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À Propos Des Échanges Entre Hamidou Anne Et Paap Seen

À Propos Des Échanges Entre Hamidou Anne Et Paap Seen

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt vos échanges par SenePlus. Paap Seen a raison de dire que ce débat serait plus d’ordre privé. Certes. Mais le fait de le rendre ouvert a permis à beaucoup de lecteurs de vous relire plusieurs fois et de se rendre compte que le devenir alternatif de nos pays et du monde continuent d’intéresser. Franchement, en vous lisant dire que vous en aviez discuté plusieurs fois à domicile, je me suis permis de vous dire que ce débat nous (des amis et moi) l’avons mené, réunis à plusieurs reprises autour des mêmes problématiques : Qu’est-ce qui s’est passé après tous nos engagements ? Que faire ? Et comment faire ?

Mais un mot sur ce NOUS. Des amis et moi dans des discussions informelles. Nous réfléchissons parfois aussi autour d’un thé ou d’un mafé. Notre particularité est que nous, comme vous probablement, avons eu des trajets communs ou individuels adossés à l’héritage de la gauche historique qui, pendant des décennies, s’est engagée pour une réelle alternative révolutionnaire pour le Sénégal, l’Afrique et le monde. La liste de Paap à propos de tous ces hommes et femmes, nos oubliés de l’histoire, nous est intime mais, comme toute liste, elle est incomplète de tous ces anonymes, des milliers à s’être donnés pour ce processus d’émancipation. Mes pensées vont à ces jeunes, ces autres nous-mêmes d’alors qui s’étaient professionnalisés politiquement et qui malgré la débâcle de la gauche restent debout, héroïques et dignes !  J’ai bien des visages d’eux encore cherchant des voies d’émancipation. Ce legs-là, dans ses réussites et ses échecs, ne nous somme pas de céder mais, nous habite par des questions presque que vous posez.

Nous avons, sans épuiser la question, pensé que des choses n’ont pas marché tout le long des engagements. Il y a eu échec au sens politique du terme. Nous avons été plus ou moins d’accord que les catégories de parti, révolution, Etat et autres par lesquels nous nous référions sont à questionner. Car pourquoi les tentatives de construction du socialisme ont échoué de par le monde ? Pourtant, il n’y a nulle désillusion, nul pessimisme quant à ce grand soir qui adviendra parce qu’il n’y a nulle autre solution que de le réaliser.

Alors nous réfléchissons depuis longtemps autour des questions : que faire maintenant ?

Et je veux partager avec vous ces quelques points sur lesquels j’ai beaucoup discuté avec des amis :

Nous avions eu à fétichiser les révolutions, l’idéologie marxiste, les croyances importées et nous sommes passés à côté de leur atypisme, de leur singularité même si elles ont développé des invariants. Nous sommes passés à côté de nos réels avec leurs cosmogonies et leurs imaginaires, leur génie et leur tortueux cheminement pour une vie d’égalité. Nous ne pouvons plus fétichiser, nous voulons être au cœur d’une pensée dynamique ancrée sur nos réels ouverts aux expériences autres dans ce qu’elles ont de partageables par tous.

 Vous avez évoqué l’héritage de la Gauche. Elle est riche de ses trajets multiples non seulement ceux du PAI et du RND mais de ceux de beaucoup d’autres organisations ou partis – UDS-RDA, PRA et autres – et d’individualités de la Gauche historique. Et là, Pape a raison de poser la question de ce qu’il faut retenir de cet héritage. Qu’est-ce que nous en faisons dès lors ?  En faire un bilan, non comme dans un procès, mais dans le sens d’une analyse, d’un croisement des trajectoires, des séquences qui ont structuré ce cheminement pour en saisir les forces et les faiblesses qui permettent de réactiver une puissance de Gauche. Parce qu’il nous est nécessaire de savoir pourquoi cette formidable épopée n’a pas enfanté ce qu’on mettait à l’époque dans le mot révolution. Et pour dire vrai, les idées de gauche sont hégémoniques mais la Gauche ne l’est pas. Elle est « émiettée » suivant le mot du doyen Alla Kane, dispersée dans le gouvernement et en totale opposition avec lui par des individualités ou des partis. Or, une Gauche hégémonique se fonde sur le socle de ce bilan en termes de ce qui s’est passé, ce qui a été raté, ce qui aurait pu se passer en tenant sur le point fixe des intérêts des masses travailleuses. Car en termes d’alternative réelle, rien ne peut se passer sans se réactiver à partir de ce bilan. Il ne s’agit pas d’en faire un exhaustif mais d’en dégager au fur et à mesure de nos engagements dans les réels de nos pays, des lignes de force, des convergences pour se prémunir de ses erreurs et capitaliser ses réussites. La débâcle idéologique et politique des organisations et partis de Gauche concomitante à leur mise à l’épreuve du pouvoir après l’ouverture intégrale prétendument démocratique, a beaucoup impacté la subjectivité des militants. Il y a eu des cascades d’abandons, de replis, de retournements de vestes. Il y a eu des maladies et des folies, des drames familiaux. Et cette tâche de bilan reste majeure ! Et ce réel bilan n’a pas été fait par les militants survivants de ces époques… Il n’a pas été fait et la jeunesse d’aujourd’hui critiquée par Paap, n’a pas le lien avec la génération d’avant.

