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Le Covid-19 Et L’afrique à Travers L’expérience Du Sénégal

Le Covid-19 Et L’afrique à Travers L’expérience Du Sénégal

Les prévisions funestes des experts ont encore une fois été démenties, celles-là mêmes qui nous prédisaient millions de morts et catastrophes innommables.

Non seulement la pandémie n’y a sévi qu’à des taux marginaux, mais nos élites ont pu trouver, avec le peu de moyens à leur disposition, les savoir faire et savoir être propres à amortir sa dissémination et adopter des thérapeutiques expérimentales avec une indépendance d’esprit salutaire. Et ce, malgré le suivisme plus ou moins prononcé mais relativement temporaire de nos gouvernements vis à vis des puissances coloniales.

Cette épidémie a été l’occasion d’une impulsion intense de la créativité et de l’ingéniosité de nos scientifiques et techniciens notamment dans les technologies de pointe que sont l’électronique, le numérique et l’impression additive, plus communément appelée 3D. Si les pouvoirs publics savent l’écouter dans la durée et transformer ce surgissement en stratégie, on peut raisonnablement espérer alors la naissance d’une vague de fond qui pourrait propulser l’émergence réelle de l’Afrique et asseoir toute sa place d’acteur majeur dans l’équilibre mondial.

Acteur majeur et équilibre, non pour singer le monde occidental ni le monde asiatique dans leur course infernale à la productivité, au gain de temps compté en heures, puis en minutes et en secondes, non pour être mus par l’appât du gain et du profit maximal, non pour mettre l’humain au service de la comptabilité économique qui finit par se donner pour la Science économique, et j’en passe…

Équilibre mondial et acteur majeur pour cultiver et asseoir ses valeurs culturelles et civilisationnelles fondées sur l’adage qui dit « Nitt, garabou nitt la » (l’être humain est un remède pour l’être humain), une économie dont la mission essentielle et le fonctionnement sont de répondre aux besoins sociaux et non au profit de quelques individus, fussent-ils organisés en classe sociale. Revenir à l’économie au sens étymologique de gestion des biens de la famille ou de la maisonnée. Et non l’expropriation et le travestissement de son sens au profit de l’élaboration et l’imposition de règles destinées à permettre et encourager l’accaparement essentiel des biens par les plus puissants.

Car cette pandémie, par delà notre réaction et notre réponse pour la contenir et nous en protéger, s’est peu propagée et fixée en Afrique, d’elle-même, non comme le nuage de Tchernobyl qui se serait opportunément arrêté à telle ou telle frontière, mais peut-être tout simplement parce que l’Afrique est relativement en marge des circuits et mouvements économiques et commerciaux mondiaux.

On constate à priori que les pays les plus touchés sont des plaques essentielles de la circulation des marchandises et des personnes à partir du centre de la mise à feu de la pandémie. À l’intérieur même de ces pays, ce sont les régions les plus actives dans cette économie mondiale et de ses circuits qui ont été les plus touchées, le cas de l’Iran n’étant qu’une particularité qu’il faudra élucider un jour, mais qui pourrait être lié à la proximité historique de ses échanges civilisationnels avec la Chine et avec la présence fortuite de marchands iraniens à Wuhan dès la naissance de l’épidémie, bien avant qu’on en repère l’existence et la nature, marchands qui reviennent en Iran et sont au centre de la circulation commerciale et humaine dans le pays et, enfin, au manque criant de moyens techniques et de médicaments causé par les sanctions américaines.

En dehors de ces plaques tournantes avec une forte concentration humaine et une grande densité des transports, les zones plus lointaines et moins densément peuplées ont été beaucoup moins touchées.

Rappelons que la pandémie de la peste noire aux XIV et XV èmes siècles a mis quatre-vingts ans à se propager de son centre à son apogée géographique et s’est déplacée en suivant les circuits de circulation des grands centres de vie économique et religieuses. Un rythme à la mesure aussi de la vitesse de circulation de chaque époque.

C’est ce même phénomène qui a permis de préserver relativement l’Afrique qui occupe, de fait, une place marginale dans les grands flux des circuits commerciaux mondiaux. Notre faiblesse a été pour une fois notre force.

Mais cela ne s’arrête pas là.

Le monde occidental vit depuis un demi-siècle dans un environnement de plus en plus aseptisé, où les défenses immunitaires de l’être humain sont remplacées progressivement par des médicaments, et où leur production et leur mobilisation seraient donc de moins en moins sollicitées et finiraient par être anesthésiées.

