Le Sénégal est décidément un pays de paradoxes. Hier dimanche, il a été célébré la journée de l’arbre. Le parrain en était le baobab. A croire que l’on s’est durablement installé dans les effets d’annonce, dans l’esbroufe. Sinon, comment expliquer un tel choix, au moment où ce qui se déploie sous nos yeux est le massacre programmé de cet arbre millénaire. On détruit les forêts de baobabs. Bien que protégés, ces arbres aux mille vertus sont abattus, bousculés par des projets immobiliers. Le pain de singe, l’ « or blanc », dévalorisé, piétiné. Chercher la cohérence !
Et cette même incohérence, on la retrouve partout, notamment dans les dernières annonces concernant la gestion de la Covid 19. Interdiction de rassemblement sur les plages, les terrains de sports, les espaces publics et les salles de spectacles (A partir de combien de personnes ? Aucune précision). Port obligatoire du masque dans les lieux publics. Rien de nouveau pourtant.
Toutes ces mesures ayant été adoptées et non levées, leur réitération renseigne plutôt sur la fébrilité voire l’impuissance des autorités publiques. Les vrais problèmes ne sont pas abordés de front, à savoir les grands mouvements de foule à l’occasion des cérémonies religieuses et des enterrements. Manifestement les autorités pédalent dans la choucroute, peinant à faire montre de cohérence dans la gestion de la pandémie, elles préfèrent les éluder.
Il suffit de voir qu’au même moment où elles sont dans la déclamation se poursuivent comme si de rien n’était les grands mouvements de foule, notamment lors des cérémonies d’enterrement de grandes personnalités civiles ou religieuses. Sans compter les cérémonies du Magal et du Gamou qui s’annoncent.
Même si l’Etat n’a pas à s’immiscer dans les rituels religieux, il n’en demeure pas moins que son rôle est de protéger les citoyens sans considération d’appartenance ethnique, religieuse ou autres. Empêtrées dans leurs contradictions, les autorités font entendre des dissonances. Ce qui n’a pas toujours été le cas, puisque le voilà pris en flagrant délit d’incapacité à assumer ses prérogatives, comme l’a illustré la Tabaski dernière.
A l’évidence, la fête de Tabaski a occasionné habituellement un grand mouvement de foule. Comme à l’accoutumée, pour répondre au besoin de regroupement familial, nombre de personnes sont retournées au bercail, dans leurs villes et villages d’origine, quittant les principaux foyers de l’épidémie que sont les axes Dakar, Thiès, Diourbel, Ziguinchor, faisant circuler allégrement le virus. Tout cela se déroulant dans des circonstances où il était on ne peut plus difficile d’observer les mesures de distanciation physique.
Alors que la maladie était en train de monter en puissance avec l’augmentation des cas communautaires et que le ministre de la Santé invitait timidement les Sénégalais à célébrer la fête de Tabaski là où ils sont, pour éviter une dissémination importante, son homologue de l’Intérieur lui, ne voyait pas d’inconvénient à leurs déplacements. Il les exhortait à s’imprégner des mesures barrières et à se résoudre à porter un masque.
Avec une insoutenable légèreté il a expliqué qu’on pouvait en confectionner auprès du tailleur du coin. Pourtant ce sont les mêmes qui nous expliquaient il n’y a guère longtemps qu’il y avait des normes auxquelles il fallait souscrire et que les fabricants de masques made in Sénégal étaient tenus de s’y conformer. Voilà qui n’est pas pour rassurer puisqu’ à l’évidence, ça va à hue et à dia. Il semble bien loin la vision organisée et maitrisée. On ne sait pas où l’on va et il flotte comme un désarroi dans l’air. Ce qui était plutôt attendu d’un Etat assumant pleinement ses responsabilités, c’était au contraire de s’évertuer à expliquer encore et encore les manifestations de la maladie au regard de son évolution exponentielle, pour que nul n’en ignore et que tout un chacun prenne la mesure de sa dangerosité. Et surtout, de faire comprendre que l’épidémie de la covid-19 enjambe toutes les formes de discrimination. Avec elle, ni chefs d’Etat ni khalife général, ni talibé, ni curé, ni archevêque, ni professeurs d’université. Ni paysans. Personne n’étant à l’abri, même pas les jeunes qui au-delà de pouvoir le contracter constituent de gros risques pour leurs parents.
Aussi dans le vide abyssal ainsi créé, on a le sentiment qu’il n’y a pas de capitaine dans la pirogue, tant tout semble laissé au bon vouloir du petit bonheur la chance. Rien de rassurant par conséquent. Il se trouve en effet qu’on a besoin de constantes, de points fixes pour pouvoir asseoir des repères, ériger des barrières, établir la frontière entre le permis et l’interdit. Il s’agit en effet d’assurer les conditions de possibilité du vivre en société se traduisant par l’interdépendance dans le sens où «je n’existe que par un autre ». Une réalité que rend avec justesse le dicton wolof lorsqu’il énonce que «Nit, nit mooy garab bam » (l’homme est le remède de l’homme).
Si l’Etat pour on ne sait quelle raison de politique politicienne continue ainsi à se perdre dans ses incohérences, l’illisibilité de sa démarche va forcément se traduire par une défiance de plus en plus grande des populations imperméables à ses gesticulations et plutôt tentées de n’en faire qu’à leurs têtes, espérant pouvoir s’en sortir. A leurs risques et périls. Au grand dam de la société