Ont-ils seulement conscience du rôle déterminant qui peut être le leur dans la mise en orbite économique de leur pays ?
Alexis Guilleux : Vous l’avez entendu sur RFI : l’homme d’affaires mauritanien Mohamed Ould Bouamatou a regagné, cette semaine, son pays, après dix ans d’un exil auquel l’avait contraint l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz. Les deux hommes étaient amis, très proches. Le premier aurait même mis sa fortune au service du second, notamment pour l’aider à se faire élire démocratiquement, après avoir été porté au pouvoir par un coup d’État. Ould Bouamatou ne doit son retour au pays qu’à la faveur de l’élection, en juillet 2019, du président Ould El-Ghazaouani à la magistrature suprême. Ce dernier est, aujourd’hui, brouillé avec son prédécesseur, Mohamed Ould Abel Aziz. Mais, pourquoi donc ce scénario paraît-il si classique, sur le continent ?
Parce qu’il l’est. Et que, dans bien trop de pays africains, les chefs d’État ont une fâcheuse tendance à instrumentaliser la justice, afin de se débarrasser de leurs adversaires, surtout lorsque ceux-ci sont d’anciens amis. Mais, étant donné que tout le continent prétend vivre en démocratie, plus aucun pouvoir n’ose contraindre ouvertement ses adversaires à l’exil. Il faut donc leur trouver, au préalable, un crime abominable à expier, de préférence en justice. Alors, on poursuit, on condamne, pour pouvoir s’abriter derrière le fait qu’ils ont fui la justice. C’est moins laid à entendre que de dire qu’on les a persécutés, ce qui était réellement le cas de ce capitaine d’industrie, Mohamed Ould Bouamatou, qui était aussi, surtout, au service des plus humbles de ses concitoyens.
Le plus déconcertant est qu’il y a toujours des juges pour déshonorer leur robe, en donnant, à la demande du prince, des apparences de faits judiciaires à des règlements de comptes politiques, personnels.
Tout cela est réparé, à présent. Ne faut-il pas, juste, s’en réjouir ?
On aimerait tant ! Mais quel crédit donner à une justice qui juge et se déjuge, selon la volonté d’un pouvoir politique ? C’est cette même justice qui, à un autre niveau, valide les élections truquées. C’est elle qui emprisonne ! Elle qui spolie ! C’est elle qui, par sa couardise, viole l’état de droit ! Comment lui faire confiance, même lorsque, de temps à autre, elle rétablit les citoyens dans leurs droits ?
Peut-être la confiance tient-elle tout simplement à l’environnement politique…
Vous ne croyez pas si bien dire ! Dans une vraie démocratie, il n’y a qu’un environnement politique sain, pour générer la confiance dans les institutions.
L’on ne peut pas espérer une administration juste et efficace, dans un environnement politique qui découle de la fraude. On ne peut pas espérer une justice crédible, lorsque le pouvoir politique ne tire pas son essence d’un processus juste et crédible. On ne peut pas compter sur une police juste et efficace, dans un pays où le pouvoir politique baigne dans l’arbitraire et le chaos. Mais un corps judiciaire courageux et crédible peut sauver un peuple de toutes les couardises.
Et, quel que soit le pays, si vous observez bien, la corruption généralisée dans l’administration, la police qui rackette les usagers de la route, l’armée qui se mêle de politique et brutalise les populations, tout cela a toujours un lien avec la nature du pouvoir politique, toujours un lien avec le courage ou la lâcheté de la magistrature.
Voilà pourquoi, toujours et partout, on adjoint le terme démocratie à celui de développement. Voilà pourquoi au Botswana, au Cap Vert, au Ghana et dans les quelques rares autres pays qui semblent aller bien sur le continent du point de vue économique, l’état de droit est une constance, et la démocratie n’est jamais loin.
Certains pourraient vous rétorquer : Et le Rwanda ?
Oui ! Et le Rwanda, alors ? Le Rwanda, sans vouloir se faire l’avocat du diable (ou de qui que ce soit), est dans un processus. Le pouvoir autoritaire du Rwanda est né d’un génocide et sert, au moins dans l’immédiat, à assainir les bases économiques du pays. Il y a, certes, quelques injustices politiques, mais il y a, surtout, une rigueur à laquelle personne n’échappe, de la discipline à laquelle tous doivent se plier. La comparaison que nous osons toujours est celle qui se rapporte au Ghana de Jerry Rwalings, qui n’était pas, il faut l’avouer, une démocratie. Mais, dès lors que l’économie a été sur des rails irréversibles, la démocratie n’a plus jamais été une option. Et Rawlings a démocratisé ! En toute indépendance ! Sans que qui que ce soit le lui ait imposé. C’est ce qu’il faut souhaiter au Rwanda !