« La beauté sauvera le monde » Dostoïevski
A la différence de la maladie à coronavirus, la culture est exposition, vernissage, confluence, promiscuité, rapprochement. La Covid est implosion, confinement, distanciation, méfiance, éloignement. La culture est liberté, appel du grand air, élan vers l’autre. La Covid est repli sur soi, internement, masque, barrières contre l’autre.
La culture est une affaire publique, en osmose avec la masse, parle le langage des masques, vit par et pour les autres. Le virus est une menace, crée la peur et la panique, frappe aveuglément, tue celui qui est le cœur même de la culture : l’homme. Il empêche le bonheur partagé dans les rassemblements et regroupements.
La culture, c’est le temps des accolades et de l’insouciance joyeuse. La pandémie oblige à rester sur le qui-vive, à mimer l’affection et la poignée de mains, ce rituel de nos civilisations. Elle limite les joies et les émotions. La culture est le condensé de nos valeurs communes. La Covid-19 pointe nos faiblesses et les frontières de notre savoir, limite nos capacités de mouvement, réduit notre ardeur au travail.
La culture c’est aussi bonne franquette, bonne chère, bonheur intégral, oubli de soi. Elle réunit. Elle est bonté et beauté. Rien que le nom de la pandémie transporte le malheur dans son train de restrictions. La culture, c’est, dit-on, ce qui reste quand on a tout oublié. Le virus c’est ce qu’on ne peut oublier tant qu’il reste.
L’expression artistique, musicale, cinématographique, photographique ou autre, a l’ambition de faire tomber les masques. Son projet ultime est de montrer l’homme tel qu’il est et non tel que le virus voudrait qu’il fût.
Suspension des sorties nocturnes
Culture et pandémie n’ont jamais fait bon ménage. La première, bien qu’immatérielle, souffre du malheur que la seconde fait abattre sur le monde. Frappée dans ses différentes composantes, la culture a été atteinte au cœur de toutes ses activités : musées, salles de cinéma et établissements de nuit fermés, concerts interdits. Conséquences : Sorties nocturnes suspendues.
Habitués à côtoyer la misère humaine, reflet du bonheur parfois éteint chez l’homme, les artistes reproduisent, à leur manière, la réalité du monde. Ils ont plié mais n’ont pas rompu, initié des actions pour maintenir l’espoir en dépit des innombrables pertes en vies humaines dont celles de célébrités de leur univers. Leur génie créateur est resté actif. Avec l’aide des prodiges du numérique, ils se sont évertués à redonner espoir à tous ceux qui commençaient à désespérer de la vie.
En dehors du huis clos nécessaire avec la muse qui inspire le créateur, le fait culturel repose sur une audience, des spectateurs, des critiques, des amateurs, des connaisseurs et des mécènes. Avec les moyens et le style qui leur sont propres, les musiciens, au nom de leurs pairs artistes, se joignent au chœur des ennemis de l’ennemi invisible. Ils investissent le champ de bataille avec leurs outils habituels, engagent leur talent au profit des causes de l’humanité.
Sans nouvelles munitions car utilisant les mêmes armes. Des armes ? Elles ont pour noms : amour, protection de notre monde, refus des excès de nos habitudes de citadins parvenus. Nous aimons leurs paroles, sommes sensibles à leur mélodie et admiratifs de leur talent mais ignorons parfois leurs conseils discrets.
Lanceurs d’alerte
Malgré notre silence, parfois notre indifférence, ils poursuivent, avec persévérance, leur mission d’éveilleurs de conscience et de lanceurs d’alerte. Leurs recommandations, véritables antidotes, avant les guerres, les épidémies et nos dérapages d’hommes imprudents nous font regretter de n’être perméables bien souvent qu’à nos distractions hédonistes et indifférentes aux leçons qui éduquent et guident dans la vie.
Pas de restriction pour les artistes devant l’amour, « le lait de la tendresse humaine », selon la magnifique expression de Shakespeare pour abreuver de plaisir les habitants de notre planète dans quelque hémisphère qu’ils se trouvent. Aujourd’hui, comme hier, leurs messages sont identiques, et ne sont muets ni surpris devant les douleurs de notre temps.
A défaut de pouvoir exercer leur art en communiant avec un public réel, ils ont exploité la magie du virtuel et nous ont donné des moments d’intense bonheur. Comme ce concert planétaire imaginé par Lady Gaga le 18 avril dernier, et celui produit sur le continent à l’occasion de la journée de l’Afrique le 25 mai. Il y a de la noblesse dans ces deux initiatives car elles sont dédiées aux autres.
