Au Sénégal, entre 60 et 70 pourcent de la population dépendent de l’agriculture, ce qui montre l’importance des enjeux fonciers. Les superficies arables représentent approximativement 4 millions d’hectares dont 2,5 millions sont actuellement valorisés. Les causes de l’accroissement de la pression foncière sont entre autres, l’augmentation du taux de croissance démographique et l’urbanisation, le développement des infrastructures routières, le développement économique (tourisme, écotourisme, agriculture familiale, agrobusiness…), la demande sociale et culturelle (cimetières, bois sacrés etc… ) et l’augmentation de la spéculation foncière. Comme la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest, le paradoxe du foncier au Sénégal est que malgré l’abondance des superficies arables, le pays n’arrive toujours pas à nourrir la population. Cette situation doit être renversée.
PARADOXE DU FONCIER RURAL AU SENEGAL
Le Sénégal dispose de vastes superficies de terres arables mais le pays n’a pas encore atteint l’autosuffisance alimentaire. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Parmi ceux-ci: la prédominance des petits agriculteurs sans moyens financiers substantiels qui forment l’ossature de l’agriculture familiale; la faible utilisation des semences certifiées qui ne permet pas d’accroitre les rendements agricoles de manière significative; la modernisation insuffisante des technologies agricoles utilisées par les petits exploitants malgré les efforts déployés par les pouvoirs publics; la faible implication des femmes et des jeunes dans les activités agricoles; l’augmentation des importations alimentaires qui nécessitent des sorties de devises importantes. Il faut toutefois souligner que les produits alimentaires importés coûtent en général moins chers que les produits locaux car ils sont subventionnés. Le lait en poudre que les pays de l’Union Européenne exportent au Sénégal et dans la sous-région en est un parfait exemple. Un autre problème est lié au faible niveau de transformation des produits agricoles et de promotion du ‘’produisons ce que nous consommons pour une meilleure valorisation des produits locaux.’’ On note par ailleurs la faible implication du secteur privé surtout national, pour développer les activités agro-industrielles et créer une plus grande valeur ajoutée et des emplois.
MODELES DE PARTENARIATS GAGNANT GAGNANT À PROMOUVOIR SUR LE FONCIER RURAL ET MODALITES DE MISE EN ŒUVRE
Les différents partenariats gagnant-gagnant à promouvoir doivent montrer que le succès de la gestion du foncier rural au Sénégal exige une prise en compte de la légalité de la possession du patrimoine foncier, la légitimité du patrimoine foncier, la solidarité intergénérationnelle, le développement agro-industriel, le retour sur investissement, et le développement socio-économique des communautés. Quatre modèles de partenariats gagnant-gagnant pourraient être retenus pour la politique économique, sociale et environnementale du Sénégal.
Le premier est celui de Daga Birame (région de Kaffrine) qui est un partenariat entre l’Etat et les communautés ou partenariat-public-communautés (PPC) pour la réhabilitation des zones dégradées, le développement de l’agriculture familiale et la résilience aux changements climatiques avec l’appui technique de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA). Le deuxième est un partenariat entre l’Etat et les communautés (PPC) que doit porter l’Agence Sénégalaise de la Reforestation et de la Grande Muraille Verte (ASERGMV) du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD) à travers son programme de reboisement et de restauration des paysages.
L’ASERGVM pourrait planter des arbres fournissant le bois d’œuvre et ceux fournissant les produits forestiers non ligneux (PFNL) comme le baobab, le karité, le ditakh, le madd, le nénétou, le jujubier, le tamarinier, etc…. Cependant, pour s’assurer de la survie des arbres plantés, l’ASERGMV devra signer des contrats d’entretiens et de suivis des arbres avec les communautés rurales pour en retour permettre à ces dernières d’obtenir un droit d’usage commercial sur les arbres dont les fruits pourront être récoltés dans le respect de la préservation des arbres.
Ainsi les communautés villageoises auront le droit de consommer et de commercialiser les fruits des arbres plantés ce qui les motivera davantage pour le suivi et l’entretien des arbres. Ce sera un modèle de partenariat gagnant-gagnant additionnel qui permettra d’augmenter le couvert forestier national, de mieux contribuer à la séquestration de dioxyde de carbone, de lutter contre les changements climatiques, d’améliorer la conservation de la biodiversité, de réduire la pollution de l’air dont Dakar souffre énormément, de renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations, d’octroyer des emplois verts aux populations (surtout aux femmes et aux jeunes) et de lutter contre la pauvreté.
Le troisième modèle de partenariat gagnant-gagnant doit s’inspirer du Projet de Développement Inclusif et Durable de l’Agriculture Sénégalaise (PDIDAS). Avec la mise en œuvre de ce projet, les communautés détiennent des baux à long terme sur leurs terres, ce qui leur permet de développer des partenariats avec l’Etat, et les opérateurs privés nationaux et internationaux avec l’appui de l’agence nationale pour la promotion des investissements et des grands travaux (APIX).
Cependant puisque les opérateurs privés ne sont pas détenteurs des baux, ces derniers s’intéressent davantage à un partenariat gagnant-gagnant beaucoup plus orienté vers le court et moyen termes pour minimiser les risques. C’est pourquoi l’objectif principal du PDIDAS consistant à produire et à exporter 100.000 (cent mille) tonnes de fruits et légumes sans une transformation industrielle sur place rentre parfaitement dans la stratégie d’investissement des opérateurs privés. Ce type de partenariat gagnant-gagnant ou partenariat-public-privé communautés (PPPC) est certes très important et doit être multiplié davantage au niveau national, Mais un quatrième modèle de partenariat (PPPC) qui intègre la production et l’agro-industrie in situ doit être encouragé. Pour ce faire, l’Etat doit envisager de donner des baux aux opérateurs privés nationaux et internationaux qui auront l’obligation d’intégrer la production et la transformation agro industrielles des produits ce qui nécessitera des financements plus importants.