Cela n’est pas le cas en Afrique et dans de nombreux pays du Sud. Non par une quelconque anticipation stratégique, mais par un manque de moyens tout simplement. N’ayant pas le luxe de substituts extérieurs pour le protéger, notre corps serait obligé de se défendre par sa force interne, maintenir et renforcer en conséquence ses défenses immunitaires propres. Là aussi, c’est une faiblesse qui nous permettrait de renforcer cette capacité.

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Et pour reprendre l’adage qui dit « Niakk pékhé, pékhé la », ne pourrait-on pas penser, selon la même logique, que « Niakk doolé, doolé la », et que la reconnaissance active de sa faiblesse face à une situation est aussi le lieu potentiel de production d’une imagination et ingéniosité extrême à élaborer et mettre en oeuvre des solutions propres à dénouer des blocages à priori inextricables.

Le constat rationnel et honnête vis-à-vis de nous-mêmes de nos faiblesses devrait nous permettre en conséquence, non de nous en satisfaire en se bombant le torse pour certains, ni de nous y complaire pour d’autres, mais de mettre en oeuvre une stratégie pour notre développement, asseoir notre place, toute notre place, dans le nouvel équilibre mondial qui se dessine. Une stratégie à l’instar des arts martiaux qui se structurent essentiellement en puisant dans sa propre faiblesse et s’appuyer sur la force de l’adversaire pour en venir à bout.

Nous vivons dans un écosystème. Notre être est en adéquation avec celui-ci dans une relation intime et séculaire, exactement comme tous les autres peuples et grandes aires de civilisation. Nous vivons donc avec les germes, les bactéries et autres agents infectieux spécifiques à notre environnement, exactement comme notre corps porte en lui de ces mêmes agents indispensables à son équilibre et non nécessairement prédateurs, sauf au cas où il subit des modifications importantes pour telles ou telles raisons ou telles ou telles circonstances. Même dans cas là, un apport extérieur pour nous protéger et guérir, du fait de sa rareté, s’accompagne du facteur essentiel que représente la mobilisation extrême de notre système immunitaire.

Pour quelles raisons n’imaginerions pas dès lors une protection fondée non sur la recherche effrénée d’un milieu aseptisé où tout agent potentiellement pathogène est traqué et détruit à coups de produits chimiques de plus en plus puissants, mais auquel il finit par s’adapter et résister toujours mieux, mais plutôt par un développement de l’hygiène tout simplement, non pour détruire ces agents selon les termes d’un combat de Sisyphe, mais tout simplement pour s’en éloigner lorsque cela est nécessaire. Ce sont là deux modes de protection radicalement différents, avec des conséquences sur le système de production et de développement pharmaco-sanitaires décisives.

Quant à chercher à s’intégrer à tout prix aux circuits commerciaux mondiaux, avec des centres de civilisations extérieurs à notre écosystème, ce qui signifie nous ouvrir aussi à des agents pathogènes auxquels notre système immunitaire n’est pas du tout préparé, malgré la « mondialisation », n’aurions nous pas intérêt à privilégier enfin le développement de nos relations économiques et commerciales dans le champ africain, celui-là même qui constitue notre milieu global, nous y fortifier, et y créer progressivement les moyens spécifiques et adéquats à notre réalité pour les affronter, sans pour autant cesser de nous nourrir abondamment et intelligemment des connaissances produites sous d’autres cieux mais savoir réhabiliter cette fois celles produites sous les nôtres tout en sachant les débarrasser de leurs pesanteurs ?

En adoptant, sans le recul critique radical nécessaire, les moyens élaborés en fonction de systèmes économiques et sociaux étrangers à notre civilisation, nous nous donnons comme un simple marché de consommateurs et nous nous présentons désarmés pour nous en remettre entièrement à lui, sans nous appuyer sur la mobilisation optimale de notre propre système immunitaire.

Ce qu’il se passe au niveau de notre corps est du même type que ce qu’il se passe dans la nature avec les produits phytosanitaires et les engrais chimiques qui se révèlent être de plus en plus puissants, de plus en plus destructeurs des richesses et des capacités propres du sol à se régénérer et des plantes à se défendre, de plus en plus chers, bien qu’à une intensité moindre et une transformation plus lente. Tout cela pour le seul profit des industries pharmaceutiques et phytosanitaires mondiales qui voient ce marché particulièrement juteux se développer à une vitesse exponentielle.

C’est par un arrimage solide à l’Afrique, par une politique intelligente, souple et pragmatique de coopération et d’associations à tous les niveaux et dans tous les domaines, que nous sommes réellement capables de nous développer de façon homogène et intégrée : nous en partageons les contraintes, les ressources naturelles, le même niveau de développement, les mêmes grandes valeurs culturelles. C’est forts de cela que nous pourrons construire et occuper notre place dans le monde et dans son nouvel équilibre.

