Les lampions se sont éteints sur le premier anniversaire de la mort d’Ousmane Tanor Dieng, ex-Secrétaire général du Parti socialiste (PS). Les couronnes et les fleurs n’ont pas manqué d’orner l’œuvre politique du défunt patron du PS. Elle a été magnifiée par ses partisans à travers le prisme d’une épopée socialiste flamboyante dont nous n’avons ni connaissance, ni souvenance, ni rémanence. Aussi, ai-je lu et parcouru maintes fois le texte que son successeur très controversée à la tête du PS, Aminata Mbengue Ndiaye, lui a dédié en guise d’hommages. Mais lu avec des lunettes non partisanes et non opposantes, je perçois en filigrane dans ce texte un réquisitoire subliminal ripolinant les dysfonctionnements au sein du PS dans la séquence tri-décennale 1988-2018. Dans son texte, la présidente du Haut Conseil des Collectivités territoriales (HCCT) déclare que « c’est à la faveur du 13e congrès ordinaire de 1996 qu’il (Tanor, ndlr) fut proposé, par le président Abdou Diouf, pour occuper le poste de 1er Secrétaire chargé, entre autres, d’assurer la gestion quotidienne du Parti ». C’est cette proposition impopulaire jurant avec les principes antidémocratiques du parti qui a déroulé le tapis rouge au dauphin putatif de Diouf mais qui a aussi plongé le plus vieux parti du Sénégal dans un maelström de problèmes sans fin.
30 mars 1996 : la descente aux enfers
Lors du congrès sans débat en cette triste et mémorable journée du 30 mars 1996, Aminata Abibatou Mbaye, l’alors présidente de l’Union régionale socialiste des femmes de Saint-Louis, a mis en branle le plan qui a été concocté pour adouber l’héritier présomptif de Diouf. «Nous désignons à l’unanimité Abdou Diouf au poste de président du Parti socialiste et unique candidat à l’élection présidentielle de 2000 et nous lui donnons carte blanche pour la formation du Bureau politique avec Ousmane Tanor Dieng au poste de secrétaire exécutif», a déclaré Abibatou dans une salle plénière en surchauffe où les 2500 délégués, par acclamation, ont investi Abdou Diouf au poste de président du PS et candidat à la présidentielle de 2000 et proposé Tanor Premier secrétaire. C’est le triomphe des refondateurs en vérité conservateurs.
Ainsi la messe était dite pour tous ceux-là qui pensaient que ce congrès allait aboutir à une mue régénératrice, à un PS réformé, plus ouvert, plus démocratique et débarrassé de ses vieux démons de la division. Sans vote, sans échange d’idées, sans débat autour des nouvelles orientations et réformes relatives à l’instauration du poste de président du parti et d’un premier secrétaire, le binôme Diouf-Tanor est imposé au sommet de la pyramide socialiste. Certes, l’on nous rétorquera qu’une commission avait travaillé de 1993 à 1996 pour ces réformes et qu’il était inopportun de débattre sur des questions déjà traitées et résolues. Mais un congrès présente un cadre spatio-temporel de discussions houleuses, de contestations hargneuses, d’échanges d’idées fertiles même s’il aboutit à une résolution consensuelle.
En vérité, dans l’histoire mouvementée du PS, jamais, il n’y a eu de refondation après Senghor. Des refondations s’opèrent par des ouvertures, des fusions, des élargissements, des changements de nom et de sigles, des mutations doctrinales. Du Bloc démocratique sénégalais (BDS) au Parti socialiste (PS) en passant par le Bloc populaire sénégalais (BPS) et l’Union Progressiste Sénégalais (UPS), Léopold Sédar Senghor a eu à refonder en 23 ans quatre fois le parti qu’il a porté sur les fonts baptismaux le 27 octobre 1948.
Ce qui s’est passé le 30 mars 1996 n’est que l’œuvre d’un chef de parti hyperpuissant, autoritariste qui excellait plus dans les purges staliniennes que dans la massification. Dans la première décennie de son règne, il a entrepris une désenghorisation outrancière au sein du parti sous la férule de son missi dominici Jean Collin en expurgeant tous les mammouths contemporains de Senghor. Et dans la seconde, il a été question de se débarrasser de ses congénères politiques qui pouvaient porter ombrage à son héritier qu’il louait comme un « homme plein de vertus, de talent, de courage, de compétence, d’une loyauté et d’un engagement sans pareil ».