Ces grands événements n’ont pas occulté l’engagement et l’apport des nombreux peintres, acteurs, réalisateurs, metteurs en scène, musiciens qui nous ont fait partager de grands moments de joie depuis leur confinement. Grâce à eux, nous avons un temps oublié nos angoisses et surtout réalisé que notre espèce est éternelle. D’autres artistes, localement, ont participé à des activités de sensibilisation et d’éducation des citoyens.
Supplément d’âme
Pourtant la culture a été touchée de plein fouet par la pandémie et beaucoup de ceux qui en vivent ont vu tarir leurs sources de revenus. Ils ont perdu de la ressource matérielle mais pas ce supplément d’âme qui les pousse à faire parler leur cœur en allant vers les autres. Ils se sont consacrés à leurs contemporains, en particulier aux aides-soignants et à des populations africaines démunies dont certaines nourrissent encore des doutes sur la réalité de la Covid-19.
Autour de l’artiste américaine, Lady Gaga, l’ex-Beatle Paul Mac Cartney, le talentueux Elton John, le monument Stevie Wonder et bien sûr la bande des inusables Rolling Stones, Mike Jagger en tête, monstres sacrés qui suscitent l’extase chez les fans, ont égayé nos périodes de masque, de distanciation physique. Ils ont soutenu des malades, qui sans eux, auraient difficilement été pris en charge par les médecins.
Dans cette démonstration de solidarité et de compassion, les stars africaines n’étaient pas en reste et ont pris le relais, à l’initiative de l’animateur-producteur Amobe Mevegue et sous la houlette de Youssou Ndour avec leur ainé Salif Keita ainsi que l’idole des jeunes, Fally Ipupa.
A côté de ces musiciens de renom, tant d’autres vedettes comme Angélique Kidjo, Didier Awadi, Magic System, Sidiki Diabaté,Oumou Sangaré, Ziza, Fanicko, Tiken Jah Fakoly, Femi Kuti, Zeynab ouBebi Philip ont donné leur temps, leur talent et leur énergie pour convaincre de l’existence de la Covid-19.
Destin unique
Le Guadeloupéen Jacob Devarieux, du Kassav, a ajouté sa note à l’adresse de l’Afrique et de sa diaspora pour dire et redire que pire qu’une maladie, la Covid-19 est une pandémie.
Tous ces artistes engagés savaient que de son repos éternel, leur inoubliable doyen Manu Dibango veillait, outre-tombe et les encourageait avec son inimitable voix de stentor.
Sur les traces de leurs devanciers, les musiciens africains ont magnifié notre unicité de destin sur cette planète. Global World et WAN, l’ont mis en exergue. « Together as one » (Unis comme un. Même monde que nous sommes, représentons et habitons).
Ils ont marché dans les sillons tracés par les initiateurs de l’élan de solidarité lancé à travers « We are the World» par Michael Jackson, Diana Ross, Lionel Richie, sans oublier Stevie Wonder, le regretté Ray Charles et naturellement le maître d’œuvre, Quincy Jones.
Tous s’étaient unis en 1981 pour alerter le monde d’une terrible famine dans la Corne de l’Afrique, plus particulièrement en Ethiopie, en détresse absolue. C’est ce même idéal de solidarité humaine qui inspirera quatre ans plus tard le gigantesque double concert de LIVE AID 1985 en même temps au stade de Wembley à Londres et à Philadelphie sous la houlette de l’anglais Bob Geldof et d’autres grands noms de la musique mondiale.
Dans le même stade mythique de la capitale britannique, en 1988, des artistes de tous horizons, toutes races et religions confondues, se sont retrouvés pour dire non au régime ignominieux de l’Apartheid et exiger la libération de Nelson Mandela, entré comme un géant dans la légende.
Ce rassemblement célébrait en même temps les 70 ans du héros de la lutte pour l’égalité des races. Et aussi réveillait les puissants de notre époque sur une injustice. Objectif atteint le 11 février 1990 avec la libération de Madiba et célébré, au même endroit, le 16 avril de la même année.
A la différence du cas de Mandela, médiatisé à juste titre, des millions de femmes, d’hommes et d’enfants ont partagé des sorts identiques dans l’anonymat. La musique a permis de les replacer sous la lumière de l’histoire.
Les artistes, tous genres d’expression confondus, ont toujours épousé les causes de notre temps faisant fi des barrières artificielles érigées par les fractures de l’histoire.
Citoyens d’une planète en perte de repères, ils ont choisi la mission d’être, à leur façon, des relais de la sublime ode à l’amour de l’immense poète et penseur pakistanais Mohamed Iqbal :
« Apparais ô cavalier du destin,
Apparais ô lumière de l’obscur royaume du changement,
Apaise le tumulte des nations,
Enchante nos oreilles avec la musique
Lève-toi et accorde la harpe de la fraternité ».
Dostoïevski avait raison : « la beauté sauvera le monde ».