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Créer pour l’Afrique les conditions d’un développement industriel et artisanal en encourageant la petite entreprise de transformation au service de l’artisanat. Pour ne prendre qu’un exemple, pourquoi ne pas limiter les droits d’exploitation de nos richesses minières, les accompagner de contraintes strictement respectueuses de l’environnement naturel et humain, associant les petites villes et les villages mitoyens et, enfin, exiger la rétrocession d’une partie de la production à des petites entreprises de transformation ayant pour finalité de revendre leurs produits finis ou semi finis à des artisans. Ceux-ci ont souvent du mal à se fournir en produits neufs mais très chers, travaillent généralement avec du matériel récupéré licitement mais qui donne aussi lieu, dans certains cas, à des transactions sur des produits issus en réalité de vols et déprédations diverses et variées.

Une telle politique créerait un environnement où l’on verrait éclore toute une gamme de petites entreprises de transformation et de production artisanale riches en main-d’oeuvre, en savoir faire et en créativité comme l’ont montré nos ingénieurs, techniciens, médecins quand il a fallu compter sur eux-mêmes pour affronter la crise que nous subissons car il n’y avait aucune « aide » extérieure de quelque sorte que ce soit, sinon minime, qui pouvait nous parvenir et nous permettre de nous passer de leurs services. C’est d’une certaine manière contraints et forcés que nous avons dû les écouter et les prendre au sérieux. Alors profitons en pour asseoir définitivement cette politique, l’encourager et lui donner les moyens de s’épanouir dans les meilleures conditions.

Et nous n’avons pas besoin d’entrer dans une logique de toujours plus pour notre développement, ce toujours plus qui soumet le monde fondé sur le système productiviste et néolibéral à une course infernale contre l’humanité et contre la nature. Nous avons besoin d’entrer au contraire dans un monde du mieux être au service de l’être humain et de la nature.

Nous avons besoin que nos concitoyens travaillent, créent, prennent le temps de vivre en harmonie avec leur environnement social et hors du besoin, et non pas de profits toujours démultipliés au service d’une minorité.

C’est le lieu, dès lors, de revisiter tous ces paradigmes que l’on nous inculque depuis des décennies, d’en mesurer les conséquences dramatiques, en prenant le risque de nous secouer nous-mêmes, déstabiliser nos certitudes intellectuelles comme notre confort matériel, pour nous orienter dans l’élaboration d’autres finalités et rasseoir solidement nos valeurs.

Protéger l’être humain, préserver ses capacités de défense propres et renforcer son système immunitaire, nous nous le devons. Nous le devons aussi à la nature, à la préservation de l’intégrité de notre planète. Dans une telle logique, nous devrions nous réorienter vers une agriculture qui respecte ces principes. Mettre en place des méthodes qui respectent et régénèrent les sols, favorisent et protègent la vie biologique qu’ils recèlent, prendre résolument distance avec les produits chimiques qui finissent de se substituer à la force vitale des sols comme des plantes qui s’en trouve dès lors anesthésiée et inopérante. Non pas, bien sûr de façon brutale mais selon une méthode raisonnée.

Le Sénégal dispose d’ores et déjà de suffisamment de compétences humaines et techniques, de centres de formation jusqu’au plus haut niveau et d’institutions pour se charger d’élaborer, mettre en oeuvre et assurer le suivi d’une telle ambition.

La muraille verte en oeuvre pourrait être l’occasion, si ce n’est déjà en cours, au profit des villageois des zones traversées, de mettre en oeuvre une formation à ces techniques de régénération et de protection des sols et des plantes afin qu’ils en tirent le meilleur. C’est d’ailleurs la condition de réussite d’une telle opération. Il faut que les villageois y trouvent leur intérêt, pas selon une éthique et une préservation de la nature et de la vie en général mais pour améliorer leur propre quotidien de façon concrète à court terme, avec une échéance définie de façon réaliste, dans une fourchette raisonnable, condition nécessaire pour qu’ils y adhèrent et protègent les plantes semées et/ou régénérées. S’appuyer sur ce qui a été réalisé en Casamance, mais cette fois, avec le concours massif de l’État qui mobilise les compétences nécessaires, les institutions et centres de formation pour participer à cette oeuvre gigantesque par sa dimension et par l’ambition qu’elle est en droit de générer en nous, pour notre avenir. Ce serait alors un mouvement massif de formation des paysans à ces nouvelles pratiques agricoles et une école grandeur nature pour les populations proches. Impliquer les villageois dans cet esprit, c’est contribuer aussi à favoriser, chez les anciens, l’émergence de savoirs séculaires, savoirs délaissés et enfouis à force d’avoir été dévalorisés par l’imposition de techniques modernes justifiées par ce qui se donne comme le fruit de la science, alors qu’en réalité il s’agit aussi et surtout d’une prétention à soumettre la nature et d’une volonté de promouvoir la production d’outils, de semences à usage unique et d’intrants à des fins essentiellement lucratives. Encouragés, valorisés et ramenés à revivre en harmonie avec la nature, une fois renouée la confiance en eux-mêmes, en leurs savoirs et savoir-faire, les paysans feront preuve, à n’en pas douter, d’une intelligence, d’une créativité et d’un investissement qui bousculeront radicalement nos certitudes et seront en même temps salutaires pour nous aider à retrouver pieds sur terre et quelque humilité face à nos connaissances « scientifiques », en réalité des connaissances bridées, organisées et formatées pour générer profits et rentes à croissance exponentielle.