Dans le choix du président de parti et du premier secrétaire, tout détonnait avec les règles basales de la démocratie. D’ailleurs, en 2005 lors de l’émission « Livre d’or » de la RFI, animée par Philippe Sainteny, Abdou Diouf a avoué le crime démocratique du 30 mars 1996 : « J’ai mis M. Ousmane Tanor Dieng (avant de rectifier) j’ai proposé M. Ousmane Tanor Dieng comme premier secrétaire pour gérer le parti au quotidien ». Pour parachever son emprise sur le parti, Abdou Diouf avait choisi à la tête des dix unions régionales des secrétaires généraux dévoués à son poulain. Les récalcitrants Djibo Kâ, André Sonko, Moustapha Niasse étaient écartés de toutes les instances décisionnelles. Je ferai abstraction des remous qui ont déstabilisé le PS et qui l’ont conduit à la chute en 2000. Seulement, j’évoquerai un passage très édifiant à cet égard de la lettre de démission d’Abdoulaye Makhtar Diop du PS rédigée le mercredi 18 juin 2003. « Depuis 1988, le fléchissement des suffrages du Ps, plus tendanciel que circonstanciel, était évident », avant d’ajouter que « les élections du 19 mars 2000 où les électeurs de ce dimanche historique et fatal au PS, dans leur grande majorité, ont confirmé une défaite annoncée et programmée, mais jamais sentie », déclare Abdoulaye Makhtar. C’est donc dire que le congrès de 1996 n’a jamais été un congrès de réformes en profondeur mais de perpétuation des méthodes éculées de gouvernance partisane totalitariste qui ne cadrait pas avec une vision refondatrice.
La résistance à l’offensive wadienne
J’épouse la position d’Aminata Mbengue Ndiaye quand elle déclare qu’après la perte du pouvoir, « Tanor Dieng a fait montre d’une grande capacité de résilience et de leadership en s’illustrant, dans ce contexte politique inédit, comme le digne continuateur de l’héritage de Senghor, confronté aux coups bas internes et aux tentatives de démantèlement du parti par le pouvoir libéral ». Cette opposition de Tanor au régime de Wade sans tache constitue la plus glorieuse page de son œuvre politique. Des membres du bureau politique tels que Robert Sagna, Mamadou Diop, Souty Touré, Moustapha Kâ, Madia Diop, Amath Cissé ont remis en cause le leadership tanorien avant de tourner casaque. Seul Abdoulaye Makhtar Diop a, avec une rare élégance intellectuelle, démissionné pour créer les Socialistes unis pour la Renaissance du Sénégal (les Surs).
D’autres socialistes plus ou moins proches de Tanor (Abdoulaye Diack, Aïda Mbodj, Sada Ndiaye, Léna Fall Diagne, Adama Sall, Abdourahmane Sow, Cora Fall, Mbaye Diouf, Aïda Ndiongue, sa sœur Bakhao et époux Mame Birame Diouf, Tieo Cissé Doucouré, André Sonko, Paul Ndong, Balla Moussa Daffé, Salif Bâ, Assane Diagne, Alassane Dialy Ndiaye, Lobatt Fall, Abdoulaye Babou, Serigne Mbacké Ndiaye…) ont quitté le navire socialiste tanguant pour transhumer vers les prairies bleues. Abdoulaye Wade vindicatif s’est attelé avec son gourou Idrissa Seck à démanteler le PS comme Abdou Diouf l’avait fait en 1982 au point de faire perdre au PDS son groupe parlementaire. Avec stoïcisme, Tanor a résisté à Wade nonobstant l’agitation systématique intimidante des licences de pêche accordées aux Russes en 1992 lors de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) au Sénégal. Et le combat de Tanor s’inscrivait autour du triptyque : la remobilisation des troupes, la contre-offensive et la reconquête du pouvoir. Et cette nouvelle vision oppositionnelle trouvait sa consécration avec l’apport des structures de réflexion et de lutte comme Vision socialiste dirigée par Moussa Taye, Convergence socialiste avec Barthélemy Dias et le Réseau des universitaires. Mais cette opposition n’a pas suffi pour redorer le blason du PS terni par 40 ans de gestion catastrophique du pouvoir.
Les réformes attendues n’ont pas été au rendez-vous. En 2007, le score à la présidentielle (13%) met à nu l’ampleur du divorce des Sénégalais et du parti de Senghor. Seulement, l’embellie viendra en 2009 quand Khalifa Sall, sous la bannière de Bennoo Siggil Senegaal, est élu maire de Dakar. D’autres localités estampillées du Sénégal tombent dans l’escarcelle de BSS. Mais l’élection présidentielle de 2012 ne fait que confirmer la désaffection des Sénégalais pour le PS quand Tanor obtient 11% derrière Moustapha Niasse, Macky Sall et Abdoulaye Wade. La leçon qu’il faut tirer de cette situation est le nécessaire passage du témoin à la jeune génération. Mais quand Aminata Mbengue soutient que « c’est le respect de la ligne d’orientation politique consacrée par le congrès de 2007 et confirmée par le congrès de 2014 qui justifie la présence du Parti, au sein de l’attelage gouvernemental », il y a de quoi se poser des questions sur les ambitions politiques du PS.
