Au Sénégal, le secteur Agricole (agriculture, élevage et productions animales, pêche et aquaculture, forêts et arboriculture fruitière) occupe 60 à 70 pourcent de la population formant l’ossature de l’agriculture familiale sans beaucoup de moyens financiers pour intensifier la production.
C’est pourquoi l’Etat fait beaucoup d’efforts pour fournir aux producteurs ruraux des semences de qualité, de l’engrais et du matériel agricole. La production nationale de riz a augmenté de manière exponentielle avec des rendements importants qui ont atteint entre 5 et 6 tonnes à l’hectarei pour le riz irrigué. Pour le maïs les rendements ont progressé de 24 pourcent de 2010 à 2019. Par contre les rendements du mil et du sorgho ont stagné au cours de la même période ii. Le mil étant la céréale la plus produite au Sénégal, cela veut dire que sa production n’a crû que grâce à l’augmentation des superficies emblavées.
En d’autres termes les efforts d’intensification agricole n’ont pas encore réussi pour le mil et le sorgho. Cette situation doit être renversée dans le cadre du plan de relance économique post Covid19 et la stratégie nationale ‘’produisons ce que nous consommons.’’ En outre, l’exode rural vers les villes croit de manière exponentielle augmentant ainsi la taille du secteur informel constitué en majorité d’activités portant sur le commerce, le transport ou les services qui sont classés dans le secteur tertiaire. Cet article soutient que la transformation structurelle de l’économie Sénégalaise devrait se réaliser à travers le développement de l’agrobusiness et l’intégration de la production et la transformation agroindustrielle afin de promouvoir la sécurité et la souveraineté alimentaires durables, la consommation des produits locaux, l’octroi d’emplois importants aux jeunes et aux femmes, et la réduction de la taille du secteur Agricole au profit du secteur secondaire ; contrairement à la réduction de la taille du secteur Agricole pour augmenter le secteur tertiaire comme c’est le cas actuellement. Quelles sont les facteurs qui expliquent la non-atteinte des objectifs de la transformation structurelle de l’économie Sénégalaise? Que faut-il faire pour que la transformation structurelle de l’économie Sénégalaise devienne une réalité?
Facteurs qui expliquent la contre-performance de la transformation structurelle de l’économie Sénégalaise
Le Sénégal étant un pays essentiellement Agricole, la taille du secteur primaire doit être plus importante que celle des secteurs secondaire et tertiaire. Cependant au fur et à mesure que l’économie se développe, une réduction de la taille du secteur primaire au profit du secteur secondaire devrait être observée à cause du développement agro-industriel à haute intensité de main d’œuvre. Pour le Sénégal, la réduction de la taille du secteur primaire a profité au secteur tertiaire durant la première phase (2014-2018) de mise en œuvre du Plan Sénégal Emergentiii. Parmi les facteurs qui expliquent cette contre-performance on peut citer:
- Le faible niveau d’industrialisation du secteur Agricole avec des exportations portant sur les produits bruts créant ainsi de la valeur ajoutée et des emplois dans les pays importateurs.
- La faible implication du secteur privé dans la production et la transformation agro-industrielle. C’est pourquoi, le développement de l’agrobusiness et la promotion du secteur privé national et international doivent être des priorités dans le plan de relance économique post covid19.
- La forte dépendance du Sénégal vis à vis de l’extérieur pour son approvisionnement en produits alimentaires. Cette situation doit être renversée afin de permettre au secteur Agricole de couvrir la demande nationale de produits alimentaires, réduire les sorties de devises et contribuer plus fortement au taux de croissance économique nationale.
- Le faible niveau de productivité des céréales locales. Alors que les rendements ont atteint entre 5 et 6 tonnes à l’hectare pour le riz irrigué, ceux du riz pluvial ont été en moyenne 1,8 tonne à l’hectare sur un potentiel de 3 à 3,5 tonnes à l’hectareiv. Pour le maïs, les rendements ont augmenté de 24 pourcent de 2010 à 2019 mais ils n’ont pas encore atteint 2 tonnes à l’hectare. Pour le mil et le sorgho les rendements sont restés faibles et inférieurs à une tonne à l’hectarev. Pourtant l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA) a développé des variétés de céréales très performantes et chaque année l’Etat consacre des moyens financiers importants pour l’appui des producteurs en semences certifiées de céréales.
Approche pour faciliter la transformation structurelle de l’économie Sénégalaise
La transformation structurelle de l’économie Sénégalaise doit s’appuyer sur le secteur primaire en général et sur le secteur Agricole en particulier à travers la production et la transformation agro-industrielle in situ. Cela devrait être un objectif majeur du plan de relance post Covid 19. Pour ce faire, l’Etat doit envisager de donner des baux aux opérateurs privés nationaux et internationaux (incluant les Sénégalais de la diaspora) qui auront l’obligation d’intégrer la production et la transformation agro industrielles des produits Agricoles, ce qui nécessitera des financements importants.
L’avis et les intérêts des communautés riveraines devront être pris en compte avant toute décision d’octroi de terres à un opérateur privé. L’Etat pourra donner un bail à long terme à l’opérateur privé qui sera reconduit de manière tacite tant qu’il se conformera au cahier de charges. L’opérateur privé prendra l’engagement d’investir dans les technologies modernes de transformation agro-alimentaires qui respectent les normes environnementales.
