collabore avec une grande agence internationale pour aider les migrants et dégage du temps personnel pour militer sur le plan associatif, pour défendre le droit des personnes vivant avec un handicap et de plus en plus, celui des femmes. Les deux questions communiquent.  Si rien ne la prédestinait à développer une fibre de féministe, voilà, qu’elle l’est devenue pleinement, sans l’air d’y toucher, sans forcer son destin, jusqu’à incarner l’image de la nouvelle génération féministe, prise entre les feux de la question des conflits générationnel et culturel.

Les rencontres décisives

Quand on creuse, c’est par la lecture que sa vocation s’est affinée. Virginie Despentes a des allures de mentor pour elle. L’icône trash, autrice des célèbres Baise-moi, ou encore King Kong théorie, laisse un souvenir formidable à la jeune femme. Elle découvre (ou confirme) dans la liberté de ton et le féminisme cru de l’écrivaine française, des échos à des tendances internes. Il y a aussi Leila Slimani, la romancière franco-marocaine, dans les modèles. La misère sexuelle que l’auteur dépeint au sujet du Maroc, fait écho à ce qu’elle découvre elle-même au Sénégal. Le sexe entravé, libère peu les esprits, encore moins les corps. La fibre gagne en épaisseur, à côté du handicap, la nouvelle cause se dessine plus nettement. Au niveau national, elle découvre les travaux de Fatou Kiné Camara, juriste et grand nom du féminisme sénégalais, c’est alors le grand « coup de foudre » pour cette enseignante-chercheure. Elle est « subjuguée » par ses séminaires et interventions. Et par cette entremise, elle découvre une riche et ancienne histoire féministe dans le pays, dont la professeure Fatou Sow, est l’une des autres égéries les plus connues. Il n’y a guère plus de doutes, elle a trouvé un chemin. En réalité, longtemps matriarcal, le pays n’a cessé d’avoir une histoire de lutte pour l’émancipation dont les vestiges peuplent les manuels d’histoires. Si les travaux sociologiques ont du mal à infuser dans la société, c’est à cause de leur nature trop technique, emprisonnés dans les sphères d’initiés. Mais la littérature nationale a consacré des destins épiques, et on ne compte plus le nombre d’ouvrages, fiction ou essai, qui traitent de la question. Même à l’échelle des femmes au foyer, sans ressources intellectuelles, la lutte oscillait entre intégration des codes de domination et révolte. C’est justement sur ce front, que le sujet se complexifie : l’ennemi des féministes, c’est bien souvent, en plus des hommes, des femmes. Conditionnées par un discours qui les soumet et les relègue tout en les sacralisant de façade, elles finissent pour certaines, par s’approprier cette infériorisation, comme une part de leur condition.

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Aminata Mbengue n’est pas dupe de la manœuvre car il semble se produire actuellement, un regain dans le combat féministe dont les échos, avec le combat anti-raciste, étendent un champ vaste dit intersectionnel. Les épisodes, « meeto », « balancetonporc », « balancetonsaïsaï », ont réveillé de leur torpeur d’anciennes colères qui remontent désormais en surface. La féministe cite dans le mouvement, l’impact considérable de la série Maîtresse d’un homme marié, dont le succès international, a permis de redécouvrir, la question de la liberté et de la libération des femmes. Aminata tresse des lauriers à Khadija Sy, la scénariste de la série. En revisitant les canaux de diffusion du message féministe, ce que la série réussit, mille ouvrages sociologiques ne sauraient y parvenir : le message est direct, l’identification immédiate, et les codes modernes du feuilleton, donnent une esthétique et un suspense qui démocratisent l’audience. Le pari est gagné, la série fait un carton et montre l’arrière-cuisine de ces réalités qui réinstituent les femmes, au cœur d’une société où elles sont exclues du pouvoir. A côté de Khadija Sy, Aminata Mbengue cite des alliées générationnelles comme Fatou Kiné Diop, cadre chez Amnesty International, Ndèye Fatou Kane, écrivaine féministe et doctorante à L’EHESS, Régina Sambou journaliste culturelle…. Tout un beau monde à l’assaut des bastions du privilège masculin, au risque de se faire traiter de tous les noms dans une société pas prête à faire sa mue.

Une nouvelle vague ?

La psychologue rappelle pour se défendre de toute radicalité, que l’ennemi, c’est le « privilège », pas le mâle. Elle cite Fatou Sow : « le pays est désespéramment masculin. ». Pour elle, tout ce qui est vu comme « une menace de cet équilibre », est « étiqueté » en vue de le disqualifier. Elle est étiquetée nouvelle « dëm » (sorcière). Par ce processus de « bannissement des féministes », on cherche selon elle, à les « faire taire ». Attaquer l’ordre social, c’est s’exposer. Elle en fait les frais et dégaine, pro-domo, la grille affolante des inégalités de salaires dans le pays. Une étude de l’agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), en 2018, indique qu’à poste égal, les femmes gagnent 600 000 francs CFA lors que les hommes en gagnent 900 000. Un tiers de différence qui montre encore la longueur du chemin. On pourrait à loisir citer la question des viols, de la violence conjugale, du harcèlement, des mutilations génitales, parmi les sujets historiques d’un féminisme qui doit affronter les pesanteurs traditionnelles et religieuses… Son féminisme n’est ni hargneux, ni vengeur. Constructif, il lui a valu un texte de France info, qui met en lumière son combat pour la criminalisation viol, qui a débouché sur une loi nouvelle sur le plan national. Elle s’appuie sur des données factuelles, sans verser dans l’aigreur que l’on prête bien souvent aux féministes. D’ailleurs, elle en veut pour preuve, avoir grandi dans une famille polygame, d’y avoir connu « le bonheur en tant que privilégiée ». Aujourd’hui, elle milite pour la liberté de chacune de choisir ; à ce titre, elle ne condamne pas la polygamie, même si elle ne l’encourage pas.

