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L’annulation De La Dette Publique Africaine Dans Le Contexte De La Crise Sanitaire Mondiale (ahmadou Lamine Touré)

L’annulation De La Dette Publique Africaine Dans Le Contexte De La Crise Sanitaire Mondiale (ahmadou Lamine Touré)

La pandémie à Coronavirus mène l’économie mondiale dans une récession sans précédent, alors qu’elle sort à peine du cauchemar des subprimes. Partout, les gouvernements organisent la résilience face aux effets de la crise sanitaire. Le spectre de l’insoutenabilité de la dette publique, des déficits budgétaires et de la paupérisation guette nombre d’Etats, dont la majorité est africaine. Un chaos annoncé qui mobilise le Sénégal dans un élan diplomatique précurseur, soulevant l’impérieuse nécessité de l’annulation massive de la dette publique africaine. Même son de cloche à Rome où, à la suite du Président Sall, le Pape François, dans son message de Pâques, a appelé à cet esprit de solidarité internationale. En France, le Président Macron s’est aussi favorablement exprimé sur la question. Au

niveau multilatéral, la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) ont évoqué un moratoire du service de la dette des pays pauvres. Mais le dossier africain de demande d’effacement significatif de la dette mérite un examen plus attentif de la communauté internationale et des bailleurs internationaux, si bien qu’il recouvre quelque chose de l’ordre du devoir moral (1) et de l’intelligence stratégique (2).

1 – Un devoir moral

Alors qu’un vent d’embellie souffle sur les économies africaines, avec par endroit des tendances résolues vers l’émergence, le contrecoup de la crise sanitaire s’annonce particulièrement désastreux pour le continent. En témoignent l’érosion annoncée de son PIB et la chute prévue de sa croissance économique de 3,2 à 1,8%, pour l’année 2020. Ce scénario suscite moult inquiétudes, particulièrement en termes de trésorerie. Dans ce contexte de besoins incompressibles d’importantes liquidités pour, à la fois, renforcer leurs systèmes sanitaires dans la lutte contre la pandémie, organiser la résilience sociale et repousser la crise alimentaire qui se profile, les pays africains se retrouvent forcément à court d’argent devant le lourd service de la dette. Parce qu’avec le couperet de l’explosion

sociale, l’allocation des ressources rares en ces temps de déchets continentale doit se faire sans sourciller en direction prioritaire des populations. En plus, la période post-Coronavirus sera marquée par une reprise économique si difficile et fragile en Afrique, qu’il importe d’engager dès maintenant la réflexion autour de l’aplanissement des écueils, parmi lesquels le service de la dette. En effet, la solvabilité de l’Afrique a durablement pris un coup. Cela se perçoit avec les pertes considérables de richesses et le creusement des déficits budgétaires en perspective. La baisse de la croissance est prévue à des niveaux inédits depuis plus deux décennies dans certains pays africains. Et puis, que

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penser du régime de cas de force majeure dans lequel s’insère parfaitement l’insolvabilité africaine ? Toutes les conditions requises d’un tel régime (extériorité, imprévisibilité, irrésistibilité) sont réunies dans le contexte africain de la pandémie. Qu’est-il prévu à cet égard ? Quel arbitrage opérer entre le service de la dette et la survie économique, alors même que la leçon principale que nous administre cette crise sanitaire est celle de la centralité de l’humain et de l’humanité ? Clairement, la requête africaine de l’annulation massive de la dette publique doit retenir toute l’attention de la communauté internationale. C’est une invite au prolongement lucide et logique de l’esprit d’unité internationale dans cette guerre commune contre un ennemi commun. C’est aussi la condition du redressement collectif bénéfique à tous, après une victoire forcément collective contre cette pandémie. L’endettement supplémentaire pour se tirer d’affaire n’est pas l’idée du siècle. Il est dérisoirement porteur de croissance. Il alourdit à moyen et à long terme le service de la dette et accentue sa longévité. Or, l’Afrique vibre déjà d’indignations à cause du sentiment d’injustice, à tort ou à raison, vis-à-vis du poids de la dette publique et de son remboursement qui n’en finirait jamais. Les promesses d’aides financières internationales pas toujours suivis d’effet ne peuvent pas non plus être tenues pour solution prioritaire et crédible à la récession économique de l’Afrique. Le moratoire de la dette des pays africains qui semble pour l’instant emporter une adhésion massive des bailleurs est un pas insuffisamment utile. L’accord du G20, le 15 avril dernier, pour une suspension provisoire, d’un an, du service de la dette de 76 pays, dont 40 africains, traduit la conscience internationale de l’ampleur de l’obstacle de la dette à la survie des faibles économies, sans être à la hauteur des concessions nécessaires à un triomphe collectif à la fois sur la pandémie et la récession. L’Afrique parle d’annulation  de la dette. C’est une doléance légitime. Elle en appelle à la cohérence avec l’esprit marquant de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) du FMI et de la BM, et de l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM) du G7, conçues pour faciliter la soutenabilité du service de la dette des pays pauvres au lendemain de la crise des années 80-90 dans le cadre justement de la lutte contre la

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pauvreté.