En outre, il utilisera des technologies modernes moins polluantes tout en adoptant une politique de valorisation des déchets qui seront produits. L’opérateur privé recrutera les jeunes des villages environnants comme des employés salariés avec tous les avantages sociaux plus un mois de congés payés. Il renforcera les capacités du personnel recruté. Il s’engagera à électrifier les villages impactés par le projet, les approvisionner en eau potable et appuyer la construction d’infrastructures (mosquées, églises, écoles, cases de santé, routes etc…).
Toutes ces réalisations ainsi que le nombre d’emplois précis à créer seront décrits de manière explicite dans un cahier de charges à respecter. Celui-ci sera évalué de manière périodique en présence des parties prenantes incluant l’Etat, les communautés riveraines, et l’opérateur privé. Cette approche permettra une réallocation de l’emploi rural vers les activités de production et de transformation agro-industrielles à forte intensité de main d’œuvre, ce qui se traduira par un transfert de main d’œuvre du secteur primaire au secteur secondaire gage d’une transformation structurelle réussie. Plusieurs modèles d’agrobusiness ‘’industriels’’ pourraient être envisagés.
Modèles d’agrobusiness pour accélérer la transformation structurelle de l’économie et l’agro-industrie
Plusieurs modèles d’agrobusiness qui intègrent la production et la transformation agro industrielle sont à promouvoir. Ceux-ci devraient faire de l’intensification Agricole leur objectif principal avec notamment l’utilisation des semences certifiées de céréales et le respect, entre autres, des itinéraires techniques pour accroitre les rendements et la production alimentaire nationale de manière significative, ce qui permettra au Sénégal d’atteindre la sécurité et la souveraineté alimentaires ainsi que la promotion de la consommation des produits locaux. En outre, les activités qui seront développées permettront aux femmes d’avoir des emplois renforçant ainsi leur degré d’autonomisation et leur pouvoir dans leurs différents ménages. Des emplois seront également créés pour les jeunes afin de mieux valoriser le dividende démographique dont regorge le Sénégal.
L’augmentation du nombre d’emplois sécurisés permettra de réduire l’exode rural en fixant davantage les jeunes dans leurs terroirs d’origine et favorisera les migrations de retours des centres urbains vers les zones rurales permettant ainsi de réduire la taille du secteur informel. Tous les modèles d’agrobusiness avant leur démarrage feront une étude d’impact environnemental et social. Les modèles suivants pourraient être suggérés pour satisfaire le marché national et les exportations: a) Production et transformation agro-alimentaire in situ avec construction d’infrastructures de stockage ; emballage et conditionnement des produits: riz, maïs, tomate, autres légumes.
b) Production et transformation agro-alimentaire in situ avec construction d’infrastructures de stockage ; emballage et conditionnement des produits: mil, sorgho, maïs, niébé, sésame.
c) Production et transformation des produits horticoles in situ avec construction d’infrastructures de stockage ; emballage et conditionnement des produits.
d) Production et transformation agro-alimentaire in situ: combinaison des cultures céréalières (mil, sorgho, maïs), des légumineuses (niébé), l’anacarde, l’arboriculture fruitière (citron, orange, mangue, corossol, etc…), l’oseille de Guinée ou bissap pour la production de jus et de thé de bissap.
e) Production et transformation des produits forestiers non ligneux (PFNL) en jus et autres produits. Les PFNL sont des produits comme le baobab, le tamarin, le ditakh, le madd, le Marula ou Beer en Wolof, etc… Ils sont très riches en vitamines A, B, C, D, E, K et en minéraux: calcium, magnésium, fer, potassium, sodium, zinc, phosphore, manganèse.
Conclusions
Le Sénégal est un pays où le secteur Agricole occupe la majorité de la population. C’est pourquoi, pour bien accompagner la transformation structurelle de l’économie, le plan de relance post Covid 19 devrait s’appuyer sur une stratégie permettant de créer des emplois importants à travers l’agrobusiness en intégrant la production et la transformation agro-industrielle. Cela permettra un transfert important de main d’œuvre du secteur primaire vers le secteur secondaire en créant une plus grande valeur ajoutée et une croissance économique au-delà des prévisions du FMI, de la Banque Mondiale et de la BAD. La transformation structurelle de l’économie à la suite de cette politique permettra d’atteindre la sécurité et la souveraineté alimentaires, la promotion des produits locaux et l’approvisionnement du marché national, l’augmentation des exportations et la réduction du déficit de la balance commerciale.
http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/spid/docs/Senegal/Riziculture_e… ii Amadou Ibra Niang (2020). Six graphiques pour diagnostiquer l’agriculture céréalière sénégalaise. iii Plan Sénégal Emergent. Plan d’Actions Prioritaires 2019-2023. iv https://www.willagri.com/2019/06/24/vers-un-renouveau-de-la-riziculture-… v Amadou Ibra Niang (2020). Six graphiques pour diagnostiquer l’agriculture céréalière sénégalaise.