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Paap Seen évoque aussi l’humain qui est une préoccupation essentielle. Oui, mais dans le sens de son élargissement à tout ce qui le touche et plus particulièrement à la terre et plus prospectivement aux générations à venir. Un ami propose même de ne plus placer l’homme au centre mais de renverser la perspective en plaçant la terre au centre. Puisqu’il faut la sauver de la rapine, de la prédation, de l’exploitation hors des besoins réels des humains par le capitalisme. C’est ainsi que le combat pour l’humain prend tout son sens.

Chaque fois que nous discutions, nous nous constitutions en une instance qui sans se prendre pour un groupe, une organisation, un parti est pourtant l’un ou l’autre. D’ailleurs, il est question de délibérer, de se prendre pour un détachement avancé, une conscience de peuple, de cette Afrique, de ce monde. Mais comme le dit l’adage wolof : «ku ndobin ray sa maam boo gise lu ñuul dow». Là, nous avons beaucoup discuté.

Parce que de ce qui s’est passé il y a au moins un point sur lequel, nous, dans nos débats, sommes tombés d’accord pour le moment car toute vérité est éternellement provisoire : le parti devenu parti-état s’est octroyé tous les pouvoirs au détriment des masses organisées, pour décider, penser pour elles. L’échec de construction de sociétés socialistes est fondé en partie sur l’impossibilité de transférer progressivement le pouvoir aux Soviets en Russie, aux processus populaires dans les autres pays. Hamidou parle d’avant-garde. Cette catégorie doit être soupçonnée. Elle ne devra jamais muter en un parti qui s’arroge tous les pouvoirs.

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La question, pour nous alors, est comment nous constituer en puissance tout en destituant, autrement dit comment faire en sorte de ne pas être le seul sachant penser, déclarer, décider pour les autres ? Comment faire de sorte que les masses aussi pensent, déclarent, et décident… Et en toute autonomie.

Si seuls des processus populaires d’autonomie collective peuvent réellement porter une alternative en la pensant, en la décidant, en la déclarant tout en la faisant, en en faisant le bilan, la projection, l’enfantement, etc. Au vu de notre histoire mondiale récente, Burkina avec Sankara, Venezuela avec Chavez, Brésil avec Lula ( ?), etc., nous nous sommes dit que les volontés individuelles de leadership ne suffisent plus. Il faut que de réels processus populaires aient à cœur l’alternative et la portent. Ce qui ne veut point dire que des individualités, des organisations n’émergent pas et ne se structurent pas dans ces processus. Mais, elles ne doivent pas les accaparer.

Que faire ? Une création de lieux multiples de la politique ou une implication dans des lieux déjà existants pour une bataille d’idées pour que cette idée d’émancipation véritable ne soit plus oubliée ou noyée dans des revendications immédiates. Parce que dans la séquence ouverte à partir de 1981, celle de cette ouverture intégrale prétendument démocratique, très peu de fois cette idée a été agitée. Il a été plus question d’élections, de nombre de députés, d’entrisme. Avant oui, on parlait de RND (Révolution nationale démocratique), de RDN (Révolution démocratique nationale ou même de RNDP (Révolution nationale démocratique et populaire), de mbokaan (qui partage), de jalarbi, de Démocratie populaire, de Socialisme, de communisme, etc. Il s’agira de trouver la bonne dialectique entre les luttes immédiates et celles des longs termes. Comme aussi, il faut que notre imaginaire nous trouve les catégories politiques et idéologiques qui nous permettent de penser et d’agir à partir de nos réels. Je rigole en pensant à la catégorie politique de « Ndumbelaan » pour désigner nos républiques et je deviens sérieux en pensant au concept de « Aar li ñu bokk » et à tant d’autres. Un débat est attendu sur cette question. Désormais, nos catégories doivent toucher nos affects, nos vies réelles, nous engager dans nos subjectivités, dans la fête, la joie comme dans le sérieux.

