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Un Temps Pour EspÉrer

Un Temps Pour EspÉrer

Samedi 28 mars 2020. Il sera 20 heures, dans moins de 45 minutes. Je marche tranquillement pour rentrer. Je suis à cinq minutes de chez moi. Les nombreux appels à la prière qui tonnaient en cascades, vibrants et entremêlés, à cette heure de la journée, ne parviennent pas à mes oreilles. Un seul muezzin donne de la voix. Par ondes compressées. Son cri est faible. Les paroles arrivent dans mes oreilles par petites vibrations, presque imperceptibles. Comme des vagues à la dérive, qui montent et descendent et finissent par perdre leur énergie dans le creux des oscillations.

Un vent frais se propage. Il emplit mes narines d’un air pur. Le temps est agréable. Le soleil continue lentement de décliner derrière les murs des immeubles. Une douceur triste se diffuse dans ce crépuscule d’habitude poussiéreux et crépitant. L’instant est chargé de moiteur. Il s’insinue dans l’atmosphère un spleen fugitif. Tel un bourdon perdu, enivré de nectar, seul dans sa solitude, qui volette dans tous les sens en ruminant une nostalgie tiède. Des ombres éparses défilent çà et là. Par mouvements aléatoires.

Quelques personnes hâtent le pas. Je me dis qu’elles doivent rentrer loin. Deux hommes marchent côte à côte. Celui qui vient à ma gauche porte sur son épaule deux instruments de travail enroulés dans un sac de ciment. Je distingue une pelle. L’autre tient fermement, avec ses deux mains, les bretelles de son sac à dos. Leurs pieds lourds sont presque synchronisés. Ils ne se disent rien. Dix mètres plus loin, devant une maison défraîchie, la vendeuse de couscous de mil est absorbée par son activité. Un groupe s’agglutine autour de sa table. Elle a mis des gants et un masque. Elle tient dans sa main un sachet en plastique transparent. Elle y introduit la semoule, à l’aide d’une louche à manche courte.

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Des garçons déambulent sans effort. Ils empoignent tous des baguettes de pain. Ils s’arrêtent devant un tas de sable, déposé au pied d’une maison en construction. Une voiture déboule dans la rue. Elle soulève un peu de poussière. Son conducteur klaxonne, plusieurs fois, et roule à vive allure. Là encore, je me dis qu’il doit rentrer loin, pour m’expliquer la raison de son empressement. Une boutique est ouverte, quelques mètres plus haut, à ma droite. Mais il n’y a personne à l’intérieur. Le boutiquier se tient debout à l’extérieur de son office, le pied gauche soulevé derrière, en appui contre le mur. Il balaye du regard le lointain horizon de la rue. Les deux boulangeries du quartier sont encore ouvertes. Elles sont assiégées. Une dizaine de personnes y font la queue. Bientôt, il sera vingt heures. Il faudra cesser toutes activités.

Dans notre pays, où le coronavirus semblait être une menace lointaine, extérieure, le discours et les habitudes changent. Les gens prennent conscience d’un danger, qui tel un ouragan, pourrait être dévastateur. Derrière cette inquiétude, il y a la promesse, à notre portée, d’un bel avenir. Si la majorité des Sénégalais respectent le couvre-feu et s’obligent à rester le soir chez eux, c’est un peu par contrainte. Mais c’est aussi par adhésion. Ils acceptent de faire nation. Ils sont d’accord pour mettre leurs libertés en berne. Pour être solidaires et participer à l’effort afin de vaincre la calamité qui fait trembler la planète. Il y a actuellement, au Sénégal, un esprit de corps qui se forme, qui n’a pas encore de direction ni de perspectives. Il doit être prolongé après la crise en une unité d’action et de pensée.

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La majorité de nos concitoyens sont depuis longtemps enserrés dans le déclassement, la précarité, l’appauvrissement. Ils sont les oubliés d’un système sans boussole, qui les tient dans un univers de vulnérabilité. Marqué par les agressions à la culture, la déshérence de la justice, le massacre des services publics, les parjures moraux de l’autorité, la destruction des espaces de respiration. La faillite de l’espoir. Beaucoup de liens ont été coupés. Ou n’ont pu être établis dans une relation de collaboration. Nous vivons, depuis toujours, éparpillés en petites unités élémentaires. De croyances, de hiérarchies et castes sociales. Il n’est pas encore advenu, au Sénégal, un contrat social qui relie entièrement les citoyens. Les uns aux autres. La crise, vient un peu nous le rappeler. Nous avons l’opportunité, aujourd’hui, de remettre à l’endroit notre vie en communauté.

De cette anxiété, de ce temps mort, de ce grand bouleversement de l’Histoire, peut-on ouvrir une nouvelle voie ? Je le pense. Le moment est propice à la délibération. Il nous revient de trouver les logiques combinatoires et additives, qui nous permettront de vivre dans une vraie nation. En peuple. C’est-à-dire, dans un pays nouveau. Défriché des obstacles à l’émancipation de l’homme. Pour que ce dernier ne soit plus un spectateur passif, parfois fanatique, d’un système déréglé. Dans un monde qui ne lui appartient pas totalement. Puisque le chamboulement est inévitable, nous pouvons dès à présent regarder en face, sans faux-semblants, sans échappatoire, les tares et les points de ressorts. Qui doivent guider des lendemains meilleurs.

Il s’agit d’entreprendre, et de trouver des alternatives qui permettront de renouer les liens. De densifier la coopération communautaire, en qualité. De construire un vrai contrat social. Le mouvement collectif ne doit pas reprendre, après la crise, tel quel. Qu’est-ce qu’il faut pour rendre l’Etat et la justice au service des citoyens ? Quelles structures permettront de soutenir l’empathie et le progrès de l’esprit ? Comment développer une économie solidaire et protectrice ? Quels nouveaux rapports fraternels développer avec les autres et inaugurer avec le monde ? Comment mener la conversion écologique ? Quelles méthodes concevoir pour construire une démocratie directe et horizontale ? Comment mieux partager les biens collectifs ? Voici les questions qu’il nous faut poser. D’abord pour ne pas ajouter à l’anxiété. Ensuite pour entrevoir des indices qui mèneront vers un processus de régénération sociale.

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