Le tropisme du plaisir sexuel : ode au clitoris

Là où elle se distingue de toutes les autres, c’est par une fraicheur de ton, et une effronterie quand elle aborde le sujet sexuel. Si les féministes ont toujours lutté au Sénégal, peu d’entre elles, ont abordé la question de la liberté sexuelle, avec autant d’allégresse, de gourmandise, au risque de choquer ou d’intimider les hommes. Avec elle, c’est le retour du clitoris au cœur de la pièce. Longtemps organe maudit, associée à la mutilation, elle lui redonne sa splendeur. A Aminata Mbengue, lectrice assidue de Maïa Mazaurette, la papesse sexe du « Monde », on n’a jamais dit que « le clitoris était dédié au plaisir, et que c’était sa fonction unique ». Cette redécouverte est un miracle chez la jeune hédoniste qui se fait promotrice du « cunnilingus » sur les réseaux dans un mélange de jeu et de conviction. Même des proches sont désorientées par son audace et sa liberté. C’est la valse des reproches dans ses messages mais aussi des soutiens. La jeune femme assume. « Le sexe n’a jamais été tabou au Sénégal pour elle ; le plaisir féminin oui », tranche-t-elle nettement. De ce qu’elle lit, voit, observe, c’est une grande blessure, que cette misère sexuelle dont elle mesure les ravages. Partout le sexe est diffusé mais uniquement pour le bénéfice des mâles. « Les femmes rivalisent d’astuces pour combler leurs maris ou amants, sans la réciproque. »  En atteste, cette remarquable anthropologie des atours féminins, discutés lors des assemblées de femmes, explorée par Ismaël Moya. Un plaisir égoïste qui laisse, frustrées, nombres de femmes qui se le confient, sans oser ébruiter le manque sur la place publique. Aminata Mbengue, à dose homéopathiques, vole à leur rescousse.

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Le sujet est épineux et casse-gueule. Elle est doublement étiquetée par des détracteurs mais elle ne veut perdre le sens de son combat féministe : « en fait, précise-t-elle, je veux pouvoir parler de sexualité pour reprendre ma place du sujet, pour inciter à la connaissance de son corps, de son désir ». Le dessein est noble, mais prête le flanc au détournement facile. « Les féministes ont déserté le sujet à la longue de peur d’être caricaturées », remarque-t-elle.  Elle, ne se démonte pas et se laisse à peine déstabiliser. Elle souhaite regagner le droit d’être « autorisée » à parler du clitoris, en légitime protagoniste. Plus généralement, les femmes libres ont de tout temps fait peur. Elles terrorisent davantage les hommes pas sûrs de leur virilité, pour reprendre Simone de Beauvoir. Elle œuvre donc elle pour une éducation sexuelle précoce. Si le pays a produit de nombreuses figures féministes, il y a eu souvent une forme d’injonction au respect, à la prudence, à la pudeur, qui a souvent bridé les énergies. Dans Mes hommes à moi, entre autres, Ken Bugul, a donné à voir cette liberté sexuelle souvent taxée de nymphomanie, car bien souvent la libido des femmes est niée et pathologisée quand elle défie celle des hommes. La jeune fille sait donc à quoi s’attendre, la pente est savonneuse. Pour la passionnée de « marche », hédoniste qui croque à pleine dent dans la vie, cette initiation au plaisir, pourrait être une carte maitresse dans l’élévation du niveau de bonheur national. La critique, on la voit d’ici débouler, et l’accuser, de contrarier le calendrier, entre autres passions puritaines, de l’association, Jamra, gardienne des mœurs nationales. Son insouciance la protège, sa sincérité l’immunise. Elle s’est installée, en peu de temps, comme une figure de la nouvelle ère, qui a sa page à écrire, avec tous les défis inhérents à la cause. Un genre et un sexe, libres comme une vague naissante, qui appellent à la révolution sans jeter les flammes hostiles de la guerre des genres car là n’est ni le sujet, ni l’enjeu. Au bout du compte, de ce profil humaniste total, ce qu’on lui souhaite c’est de l’énergie. De la ténacité aussi à cette belle jeune femme, avec ses rastas, son regard presque moqueur, et sa voix claire. Une femme qui vous veut du bien, car le féminisme est bien souvent comme l’amour, il faut être deux, Hommes et femmes, pour en écrire les victoires. Regarder dans la même direction malgré toutes les grivoiseries et sarcasmes.

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