L’agitation trompeuse du « gouverner ensemble »
Défait encore en 2012, le parti de Tanor qui a traversé le désert aride de l’opposition pendant 12 ans ne peut plus se permettre d’entamer une nouvelle opposition qui peut encore durer plus d’une décennie. C’est cette volonté de « gouverner ensemble » qui a été la pomme de discorde entre Khalifa Sall, Aïssata Tall Sall et Ousmane Tanor Dieng. A Aïssata et Khalifa qui déclaraient respectivement : « Le PS présentera un candidat issu de ses rangs à la prochaine présidentielle et qu’il est impensable que le parti de Léopold Sédar Senghor qui a participé à toutes les joutes électorales s’absente, au nom d’une logique de coalition, à une seule élection », « Le PS ne sera jamais un parti yobaléma (à la remorque, NDLR). Senghor et Abdou Diouf ont fait des choses dans le parti. Ousmane Tanor Dieng, dans des moments difficiles et périlleux, a su tenir le flambeau. Aujourd’hui avec lui, il faut que le parti reprenne sa place et revienne au pouvoir », Tanor répondait : « Le moment venu, les instances du parti ouvriront la voie à la concertation pour voir ce qu’on va faire ».
Ces deux positions antinomiques ont abouti à la fracture du PS même si Aïssata a fini par déposer ses baluchons dans BBY. La résistance de Khalifa a abouti au déclenchement d’une affaire judiciaire absurde télécommandée par le pouvoir et qui finira par anéantir toutes ses ambitions présidentielles. Et pour parachever le crime, des enquêtes judiciaires sur le saccage de la maison de Colobane aboutiront à l’incarcération des proches de Khalifa Sall avant leur exclusion du PS.
Comme le dit Aminata Mbengue, « Tanor est parti, en homme de devoir, après avoir pleinement rempli sa mission », mais dire dans sa posture de Secrétaire générale du PS jouissant des passe-droits du HCCT« qu’il laisse un parti revigoré et sorti de l’auberge », c’est verser dans l’imposture. De qui se moque la Secrétaire générale du PS ? Aujourd’hui, on est à même de se demander si le PS, depuis 2012, est toujours porteur d’un projet de société ou bien s’il a fini de jouer son rôle dans l’histoire politique de notre pays ? Un parti, c’est à la fois une idéologie, une implantation nationale et une incarnation par des hommes et des femmes susceptibles de gouverner. Le décès de Tanor a mis nu la carence d’un leadership au sein du PS. Aminata Mbengue est devenue par la force du destin la Secrétaire générale mais rien en elle ne lui donne une stature présidentielle. D’ailleurs, elle se le refuse en se suffisant du menu fretin dont bénéficie son parti dans le trompeur « gouverner ensemble ».
Certes, certains responsables socialistes jouissant de postes de ministre, de chef d’institution, de député, de direction, de président de conseil d’administration ou de chargé de mission n’ont plus d’ennuis financiers mais politiquement le parti désincarné est en état de collapsus avancé. Que reste-t-il des 11% de 2012 du PS depuis son compagnonnage avec l’APR ? Le responsable socialiste de Thiès, Doudou Gnagna Diop, croit fermement que l’érosion électorale de son parti n’est qu’une vue de mon esprit emprisonné dans une bulle épaisse mais les scores électoraux dégressifs depuis les locales de 1996 sont des indicateurs éloquents imparables.
Aujourd’hui, le PS est privé d’une liberté intellectuelle qui lui permet d’engager une reprise en main de son destin politique. Quel est le seul socialiste qui a le courage de se prononcer sur un éventuel troisième mandat de Macky Sall alors que cette problématique a été le ferment de la bataille entre Wade et l’opposition de 2008 à 2012 ? Quel est le seul socialiste qui a le courage de déclarer que le PS aura un candidat issu de ses rangs en 2024 ? Aminata Mbengue et les siens préfèrent sombrer dans le béat acquiescement devant l’exercice du pouvoir. Nous sommes en 2020 et aucune perspective d’affranchissement du PS de l’APR n’est encore dans les limbes. A moins de croire ce que certains des socialistes supputent en catimini : l’imminent sabordage du PS dans l’APR pour acter le mariage définitif entre les verts et les beige-marron.