Sur le panafricanisme, dans un débat nous y avons réfléchi et nous nous sommes dit que ce mouvement solidaire pour l’indépendance totale d’une Afrique unie est révolutionnaire mais que la catégorie ne doit pas cacher une simple opposition africaine à l’Europe. Parce que là-bas aussi les masses luttent contre la mainmise entière du capital sur leurs vies. Elles sont contre le capitalisme, la néo-colonisation, le G20 qui décide contre elles et contre l’Afrique et les autres. Nos combats ont les mêmes origines quoiqu’ils soient différents par les réalités géopolitiques.

Le panafricanisme vu alors comme les luttes pour la dignité des africains doit être perçu comme un chemin avec tant d’autres sur d’autres continents conduisant à une terre respectée et une dignité humaine.

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Que faire ? Encore investir des lieux (dahira, association, syndicats, partis, etc.) pour construire une idée d’un panafricanisme militant, critique des idées de haine, d’amalgame, un tremplin pour rencontrer les peuples en luttes des autres continents et faire l’émancipation planétaire.

 Et nous intellectuels militants de ces idées-là ? La petite bourgeoisie est une classe à risques ; risques de rester prisonnière des tentations d’individualisme, de la chair et du plaisir, de jouissance, d’être habitée par une idée d’une puissance et de pouvoir…, et une capacité à céder aux moindres échecs. Loin de prôner une vie de moine, l’engagement militant requiert quelques sacrifices qui ne renient pas les désirs et les utopies individuels… mais, en tempèrent l’impact sur la dignité des autres et le mouvement solidaire. Pendant des décennies des gens dans ce pays ont tout donné en efforts, en sacrifices. Mais, c’est mon humble avis, nous avons peu déconstruit nous-mêmes. Nous avons porté en partie les mêmes travers, les mêmes défauts des gens de pouvoir que nous dénoncions. C’est pourquoi, les revirements de beaucoup de gens connus avant pour leur engagement n’ont pas manqué dès qu’ils ont été à l’épreuve du pouvoir. Les affects des autres militants ont pris de sacrés coups. Beaucoup de déçus ont quitté les rangs.

Que faire ?

Nous devons commencer à nous déconstruire : échapper petit à petit à la totale emprise de l’argent, des mondanités, du pouvoir de domination tapi au plus profond de chacun de nous… Il nous faut d’ores et déjà bifurquer, abandonner progressivement cet être de consommation de tout et de rien enfoui en nous, instillé par le mode de vie capitaliste. Chacun se fait son petit chemin sur cette question. Si nous ne le faisons pas dès maintenant, nous nous éloignerons des préoccupations des masses dès qu’une situation de pouvoir, d’argent et autres se posent. Les masses auraient lutté pour se voir dirigées par une autre caste. Le grand soir commence par nous dès maintenant.

Les expériences dans les constructions du socialisme (URSS, Chine, etc.) sont à méditer. Une oligarchie bureaucratique militaire a pris le pouvoir.

Des points évoqués rapidement dans les deux textes surtout par Hamidou sont : notre imaginaire, nos cosmogonies. Il est question de se les réapproprier pour comprendre leurs enjeux d’origine, leurs dits réels, leurs constructions. Comme aussi, il convient d’en trouver les traces dans nos langues, nos rites, nos coutumes et de les analyser pour mieux comprendre nos peuples et les transformations qu’ils ont subies, les bifurcations à faire avec eux.

Que faire ?

Trouver la brèche pour se mettre avec eux et apprendre d’eux et construire avec eux ce qui peut se faire pour une alternative où ils ne seront plus écartés des processus de penser, faire, contrôler, etc.

Probablement d’autres discutent comme vous, comme nous. D’autres s’activent, bataillent, cherchent leur chemin. Et un jour, une pensée active au cœur des préoccupations des masses émergera. L’Afrique, le monde l’exigent contre le règne de la barbarie.

Cheikh Kassé est enseignant-chercheur FASTEF/UCAD

Les diférents échanges entre le journaliste, éditorialiste de SenePlus, Paap Seen et l’essayiste, chroniqueur Hamidou Anne, sont à découvrir plus bas :

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