Dans ce type de partenariat, l’avis et les intérêts des communautés riveraines devront être pris en compte avant toute décision d’octroi de terres à un opérateur privé. L’Etat pourra donner un bail à long terme à l’opérateur privé qui sera reconduit de manière tacite tant que l’opérateur privé se conformera au cahier de charges. Ce dernier prendra l’engagement d’investir dans les technologies modernes de transformation agro-alimentaires qui respectent les normes environnementales. En outre, il utilisera des technologies modernes moins polluantes tout en adoptant une politique de valorisation des déchets qui seront produits. L’opérateur privé recrutera les jeunes des villages environnants comme des employés salariés avec tous les avantages sociaux plus un mois de congés payés. Il renforcera les capacités du personnel recruté. Il s’engagera à électrifier les villages impactés par le projet, les approvisionner en eau potable et appuyer la construction d’infrastructures (mosquées, églises, écoles, cases de santé, routes etc…).
Toutes ces réalisations ainsi que le nombre d’emplois précis à créer seront décrits de manière explicite dans un cahier de charges à respecter. Celui-ci sera évalué de manière périodique en présence des parties prenantes incluant l’Etat, les communautés riveraines, et l’opérateur privé. Ce même modèle de partenariat intégrant les activités agro-industrielles pourra être envisagé entre l’Etat et les communautés qui pourront avoir des baux à long terme pour intégrer la production et la transformation agro-industrielle à travers des arrangements avec la Banque Agricole du Sénégal qui mobilisera les investissements nécessaires.
L’Agence de développement des petites et moyennes entreprises (ADEPME) pourra accompagner les communautés en renforçant leurs capacités entrepreneuriales et de gestion. Ce modèle de partenariat gagnant-gagnant sera une opportunité pour diversifier davantage les activités agro-industrielles en incluant la production des produits alimentaires de base consommés au Sénégal. La solidité de ces quatre modèles de partenariats réside sur le fait qu’ils préservent à la fois les intérêts de la Nation, des communautés riveraines, et de l’opérateur privé national ou international (retour sur investissement). Cependant, ces partenariats doivent être encadrés par un cadre législatif et institutionnel incitatif et innovant sur le foncier et par un cadastre rural doté d’un système d’informations foncières rurales pour servir de support aux prises de décisions.
RESULTATS ATTENDUS
Les innovations qui seront apportées dans le cadre juridique et institutionnel sur le foncier et le cadastre rural permettront d’avoir des partenariats gagnantgagnant durables. Cela facilitera la cohabitation entre l’agriculture familiale et l’agrobusiness et permettra le développement des activités économiques des communautés rurales à travers l’exploitation et la commercialisation des produits forestiers issus du reboisement et de la restauration des paysages. Les résultats attendus sont les suivants.
L’ACCROISSEMENT DE LA PRODUCTION NATIONALE
Les partenariats gagnant-gagnant permettront d’accroitre la production alimentaire nationale, ce qui permettra au Sénégal de résoudre le paradoxe alimentaire du foncier rural et atteindre la sécurité et la souveraineté alimentaires ainsi que la promotion de la consommation des produits locaux.
LA REDUCTION DE LA PAUVRETE RURALE
Les jeunes ruraux qui trouveront des emplois dans les partenariats gagnant-gagnant seront recrutés comme des salariés qui augmenteront leurs revenus de manière substantielle. Ils pourront travailler 11 mois sur 12 avec un mois de congés payé au lieu de travailler 3 mois seulement sur 12 en période d’hiver.
L’OCTROI D’EMPLOIS AUX JEUNES ET AUX FEMMES
Les partenariats offriront des emplois aux femmes renforçant ainsi leur degré d’autonomisation et leur pouvoir dans leurs différents ménages. Les emplois octroyés aux jeunes permettront de mieux valoriser le dividende démographique dont regorge le Sénégal.
LA REDUCTION DE L’EXODE RURAL, L’EMIGRATION CLANDESTINE ET LA TAILLE DU SECTEUR INFORMEL
L’augmentation du nombre d’emplois sécurisés permettra de réduire l’exode rural en fixant davantage les jeunes dans leurs terroirs d’origine et favorisera les migrations de retours des centres urbains vers les zones rurales permettant ainsi de réduire la taille du secteur informel. L’émigration clandestine des jeunes sera également réduite. La lutte contre les changements climatiques, le déséquilibre écologique et la pollution de l’air Les différents projets agro-industriels utiliseront des innovations technologiques non polluantes avec la valorisation des déchets produits. Tous les projets avant leur démarrage feront une étude d’impact environnemental et social. Les projets qui porteront sur le reboisement et la restauration des paysages permettront d’augmenter le couvert forestier national, la séquestration de dioxyde de carbone, et la biodiversité, et réduire la pollution de l’air. La forte implication du secteur privé national dans l’agrobusiness Les pouvoirs publics doivent saisir cette opportunité pour renforcer le secteur privé national, l’encourager à investir dans l’agrobusiness en intégrant la production et la transformation agro-industrielle in situ et concrétiser la préférence nationale. L’amélioration des exportations et de la balance commerciale du Sénégal Le Sénégal connait un déficit chronique de la balance commerciale dû au fait que les importations sont toujours supérieures aux exportations. En 2019, ce déficit était de 2244 milliards de FCFA. Cette situation doit être renversée à travers cette nouvelle approche de partenariats gagnant-gagnant qui valorise davantage le foncier rural.