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Ceci nous permet d’aborder le quatrième volet des leçons de la pandémie en cours. La dissémination de la maladie suit les grands circuits de circulation économique et commerciale, et en conséquence les grandes concentrations urbaines. C’est ainsi que la région de Dakar concentre la majeure partie des populations infectées. Elle est en même temps l’unique poumon économique du pays. La confiner pour contenir l’épidémie, c’est plonger tout le reste du pays dans le marasme économique. On a pu le constater très rapidement sur le plan agro-pastoral pour ne citer que cet aspect. Briser son dynamisme économique par des mesures restrictives, rompre ses liens avec le reste du pays, c’est enrayer la possibilité pour l’écrasante majorité de ses membres de se nourrir tout simplement et la plonger dans la faim, tant l’économie informelle, d’où l’on y tire sa subsistance au jour le jour, y a cours jusque dans les moindres de ses méandres.

Cela devrait alors nous inciter à revoir notre politique d’urbanisation et de structuration de notre économie à l’échelle de l’ensemble du pays. Celles-ci restent tributaires d’une logique mise en place depuis le XIXème siècle par le système colonial. Cette logique est en voie de transformer l’agglomération de Dakar qui s’étend déjà sur toute sa région en une véritable mégalopole qui finira bientôt par absorber la région de Thiès elle-même, y compris la ville de Mbour et l’ensemble de leurs satellites.

Il serait fortement souhaitable d’enrayer résolument cette dynamique et se donner les moyens de redessiner le tissu urbanistique et économique, selon une vision holistique et une stratégie intégrée sur l’ensemble du pays, à commencer par le fait de favoriser l’émergence d’un pôle fort à son autre extrémité. Des moyens existent pour cela. Dakar est le bout d’un entonnoir où vient s’engouffrer le reste du Sénégal et des pays de la sous-région, notamment ceux du sud et du sud-est. Ce sont en conséquence tous les moyens de transports qui viennent s’y déverser, engendrant un surcroît massif de pollutions, embouteillages, pertes de temps et surcoûts substantiels qui se chiffrent chaque année à des centaines de milliards de francs, sans parler des ravages pour la santé, la surpopulation nourrie par l’exode rural et l’exode tout court de notre jeunesse la plus résolue, la plus intrépide et la plus débrouillarde.

Un pôle économique à l’extrême sud-est, pour nommer Tambacounda, est tout à fait réalisable. Il serait un pendant à la région de Dakar et un pont pour le développement de nos échanges en direction de toute l’Afrique subsaharienne au moins.

Articulée sur une politique agricole qui nourrisse son homme, une chaîne de petites entreprises de transformation et un artisanat tels que définis plus haut, les populations y verront l’intérêt de se fixer sur leur terroir et d’y trouver les moyens d’une vie raisonnablement confortable. Cela permettrait de contenir les surdensités de populations, de créer les conditions d’un maillage de régions suffisamment autosuffisantes pour éviter de multiplier déplacements forcés pour toutes sortes de besoins, et enfin de contenir les propagations de catastrophes (épidémies ou autres) et de les confiner, lorsque cela s’avèrera strictement nécessaire et non le fruit d’une panique, sans pour autant en subir des dommages catastrophiques pour les populations concernées.

Bien des éléments de bilan ont déjà été tirés de cette pandémie, d’autres le seront encore dans les mois et même les années à venir. À un mal peut correspondre un bien dit-on. Il nous appartient de relever le défi. L’Afrique en a les moyens, pour peu que nous acceptions aussi de nous tromper et subir des échecs, mais oser surtout et malgré tout nous en relever et revoir notre copie.







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