2- Une intelligence stratégique

Le sort  la doléance africaine, quel qu’il soit, donnera l’opportunité de passer à l’examen critique les multiples partenariats bilatéraux, bâtis sur le thème générique de la solidarité et la prospérité partagée, auxquels l’Afrique est invitée de plus en plus par les grandes puissances, conduisant à la tenue annuelle de grands Sommets de chefs d’Etat. En clair, il y a intérêt à agir pour tous ces grands pays en course vers l’Afrique, d’une part dans l’effacement significatif des dettes bilatérales des pays africains et, d’autre part, dans le soutien à la démarche africaine, notamment auprès des institutions multilatérales. Il y a, au bas mot, des dividendes diplomatiques à empocher à

cet égard sur une scène internationale très concurrentielle. Par ailleurs, une Afrique en proie aux difficultés économiques, prise dans les trappes à pauvreté, à famine et à instabilités sociales à cause de ce que le service de la dette plombe sa survie, devient une menace sérieuse pour les intérêts étrangers innombrables sur le continent, couvrant des secteurs d’activités divers et variés (finance, ressources naturelles, énergies, infrastructures, aviation, agroalimentaire, industrie, automobile, télécommunications, etc.). Ceci suffit pour montrer que l’Afrique ne peut pas être laissée à son sort victimaire dans cette crise sanitaire qui pénalise tous ses efforts de développement déployés depuis la pilule amère des politiques d’ajustement structurel. Sous un autre angle, les questions de sécurité

internationale à l’heure de l’émiettement progressif des frontières étatiques et de l’interdépendance des destins des peuples engagent toute la communauté internationale à la solidarité, à l’entre-aide et au co-développement. Parce que le nouveau monde globalisé est un creuset de menaces globales et un vecteur des effets de contagion. C’est ainsi que les grands défis internationaux comme le terrorisme et l’immigration clandestines dont l’Afrique constitue une base arrière et qui fleurissent sur le terreau de la pauvreté, commandent un effort international, à la hauteur des enjeux, vis-à-vis de la dette des pays africains dans ce contexte de crise sanitaire et de récession économique. Nombre d’études sur le continent ont montré le lien entre l’extrémisme religieux et l’immigration clandestine avec la pauvreté. Faut-il rappeler, à ce propos, que les signes avant-coureurs du 11 septembre 2001 ont eu lieu en 1998 à Nairobi (Kénya) et à Dar es Salam (Tanzanie) lors des attentats simultanés contre les Ambassades américaines, avec pour la première fois l’apparition d’Al-Qaïda et Ben Laden à sa tête.

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Le Kenya et la Tanzanie se caractérisaient alors par l’extrême pauvreté, comme c’est le cas actuellement dans le nord du Nigéria, à Yobe et à Borno, zones de prédilection de Boko Haram …

L’endettement de l’Afrique s’élève au total à près de 365 milliards de dollars. Ce montant donne une idée du poids du service de la dette sur le continent en ces temps de marasme où les pays africains, en pertes inestimables de richesses, organisent leur résilience et anticipent les goulots d’étranglement à même de fausser leur départ au signal de la reprise. C’est alors que se pose légitimement la question de l’annulation, pour une part importante, de la dette publique africaine. Dossier complexe certes, s’agissant en particulier des sommes levées sur les marchés financiers internationaux et auprès d’investisseurs privés comme les Fonds d’investissement. Mais l’aboutissement de cette doléance est d’importance vitale, surtout auprès des partenaires publics bilatéraux et multilatéraux du continent. Cette crise sanitaire devra avoir un avant et un après. Le monde a l’obligation de saisir les leçons de cette pandémie en termes d’inter-connectivité des peuples, d’impératif de solidarité internationale, de lutte contre les inégalités sociales et de développement, et surtout de la nécessaire centralité de l’humain et de l’humanité dans la gouvernance politique aux niveaux national et mondial. /.

Ahmadou Lamine Touré Economiste, Conseiller des Affaires étrangères

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